Je suis intervenu le mardi 22 octobre 2010 dans le débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 octobre 2010 sur la question de la gouvernance économique européenne, sujet sur lequel je viens de publier avec le sénateur Pierre Bernard-Reymond un rapport d'information au nom de la commission des affaires européennes. (Cliquez ici pour consulter ce rapport)
Voici un extrait des débats.M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviendrai aujourd’hui sur ce qui apparaît comme la question la plus importante du prochain Conseil européen, à savoir la gouvernance économique européenne. La crise financière puis la crise économique ont projeté cette question à l’avant-garde de l’actualité. Nous en étions conscients depuis longtemps, mais nos concitoyens ont touché ici du doigt le fait qu’il était impossible de disposer d’un marché unique et d’une monnaie unique sans politique économique coordonnée.
M. Yvon Collin. Ça fait longtemps que nous le disons !
M. Richard Yung. Ce point est suffisamment important pour que la commission des affaires européennes ait demandé à notre collègue Pierre Bernard-Reymond et à moi-même de rédiger un rapport, qui vient d’être publié et qui, je l’espère, nourrira les réflexions du Gouvernement.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Si vous me l’envoyez, oui ! (M. le président de la commission des affaires européennes remet un exemplaire de ce rapport à M le secrétaire d’État.)
M. Richard Yung. S’agissant de ces questions, il est difficile de s’y retrouver. Trois séries de propositions sont sur la table.
Tout d’abord, vient une série de propositions faites de façon anticipée par la Commission. Cinq projets de textes législatifs sont sur la table, la Commission les a publiés de façon anticipée avant la sortie du rapport Van Rompuy. Ensuite, nous disposons du rapport Van Rompuy lui-même. Enfin, vient la déclaration de Deauville.
Comment s’y retrouver ?
Ma première question est la suivante, monsieur le secrétaire d’État : considère-t-on que les propositions de la Commission ont vocation à être classées verticalement, à disparaître de nos « écrans radars » ? C’est l’impression que donne la situation actuelle. On ne parle en effet aujourd’hui que de l’accord de Deauville.
S’agissant du rapport Van Rompuy, ce dernier a proposé une prise en considération de la dette dans le mécanisme de surveillance budgétaire, et nous nous en réjouissons puisque cela signifie que les critères pris en compte sont élargis. Cela relève du bon sens et aurait dû être fait bien plus tôt.
Monsieur le secrétaire d’État, je profite de ce sujet pour évoquer le problème des déficits, que vous avez vous-même abordé. Je ne prends pas part à la nouvelle adoration du « veau d’or ». La pensée est en effet aujourd’hui unique, la seule chose ayant de l’importance en économie étant la ligne des 3 % du déficit budgétaire. Il n’y a plus rien d’autre ! Bien entendu, personne ne pense qu’il soit bon que nous connaissions des déficits trop importants. Il faut bien sûr les réduire. Mais nous devons aussi prendre en compte d’autres éléments dans la conduite des affaires, en particulier le problème de l’emploi et le problème de l’investissement dans la recherche et l’innovation – excellemment abordé par notre collègue Pozzo di Borgo –, les investissements schumpetériens, ceux qui préparent l’avenir. Il existe de bons déficits comme il en existe de mauvais. En investissant dans la recherche, vous faites un bon déficit, qui vous sera rendu plus tard, pour prendre une image biblique.
Dans l’état actuel des choses, comme les rats de la légende, nous suivons le joueur de flûte de 3 % et nous courons nous jeter dans la mer de la déflation. Or, la déflation existe déjà au Japon, elle menace aux États-Unis. La France, pour sa part, danse sur le volcan ! Je veux donc relativiser l’approche des déficits budgétaires.
Par ailleurs, nous considérons que le pacte de stabilité et de croissance devrait prendre en compte un certain nombre de critères économiques, notamment la politique d’investissement dans la recherche et le niveau de l’emploi, pour ne citer que les deux plus importants.
La politique économique est un ensemble, et rien n’est plus essentiel que la croissance et la création d’emplois. Nous devons aussi distinguer les différents types de déficits.
La task force de M. Van Rompuy n’a pas fixé d’objectifs chiffrés pour évaluer la trajectoire de réduction de la dette, mais a seulement fait référence à des critères quantitatifs et à des dispositions méthodologiques. Monsieur le secrétaire d’État, la France proposera-t-elle de prendre en considération certains autres éléments, par exemple le niveau de la dette privée ainsi que l’impact de la réforme des retraites sur les finances publiques ?
Quant aux sanctions financières et politiques, je partage les propos de M. Bizet : l’accent est trop mis sur l’aspect « sanction » et pas assez sur l’aspect « prévention ».
La palette des sanctions est essentiellement de nature financière : dépôt sur un compte bloqué rémunéré – très faiblement –, puis non rémunéré – cette dernière mesure devient douloureuse, surtout si sont concernés 3 milliards d’euros, comme cela a été dit – avant une amende. Pour ma part, j’estime qu’il sera très difficile de mettre ces dispositions en œuvre. Un accord devra être passé autour d’une table. Or nous savons à quel point les États sont timorés lorsqu’il s’agit d’infliger une amende à un autre État en raison de son mauvais comportement. Dans un tel cas de figure, nous nous cachons derrière notre petit doigt…
Par ailleurs, la task force propose de frapper au portefeuille, en quelque sorte. Cette politique semble surtout d’affichage. La politique agricole commune est intouchable. Elle ne se prête pas à ce type d’exercice. Reste alors les fonds structurels. Mais réduire les fonds accordés dans ce cadre à des pays déjà en difficulté est tout de même paradoxal. Il s’agit plutôt de mesures déclaratives.
J’en viens à la déclaration de Deauville, qui m’inspire une réaction ambivalente. Certes, je me réjouis qu’un accord soit intervenu entre la France et l’Allemagne, le moteur franco-allemand…
Mme Nicole Bricq. Le moteur a des ratés !
M. Richard Yung. Par expérience, nous savons que si un tel accord n’est pas trouvé, rien n’avance. Mais la forme, plus que contestable, a suscité des réactions, notamment dans les pays nordiques. Le Luxembourg, si j’ai bien compris, devient, pour sa part, un ennemi de la France. Faut-il envisager le pire ?...
En Belgique, M. Verhofstadt a qualifié la déclaration susvisée de « compromis de casino ». Visait-il l’utilisation d’une martingale ou simplement la présence d’un casino à Deauville ? Je n’ai pas très bien compris.
Quoi qu’il en soit, on constate que les autres pays trouvent la pilule un peu amère. Sans doute acceptent-ils, par nécessité, un accord entre la France et l’Allemagne qui permette d’avancer, mais ils voudraient qu’un tel accord soit un peu plus entouré de précautions et qu’eux-mêmes soient préalablement consultés.
J’en viens au problème des sanctions politiques, qui a été abordé. Mais on est en plein rêve ! Comment allons-nous pouvoir modifier les traités ? Monsieur le secrétaire d’État, vous nous présentez cela comme une chose acquise. Or, pendant dix ans, nous avons tous vécu la longue bataille de Lisbonne ! Vous savez très bien qu’un certain nombre de pays ne seront pas d’accord sur les sanctions. Quel que soit le véhicule utilisé – traité d’adhésion avec la Croatie ou autre –, on se heurtera à l’opposition de certains pays, à l’organisation nécessaire d’un référendum en Irlande, ce qui n’est pas une tâche facile, comme vous le savez. Croyez-vous que les Tchèques nous ouvriront les bras et voteront les yeux fermés ? Non, ce ne sera pas le cas !
Il ne faudrait pas, de surcroît, rater l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, en mêlant ce sujet à d’autres questions.
En réalité, il est peu envisageable que les États réunis autour d’une table suspendent les droits de vote, donc les droits politiques, d’un État. Cette sanction est tellement lourde, tellement forte. Elle constitue une telle claque politique. C’est l’arme nucléaire ! Elle ne sera par conséquent pas utilisée.
M. le président. Vous avez épuisé le temps de parole qui vous était imparti, mon cher collègue.
M. Richard Yung. Le temps de parole dont je disposais étant épuisé, eu égard aux nécessités du travail parlementaire, et bien que j’eusse aimé évoquer d’autres sujets, je m’arrêterai là. (Applaudissementssur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
[...]
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté chacun d’entre vous ; j’essaierai donc de ne pas commettre d’injustice dans ma réponse, sans pour autant être trop long, car je sais que votre programme est chargé et que vous voudrez sans doute poser d’autres questions.
Je commencerai par faire respectueusement observer à M. Bizet et à ceux d’entre vous qui ont évoqué ce point, parfois en des termes quelque peu excessifs – l’un d’entre vous a parlé de « rêve », et j’ai même entendu M. Chevènement créer un inquiétant axe Chevènement-Reding en qualifiant d’ « irréaliste » la décision sur les sanctions politiques ! –, que les sanctions politiques sont déjà prévues dans le traité, à l’article 7.
Lorsqu’un État manque aux obligations fondamentales définies à l’article 2, c'est-à-dire qu’il se trouve en situation de manquement vis-à-vis des droits, alors des sanctions politiques s’appliquent, et il est privé de droit de vote. Ce qui existe pour le cap politique, et qui engage les droits, doit pouvoir exister lorsqu’il s’agit d’une caution.
Car il s’agit bien, ici, de se porter caution des autres ! La discipline commune doit être partagée par tous ; faute de quoi, le système ne fonctionne pas. Dans ce cas-là, une autre logique, que je respecte aussi, entrerait en action : celle des « nonistes » et de M. Chevènement, qui refusent toute monnaie unique.
Cependant, dès lors que nous sommes dans une zone monétaire et que nous en acceptons l’idée, comme l’a fait M. Yung tout à l’heure – ce qui illustre bien le consensus bipartisan qui existe à ce sujet dans votre assemblée –, la rupture de la discipline commune doit entraîner des conséquences.
On ne peut pas dire, comme je l’ai entendu, que les sanctions financières sont inappropriées parce qu’elles viendraient aggraver la situation d’un État en difficulté, et soutenir en même temps que les sanctions politiques sont inopérantes. Si vous écartez les unes et les autres, que vous reste-t-il pour faire en sorte que la discipline soit observée ?
Je souhaite redire très clairement que ce que nous avons fait, en phase avec le groupe Van Rompuy, revient à nous assurer que le politique, qui est dans le traité à l’article 126, soit bien au cœur de la décision. Quand un pays prendra une trajectoire dangereuse pour la pérennité de l’ensemble, il sera prévenu, disposera d’un délai et se verra infliger des sanctions qui, il est vrai, seront automatiques.
Le délai de six mois et la décision politique me paraissent sages, tout comme me paraît sage et, franchement, extrêmement utile – je veux insister sur ce point – le second volet, à savoir le volet franco-allemand de Deauville, l’objectif étant de pérenniser la garantie financière qui, au printemps dernier, a été mise sur pied pour trois ans. Il s’agit vraiment d’une formidable avancée franco-allemande. Je le dirai aussi demain devant le Bundestag !
Souvenez-vous d’où viennent les Allemands ! À Maastricht – qu’on ait été favorable ou non au traité, c’est une autre histoire ! –, les Allemands ne voulaient pas de la moindre garantie accordée à quelqu’un d’autre. Dans le traité figure même explicitement une obligation de non-renflouement. « Si tu es endetté, ta dette est ta dette. Je ne donne pas ma carte de crédit, et encore moins mon code secret ! ». C’est cette logique qui a été changée de façon temporaire au printemps dernier.
Aujourd’hui, les Allemands sont face à un problème juridique : celui de pérenniser ce système contraire au traité ; ils ont une Cour constitutionnelle. Mais ils sont prêts à faire ce geste européen. C’est là qu’est l’évolution et, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à le dire – car c’est aussi mon rôle de secrétaire d'État chargé des affaires européennes – à tous ceux qui, en France où ailleurs, glosent sur le fait que l’Allemagne serait de nouveau en proie à ses démons nationalistes, qu’il y aurait de moins en moins d’Européens en Allemagne car les Allemands croiraient de moins en moins en l’Europe, etc. Que n’ai-je effectivement lu et entendu ces derniers temps sur ce sujet !
Mais vous avez là une preuve tangible de l’axe franco-allemand et du travail du Président de la République et de la Chancelière : l’Allemagne, pour qui ce système a été très difficile à accepter et à mettre en place en pleine crise, est maintenant prête à le pérenniser. Naturellement, cela implique une évolution des règles, car c’est l’inverse qui figure dans le traité.
Ce mécanisme sera l’embryon d’un futur fonds monétaire européen, d’un fonds de garantie européen, et il est extrêmement important que la France et l’Allemagne en soient le cœur !
Quelle a été l’évolution du côté français ? Elle a été considérable aussi. Pardon, monsieur Yung, cela ne s’adresse pas qu’à vous. Nous en étions à dire que le principe était très bien, mais que nous ne voulions pas des sanctions, que cela coûte trop cher, que c’est trop difficile à appliquer et que cela ne fonctionne pas sur le plan politique...
Aujourd’hui, nous sommes prêts à jouer la discipline, car nous avons pris conscience, nous Français, qu’il fallait mettre de l’ordre dans nos finances. Nous nous engageons donc à respecter un certain nombre de règles. Dans un pays qui n’a pas présenté un budget en équilibre depuis trois décennies, c’est une vraie révolution politique !
Pourquoi nous livrons-nous à cet exercice de réduction des emplois publics ? Pourquoi demandons-nous aux Français de travailler davantage ? Croyez-vous qu’à un an et demi des élections les « sarkozystes », le Gouvernement, le Président de la République et les parlementaires de la majorité agiraient brutalement par masochisme politique ? Non ! Nous le faisons parce que c’est notre devoir. Si nous voulons que l’économie redémarre, que notre pays joue sa place en Europe et ne décroche pas par rapport à notre principal partenaire, nous devons « coller » aux recettes qui ont permis à l’Allemagne d’avoir 3,5 % de croissance cette année.
Je reviens à l’histoire du joueur de flûte et des rats. La comparaison est très jolie. Mais la question est de savoir qui tient la flûte.
Avec la mondialisation, les forces économiques des pays émergents, tels que la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres, pèsent de façon considérable. Ils ont plus faim que nous et travaillent plus que nous. Les équilibres anciens ont effectivement été rompus. La multipolarité sur laquelle nous, Français, glosions tant est là.
Une chose est sûre : nous devons faire des efforts. Mais qui tient la flûte ? La Commission ? Selon nous c’est le Conseil. Monsieur Chevènement, nous essayons de bâtir une politique économique européenne et ce n’est pas simple !
Conseil après Conseil, nous tentons d’introduire les mots « réciprocité », « politique industrielle », « politique énergétique ». Cette dernière notion ne figurait même pas dans l’Agenda. C’est quand même la France qui fait tout ce travail !
Certes, cela ne va pas assez vite et ce n’est jamais assez ! Je comprends toutes ces frustrations. Mais, que voulez-vous, les 500 millions d’Européens ne sont pas tous des Français ! Même des Luxembourgeois ne sont pas d’accord avec nous et nous critiquent ! C’est embêtant... Ne parlons pas des Suédois et de quelques autres qui ne partagent pas du tout ces vues sur la politique industrielle. Mais, petit à petit, elles font leur chemin !
Alors un joueur de flûte qui attire les rats pour faire quoi ? Ignorer la réalité du monde et finir affamés ou faire des efforts pour sauver leur économie ?
Pourquoi croyez-vous que l’Allemagne a une croissance de 3,5 % tirée par les marchés émergents ? (M. Aymeri de Montesquiou s’exclame.) Parce que ce pays a su faire, voilà dix ans, des réformes de fond – industrie, coût du travail, temps de travail –, avec un gouvernement socialiste d’ailleurs !
Ce sont ces réformes, qui manquent à la France aujourd’hui, que nous entreprenons et qui se traduisent dans notre pays, certes par une croissance plus lente de 1,6 %, mais par la création de soixante mille emplois au premier semestre et, je l’espère, cinquante mille autres au second. Voilà ce que je souhaiterais voir relayé par tout le monde !
Aux orateurs de gauche, notamment, qui se sont exprimés, je veux dire que le gouvernement français ne fait preuve d’aucune soumission brutale à un modèle que nous avons critiqué. Vous avez eu, monsieur Chevènement, la bonté de rappeler le discours de Davos. Nous ne sommes nullement agenouillés devant le veau d’or néolibéral et si nous faisons des coupes dans les dépenses publiques, c’est non pas par plaisir, mais parce qu’il n’est pas sain pour notre compétitivité, et donc pour nos enfants, de trimballer une dette de 1 600 milliards d’euros ! (Mme Annie David s’exclame.)
Par conséquent, il faut trouver un juste équilibre entre une remise en ordre de nos finances publiques et une relance des outils nécessaires à notre démarrage, la recherche et le développement notamment.
Tels sont les deux points sur lesquels je voulais insister, car ils me paraissent absolument importants.
Monsieur Pozzo di Borgo, j’ai beaucoup apprécié vos remarques, particulièrement sur la politique spatiale européenne. Ce soir, je manque de temps pour vous répondre, mais j’espère que nous aurons un débat. Il s’agit, là encore, d’une politique entièrement franco-allemande. Sans la France et l’Allemagne, il n’y aurait pas du tout de politique spatiale européenne !
J’ai essayé de vous répondre, monsieur Yung. Je ne dirai pas que les propositions de la Commission vont subir un classement vertical...
M. Richard Yung. Vous le pensez !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … mais je le pense très fort, et pour les raisons explicitées tant par vous-même que par MM. Chevènement et Bizet. Nous, nous soutenons le rapport.
Hier, j’ai utilisé devant le Conseil l’image du flash du radar sur l’autoroute, car nous ne sommes pas sur la nationale 118 ! Quelque chose sur la route vous oblige brutalement à vous déporter ou à accélérer. Flash du radar ! Vous aurez un PV. La sanction est tombée brutalement.
Que deviennent nos parlements nationaux, nos politiques économiques en cas d’obstacle s’il est nécessaire d’accélérer ? Allez-vous décélérer, vendre la voiture, pour être dans d’autres clous ? C’est absurde ! Voilà pourquoi nous sommes tous d’accord avec votre formule de tout à l’heure.
J’ai vous ai répondu sur les sanctions et le veau d’or.
J’ai aussi répondu en grande partie à M. Chevènement.
J’ai vraiment apprécié la qualité de vos interventions. Sans forcer le trait, il me semble qu’il y a quand même un vrai consensus entre nous sur l’ensemble de ces points, en particulier sur la nécessité de mettre en place des cautions qui fonctionnent, afin de ne pas avoir à donner sa carte de crédit !
[...]
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai deux questions.
Tout d’abord, comment comptez-vous présenter l’accord de Deauville aux Britanniques, qui doivent se sentir un peu amers de ne pas être de la danse ? Certes, ils ne participent jamais pleinement aux institutions, mais cela ne les empêche pas de critiquer.
J’imagine qu’ils sont aujourd’hui partagés. D’un côté, le terme de « gouvernance économique européenne » doit les révulser, leur nouveau gouvernement ayant répété à de nombreuses reprises qu’il n’y aurait aucun transfert vers Bruxelles. De l’autre, ils veulent se présenter comme très vertueux.
Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de trouver un modus vivendi avec la zone sterling et la place financière de Londres. Comment, d’un point de vue politique, envisagez-vous cet aspect ? Il faut en outre espérer que Mme Merkel trouve une majorité pour faire adopter les mesures prévues par cet accord, ce qui n’est pas tout à fait assuré.
J’en viens à ma seconde question. Nous avons évoqué tout à l’heure des sanctions financières et politiques, à croire que la gouvernance économique ne se rapporte qu’à cela. Mais aucune mesure positive n’est prévue. Par exemple, avez-vous envisagé, à un moment ou à un autre, de travailler sur une convergence progressive en matière fiscale, sur un « tunnel de rapprochement » de certains de nos impôts ? Je pense notamment au taux et à l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Yung, je commencerai par répondre à votre deuxième question. Oui, nous sommes en train d’organiser la convergence fiscale, car nous sommes convaincus que la gouvernance passe aussi par là. Dans ce but, nous avons demandé à M. Didier Migaud de faire des propositions. Une telle évolution pourra-t-elle concerner les Vingt-Sept ? C’est une autre histoire ! Pour le moment, une « mise en sympathie », si j’ose dire, de nos systèmes avec notre principal partenaire ne serait déjà pas si mal.
J’en viens à votre première question. Nous avons rencontré les Britanniques dimanche soir, puis lundi matin à Luxembourg. Par ailleurs, le sommet franco-britannique du 2 novembre prochain est activement préparé, notamment par Jean-David Levitte, qui était aujourd’hui à Londres.
Très franchement, concernant l’accord de Deauville, peut-on vraiment parler d’amertume en ce qui les concerne ? Certes, ils sont dans une situation inconfortable, dans laquelle ils se sont mis eux-mêmes. C’est toujours la même histoire du monsieur qui a un pied dedans et un pied dehors ! Ils ne veulent absolument pas être concernés par les disciplines de la zone monétaire, alors qu’ils adoptent pourtant les mêmes analyses !
Il est d’ailleurs assez drôle d’entendre un certain nombre de mes amis conservateurs britanniques : je crois entendre Jean-Pierre Chevènement et des « nonistes » français. Pour eux, pas question d’accepter les disciplines communes : ils préfèrent conserver leur livre sterling et rester à l’extérieur !
En même temps, les Britanniques savent bien qu’ils ont un pied dans la zone euro. Ils le reconnaissent même publiquement et officiellement : il n’est qu’à lire leurs déclarations ministérielles ! Ils ont conscience que leurs intérêts nationaux sont liés aux décisions que nous sommes appelés à prendre et sur lesquelles, d’ailleurs, ils ne manquent pas de nous interroger.
Cela étant, au printemps dernier, les Britanniques ont refusé d’adhérer au dispositif de garantie de la zone euro et de se plier aux disciplines y afférentes. Certes, il appartiendra au peuple britannique de se prononcer sur ce choix, mais, honnêtement, je ne peux m’empêcher de considérer que cette attitude « à la fin de la journée », comme on dit là-bas, est probablement la pire des solutions : ne disposant ni d’une souveraineté totale ni des moyens de peser sur les événements afin d’en éviter les conséquences, les Britanniques risquent bien d’être les grands perdants.
Le Royaume-Uni n’est pas la Norvège, laquelle, en raison de sa taille, de sa position géographique excentrée et de ses immenses réserves de gaz, peut parvenir à un équilibre différent. Si nos voisins britanniques, dont l’économie est très imbriquée à celle du continent, veulent que leur pays reste au cœur des marchés financiers, leur position deviendra vite difficilement tenable.
Encore une fois, il ne m’appartient pas de dire à nos amis d’outre-Manche ce qu’ils doivent faire. Je constate simplement que leur positionnement les exclut de facto du bénéfice des décisions que viennent de prendre la France et l’Allemagne.