22 décembre 2024

Le pouvoir d’Alger accroché à ses deux rentes, pétrolière et mémorielle

Je ne saurais écrire mieux qu’Eric Le Boucher ce que je pense de la situation algérienne, avec tristesse pour le peuple de ce pays.

L’Algérie dispose d’atouts inexploités dans l’agriculture, le tourisme notamment, mais il est quasi-impossible d’espérer pouvoir entreprendre dans un pays au bord de la faillite, et où le clientélisme et la corruption des élites empêchent toute possibilité de modernisation, écrit Eric Le Boucher.

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos ») / Publié le 15 oct. 2021 à 7:12Mis à jour le 15 oct. 2021 à 7:36

Il y a six mois, beaucoup d’économistes prévoyaient que l’Algérie allait sombrer dans une crise monétaire « d’ici à un an ou deux ». Leur calcul reposait sur l’assèchement accéléré des réserves de change du pays, 200 milliards de dollars en 2014, 44 milliards aujourd’hui, vidées année après année par un déficit budgétaire de 18 % du PIB (18 % de 150 milliards de dollars font une fuite de 27 milliards par an).

Alger a beau emprunter à la Chine, à ses périls, et aux pays du Golfe, le moment fatidique de la faillite arrive avec, en perspective, une chute du dinar, un arrêt des importations, un blocage de l’économie, une coupe dans les très nombreuses subventions et les aides sociales, une explosion de la rue.

La forte hausse du prix du gaz naturel , dont l’Algérie est le quatrième exportateur mondial, vient peut-être repousser un peu l’échéance. Mais pas tant que cela. Il faudrait que le cours du brut monte à 170 dollars le baril (80 dollars actuellement) pour équilibrer le budget et n’avoir plus à emprunter. Tous les éléments d’une vaste crise demeurent. Le gouvernement va perdre les moyens de « payer » la population pour qu’elle reste coite. Pour la France, pour l’Europe, une faillite « à la libanaise » porterait, portera, des conséquences incalculables.

Le pouvoir d’Alger le sait et il tremble. Mais il continue à nier ses difficultés comme à refuser d’engager la moindre réforme. La vive tension apparue avec le président français sur les responsabilités de la colonisation sert une nouvelle fois d’échappatoire. Le système politico-militaire en place depuis soixante ans n’a pas d’autre stratégie que l’exploitation des deux « rentes » du pays : celle des hydrocarbures, dont il se remplit les poches, et celle « mémorielle », qu’il sort de ses poches devant sa population pour plaider non coupable de l’état catastrophique du pays.

Bureaucratie, clientélisme, corruption

En 1960, le PIB par habitant algérien est deux fois plus élevé que le tunisien et deux fois et demie plus que le marocain. En 2000, alors que ses voisins n’ont aucune ressource pétrolière, la Tunisie a pratiquement rejoint l’Algérie, et le Maroc est sur ses talons. La rente pétrolière a été purement, simplement, systématiquement dilapidée.

« Diversifier l’économie » hors des hydrocarbures a été la recommandation évidente répétée par tous les observateurs depuis des lustres mais les gouvernements algérois ont accumulé les échecs avec une constance remarquable. Au début sous l’influence des Soviétiques et des communistes français, dont le seul résultat a été d’amplifier le gâchis bureaucratique. Puis, depuis trente ans, l’ouverture au secteur privé a été captée par les dirigeants et leurs proches. Bureaucratie, clientélisme, corruption, opacité : dans tous ces domaines, le pouvoir algérien a réussi à se classer parmi les meilleurs mondiaux.

Absolutisme immobiliste

L’Algérie dispose d’atouts inexploités dans l’agriculture ou le tourisme et ses nombreux jeunes entrepreneurs piaffent. Mais il est encore très difficile de créer une entreprise, de l’enregistrer, plus encore d’obtenir un crédit ou d’exporter.

Selon le rapport Doing Business de la Banque mondiale, qui classe l’attractivité des pays, l’Algérie est 157e sur 187, aux côtés de la Gambie et de l’Ethiopie. Le Maroc est 53e et la Tunisie 78e. Volkswagen puis Hyundai ont fermé leurs usines en Algérie pour les reconstruire au Maroc, devenu un hub automobile employant 220.000 personnes et exportant 80 % des productions vers l’Union.

Un nouvel espoir de se dégager enfin de la gangue, après tant d’autres, est né dans le pays en 2019 après le départ de la « momie » Abdelaziz Bouteflika, sous pression de la rue . Mais il n’en fut rien, bien au contraire. L’Algérie s’est enfermée dans l’absolutisme immobiliste, le pouvoir ne sait probablement plus ni quoi faire, ni comment le faire.

« En raison de déséquilibres macroéconomiques de longue date, les décideurs disposent d’une marge de manoeuvre considérablement réduite », insiste le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié le 4 octobre. Et d’une plume fatiguée, le FMI écrit pour la centième fois que l’Algérie a besoin « d’un vaste ensemble de réformes structurelles, dont des mesures visant à améliorer la gouvernance économique et à favoriser l’émergence d’un secteur privé dynamique et la création d’emplois ». Le malheur est que plus personne n’y croit, ni à l’extérieur, ni, encore moins, à l’intérieur.

Image par belkacem hassani de Pixabay

Richard Yung

Richard Yung, Sénateur des Français de l'étranger de 2004 à 2021, partage ici ses réactions à l'actualité.

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