Le 28 septembre, je suis intervenu, au nom du groupe socialiste et républicain, dans la discussion générale du projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne.
La décision du 26 mai 2014, dite « ressources propres », vise à mettre en œuvre le volet relatif aux recettes du budget de l’Union. Elle est applicable depuis le 1er janvier 2014.
Le système de financement de l’UE repose actuellement sur quatre types de ressources :
- les ressources propres traditionnelles (droits de douane et cotisations sucre perçus par les États membres et reversés à l’Union) ;
- la ressource fondée sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), calculée par l’application d’un taux d’appel uniforme (0,3%) à une assiette harmonisée ;
- la ressource fondée sur le revenu national brut (RNB), versée par les États membres au prorata de leur RNB dans le RNB total de l’Union (un taux uniforme est appliqué au RNB de chacun des États membres) ;
- des recettes diverses provenant des impôts et cotisations sociales perçus auprès des personnes travaillant pour les institutions et autres organismes de l'UE, des recettes issues du fonctionnement des institutions, des contributions de pays tiers à certains programmes européens et des intérêts de retard et amendes, ainsi que du solde reporté de l'exercice antérieur.
La réforme des ressources propres est un véritable serpent de mer. Elle est évoquée lors de chaque discussion sur les perspectives financières. Cependant, faute d’une réelle volonté politique du Conseil, les propositions mises sur la table des négociations ont toutes été écartées au profit d’ajustements insuffisants, voire préjudiciables au principe communautaire de solidarité. La réforme des ressources propres est un sujet tabou car elle touche à la souveraineté des États membres. Toute tentative d’évolution en la matière se heurte à la règle de l’unanimité, qui confère un pouvoir de blocage aux pays qui, craignant de perdre la maîtrise des finances européennes, refusent de modifier un système qui est contraire à la lettre et à l’esprit du traité de Rome et de tous les traités qui l’ont suivi. L’article 311 du TFUE dispose certes que « le budget de l’Union européenne est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres ». Cependant, les ressources propres existantes n’ont de propres que le nom. En effet, seuls les droits de douane s’apparentent à des ressources autonomes. Quant aux ressources TVA et RNB, elles sont simplement prélevées sur les recettes fiscales des États membres.
Par ailleurs, depuis la création de la ressource RNB, en 1988, on assiste à une déplorable renationalisation du financement de l’Union. La part de la ressource RNB n’a cessé d’augmenter, compensant la baisse des ressources propres traditionnelles – dont les droits de douane (à peine 12% des recettes de l’UE en 2015) – et de la ressource TVA. Au total, les ressources issues des budgets des États membres (ressources TVA et RNB) représentent désormais près de 87% des recettes budgétaires de l’Union, contre 70% en 1988 ! Pour paraphraser mon ancien collègue Pierre BERNARD-REYMOND, les politiques européennes sont « esclaves des contraintes budgétaires nationales ».
Cette renationalisation du financement de l’Union a, par ailleurs, favorisé la logique comptable du « juste retour », qui est également contraire à l’esprit communautaire. La boîte de Pandore a été ouverte dans les années 70, lorsque le Royaume-Uni, peu de temps après son adhésion, s’est vu accorder diverses compensations ou corrections, et cela avant même le fameux sommet de Fontainebleau.
La mise en place du « chèque britannique » a ouvert une brèche qu’il sera difficile de colmater. La quasi-totalité des contributeurs nets ont obtenu une réduction de leur participation au financement du rabais britannique. L’Allemagne a ouvert le bal dès les années 80. Par la suite, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche se sont également vu accorder un « rabais sur le rabais ».
Le « poison du juste retour » a aussi entraîné la création d’autres mécanismes compensatoires au titre des ressources TVA et RNB.
Résultat: les négociations budgétaires s’apparentent désormais à un véritable marchandage.
L’Union européenne a raté le coche en 2011, lorsque la Commission proposait de réformer le mode de financement de l’Union en simplifiant la ressource TVA, en créant une taxe sur les transactions financières, en réduisant le droit de perception des ressources propres traditionnelles et en simplifiant les rabais et corrections. Ces propositions n’allaient sans doute pas assez loin. Cependant, elles permettaient de franchir un premier pas vers l’autonomie financière. Si elles avaient été adoptées, la part des ressources issues des budgets nationaux aurait été ramenée à 58%.
Il est regrettable que plusieurs États membres aient opposé leur veto à cette réforme, préférant faire passer leurs intérêts nationaux avant l’intérêt général européen.
L’échec des négociations sur le paquet « ressources propres » est d’autant plus regrettable que la crise aurait pu être l’occasion d’avancer vers une plus grande autonomisation du budget de l’Union dans la mesure où la création de nouvelles ressources propres permettrait d’alimenter le budget sans passer par les budgets nationaux.
La décision du 26 mai 2014 est décevante car elle laisse perdurer les défauts du système actuel de financement de l’Union: rabais britannique, rabais sur le rabais, corrections sur la ressource TVA, chèques forfaitaires annuels, etc. Certains de ces défauts ont même été renforcés. Après que la décision sera entrée en vigueur, la France et l’Italie seront les seuls contributeurs nets à ne pas bénéficier d’un rabais spécifique, le Danemark ayant obtenu un rabais sur sa contribution RNB. Il est également à noter que des avantages ont été accordés à certains pays en échange du relèvement du taux d’appel de TVA.
La décision du 26 mai 2014 laisse néanmoins la porte ouverte à une réforme dans la mesure où elle prévoit la poursuite des travaux sur la création d’une nouvelle ressource propre fondée sur la TVA ainsi que ceux sur la coopération renforcée dans le domaine de la TTF. À cette fin, un groupe de haut niveau présidé par l'ancien Premier ministre italien Mario MONTI a été mis en place en février 2014. Il est chargé de formuler un diagnostic et des pistes de révision du système des ressources propres pour l'après 2020. Il doit remettre son rapport final à la fin de cette année. Ce rapport sera ensuite transmis aux parlements nationaux en vue d'une conférence réunissant parlementaires nationaux et eurodéputés, prévue en juin 2016.
Pour en savoir plus, vous pouvez lire le rapport que mon collègue François MARC a fait au nom de la commission des finances en cliquant ici.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon intervention.
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M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la décision que nous avons à prendre est, au fond, assez bordée.
M. François Marc, rapporteur. Oui !
M. Richard Yung. Le débat budgétaire européen est, d'ailleurs, un débat assez curieux.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Richard Yung. Alors que nous avons discuté des dépenses de l’Union européenne voilà deux ans, ce sont aujourd'hui les recettes – éventuelles ! – qui sont soumises à notre examen, des recettes dont on nous explique qu’elles seront appliquées rétroactivement au 1er janvier 2014. Franchement, c’est à n’y rien comprendre, d’autant que les modalités d’examen des dépenses diffèrent de celles des recettes.
Il serait quand même préférable de discuter des dépenses et des recettes en même temps, afin de comprendre ce que l’on fait du budget que l’on vote. Mais enfin, c’est ainsi ! Puisque les dépenses ont été votées, il paraît assez difficile de ne pas voter les recettes.
Cela dit, je serais curieux de savoir ce qui se passerait si un grand pays comme la France ne votait pas ces recettes. Ce refus conduirait à une crise européenne, qui pourrait peut-être être salutaire ! Mais je ne propose pas que notre pays prenne cette initiative aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'État…
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Ce n’est pas le moment !
M. François Marc, rapporteur. En effet !
M. Richard Yung. Dans son excellent rapport, François Marc a fait le tour de la question. Je partage l’ensemble de ses observations, qui sont souvent assez critiques et montrent qu’il faut davantage aller de l’avant.
Permettez-moi de faire quelques remarques.
Comme cela a été dit, le budget de l’Union européenne reste très faible. Il s’élève structurellement, si je puis dire, à un peu plus de 1 % du revenu national brut des États membres, ce qui équivaut à 150 ou 160 milliards d’euros, quand le produit intérieur brut est de 15 000 milliards d’euros. Dans un État fédéral qui se respecte, si j’ose dire, le budget fédéral est de l’ordre de 18 % à 20 % du revenu national brut. Je ne dis pas qu’il faut se fixer cet objectif – la structure de l’Union européenne n’est pas fédérale –, mais il y a une marge.
Ce budget est en croissance très faible – et encore, la décision a été prise contre le Royaume-Uni. Or, au risque de heurter un certain nombre d’entre vous, mes chers collègues, permettez-moi de souligner que ce budget n’est pas à la hauteur des enjeux.
En effet, il s’agit d’un budget rigidifié : 40 % des ressources sont attribuées à l’agriculture et un peu plus de 35 % à la cohésion régionale. Au total, c’est 75 % du budget qui est, en quelque sorte, structurellement figé ! Dès lors, nous n’avons pas les moyens d’allouer des budgets européens aux secteurs qui en auraient le plus besoin, tels que le numérique, les grandes infrastructures ou encore la téléphonie pour favoriser la croissance et l’emploi. Le fond du problème est là, et nous y avons notre part.
Ceux d’entre vous qui sont élus de grands départements ruraux ont, je le comprends, une approche différente de la mienne, mais il faut quand même regarder les choses comme elles sont. C’est la vérité !
En fait, le budget de l’Union européenne n’est pas efficace. Bien que 40 % du budget soit consacré à l’agriculture, nous allons de crise agricole en crise agricole. J’ignore ce qu’il faut faire pour soutenir le prix du porc, mais, visiblement, nous n’avons pas pris les bonnes décisions.
Quoi qu’il en soit, la faute n’incombe pas à la Commission européenne : une majorité – une forte majorité ! – des États membres ne veut pas un budget significatif. C’est ce que révèle l’analyse politique. Limiter le budget à 1,24 % du revenu national brut est un message très clair.
Dans cette décision, différents éléments entrent en ligne de compte : la crainte de perdre de la souveraineté, la question des relations entre budget national et budget européen – ce n’est pas un problème simple –, ainsi que, sur le fond, des visions divergentes de ce que devrait être l’Union européenne à l’avenir. Vous le savez, nombre d’États membres envisagent plutôt une zone de libre-échange, un marché unique, avec un retour sur investissement.
Alors, pourquoi faire un budget européen ? À quoi pourrait-il servir ?
Ce budget pourrait être un outil de pilotage de la conjoncture économique, en vue de résorber les déséquilibres entre les États.
En effet, l’un des problèmes de l’union économique, mais, surtout, de la zone euro, tient au fait que la même politique monétaire s’applique dans les différents États, en dépit de situations économiques et financières divergentes. Dès lors, il faut essayer de compenser ces différences par d’autres outils. Or l’outil que constituait la politique budgétaire au niveau national a disparu. Essayons donc de nous en doter au niveau européen ou au niveau de la zone euro ! Vous le savez, le marché unique ne fonctionne pas pour ce qui concerne les capitaux.
Les pays excédentaires en épargne, comme l’Allemagne, n’envoient pas cette épargne vers les pays du Sud, qui ont besoin d’investissement. Tout est bloqué, pour diverses raisons : les législations sont différentes, les autorités nationales s’y opposent… Par exemple, la BaFin, l’autorité allemande de régulation financière, s’oppose au transfert entre une société mère allemande et ses filiales si celles-ci sont implantées dans un autre pays de l’Union. On ne peut donc pas financer les investissements là où ce serait nécessaire.
Quant aux flux privés, ils suivent en quelque sorte ce mouvement. À titre d’exemple, ils représentent, aux États-Unis, 75 % des échanges entre les États confédérés. Il nous faut donc mettre en place une Europe de transfert, ce qui ne saurait se faire sans une impulsion publique. Le cadre qui vient spontanément à l’esprit est celui de la zone euro, voire un ensemble plus restreint de pays décidés à aller de l’avant.
Comment financer un tel budget de la zone euro ?
Utilisons en priorité ce qui existe déjà, à savoir le mécanisme européen de stabilité, le MES. Créé voilà quelques années, ce mécanisme propre à la zone euro permet aujourd’hui de lever jusqu’à 700 milliards d’euros pour sauver les différentes institutions et banques privées. Il s’agit aussi d’un outil de solidarité entre les États. Or c’est précisément de solidarité dont nous avons besoin.
Le MES ne devrait pas seulement constituer un instrument d’aide au budget, il serait aussi un outil d’action en matière de politique économique et industrielle. Il pourrait utilement compléter les ressources du plan Juncker, dont l’enveloppe de 300 milliards d’euros n’est pas considérable au regard des besoins de l’Union européenne. Une action coordonnée de ces deux outils permettrait de mieux répondre aux différents besoins de financement.
J’en suis bien conscient, tout cela n’ira pas sans poser de nombreux problèmes. Il faudrait tout d’abord trouver la bonne articulation entre le budget de la zone euro et les budgets nationaux : l’éducation et la défense, par exemple, doivent rester dans la sphère nationale.
Par ailleurs, il faudra dépasser le seuil des 700 milliards d’euros. Si cette somme peut sembler importante, elle reste insuffisante pour financer l’ensemble des besoins soit de l’Union européenne soit de la zone euro. Si les États membres donnent leur garantie, nous devrions pouvoir lever davantage de fonds.
La question de la gouvernance de ce budget européen se pose aussi. Qui va gouverner le budget européen ? Différentes propositions, que je ne reprendrai pas, circulent déjà. Vous avez certainement entendu, mes chers collègues, des personnes bien plus qualifiées que moi évoquer la création, par exemple, d’un poste de commissaire européen chargé du budget de la zone euro.
Au-delà de la gouvernance, quels contrôles démocratiques mettre en place ? Faut-il créer, au sein du Parlement européen, une chambre spécialisée dans la surveillance et le contrôle du budget de la zone euro ? Faut-il créer une instance mixte, mêlant les représentants du Parlement européen et des parlements nationaux ? Notre légitimité, en effet, repose sur le vote du budget. Si nous ne le votons plus, autant aller à la pêche…si l’on est en Bretagne ! (Sourires.)
Nous devons discuter de toutes ces questions, auxquelles je n’apporte pas de solution, monsieur le secrétaire d’État. Je pense néanmoins que nous devons avancer.
Quid également de la relation avec les pays non membres de la zone euro ? Si nous cherchons à poser les bases d’un consensus, comment avancer avec les pays en dehors de la zone euro ? Je ne songe pas uniquement au Royaume-Uni, qui prend notre argent pour financer son rabais, ce qui est assez discutable.
Si ces idées trouvent un certain écho, il nous faudra avancer vite eu égard aux échéances qui nous attendent : 2017 en France ; 2018 dans d’autres pays de l’Union européenne. Or toute modification du statut du MES passe par un traité. Si nous ne lançons donc pas rapidement le processus de négociation, nous n’y arriverons pas.
Telles sont mes propositions. Elles sont, je le reconnais, quelque peu brutales et sortent du cadre de notre discussion, mais j’ai profité de l’occasion qui m’était offerte pour vous en faire part, monsieur le secrétaire d’État.
J’en reviens au texte qui nous est soumis.
Concernant les rabais, le rapporteur a tout dit. Ce sujet nous laisse un goût d’amertume, d’incompréhension, d’injustice. À tout le moins, la position française est juste : elle refuse d’entrer dans le jeu du « petit cadeau ». Nous avons bien fait de résister à cette mécanique, mais il faudra bien un jour tout remettre à plat. La France, avec l’Italie et le Danemark, est le seul contributeur net qui ne bénéficie pas d’un rabais spécifique. Cette situation n’est pas normale.
Tout se passe comme si l’Union européenne était un supermarché, dans lequel chaque État membre se promènerait et choisirait de prendre tel article ou tel autre. Que dire de ces pays qui obtiennent des rabais sur les droits d’importation, alors qu’ils pratiquent un dumping douanier à l’encontre même des intérêts français ! Un tel système ne peut que nous laisser ce petit goût d’amertume dont je parlais à l’instant.
Nous attendons tous beaucoup des réformes à venir. Si quelqu’un peut formuler des propositions fortes, c’est bien Mario Monti, personnalité éminente, exceptionnelle. Je rappelle toutefois qu’il sera entre les mains des États : il ira donc jusqu’où il pourra, mais pas au-delà.
Je dirai un mot des ressources que l’on appelle à tort « propres » – seules les recettes douanières sont en réalité des ressources propres de l’Union européenne, les autres étant des restitutions. S’il est un domaine où nous pouvons nous rejoindre – assiette, taux, problème des dérivés –, c’est bien celui de l’impôt sur les sociétés. Si nous parvenions à harmoniser ces différents éléments, une part de cet impôt pourrait devenir une ressource propre de l’Union européenne.
Nous devrions également nous pencher sur la question de la mutualisation des indemnités sociales, qui finance une partie de notre système social. Il s’agit de ressources considérables, dont le solde est au moins équivalent, sinon supérieur, à celui du budget de l’État. Cette mutualisation nous permettrait non seulement de dégager des ressources, mais aussi de rapprocher les systèmes sociaux et de rendre l’Europe plus lisible. Une telle proposition avait déjà été formulée voilà quelques années ; elle est aujourd’hui quelque peu passée à l’arrière-plan des réflexions, mais elle a le mérite d’être forte.
Enfin, je pense bien évidemment à la TTF, la taxe sur les transactions financières. Tous ceux qui souhaitent que l’Union européenne se dote de véritables ressources propres appellent de leurs vœux la mise en place de cette taxe. Malheureusement, je vois les résistances se développer : le système bancaire français y est assez hostile, à l’instar des autres systèmes de l’Union européenne, sauf celui du Royaume-Uni. Comment élargir aux autres pays ce qu’il est déjà si difficile de faire à onze ? Ce sujet est complexe, et nous nous réjouirons de la moindre avancée.
Sous le bénéfice de toutes ces remarques, c’est avec enthousiasme que nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et de l'UDI-UC.)