Le 12 janvier, j’ai participé à un débat intitulé « Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? », organisé à la demande du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).
Vous trouverez, ci-dessous :
- le compte rendu de mon intervention ;
- la vidéo de mon intervention ;
- la brève interview que j’ai accordée au service de la communication du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la zone euro porte sur un sujet important, qui mérite réflexion et propositions. Je me suis donc réjoui que notre collègue Pierre-Yves Collombat ait inscrit cette question à l’ordre du jour, et je pensais que nous allions pouvoir confronter nos propositions.
Je suis toutefois quelque peu amertumé, si je puis dire, monsieur Collombat. En effet, vous avez consacré l’essentiel des dix minutes qui vous étaient imparties à une charge contre la zone euro, parfois amusante, parfois un peu désuète, par exemple lorsque vous avez fait allusion à l’étalon-or, que plus personne n’utilise depuis quarante ans.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous déformez mon propos !
M. Richard Yung. C’est vous qui l’avez évoqué !
M. Pierre-Yves Collombat. Je l’ai évoqué comme un moyen de faire une monnaie.
M. Richard Yung. L’étalon-or a été abandonné en 1971 !
J’ai donc compris à la fin de votre intervention qu’il n’y avait aucune solution possible et que le système était fermé. Mais alors, pourquoi inscrire cette question à l’ordre du jour ?
M. Pierre-Yves Collombat. Pour que nous en soyons conscients ! Même si c’est dépassé, c’est un moyen de réaliser une telle monnaie !
M. Richard Yung. Toutefois, il n’y a rien à réaliser, puisque, d’après ce que vous nous avez expliqué, il n’y a pas d’avenir possible.
Je ne suis pas souverainiste, et le Brexit constitue à mon avis un problème sérieux pour la zone euro. C’est pourquoi je pense que nous devons avoir ce débat important, afin de faire des propositions pour les années à venir. Le calendrier de 2017 y sera peu propice, avec des élections en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il faudra donc sans doute attendre la fin de l’année pour pouvoir vraiment faire des propositions. Le problème étant suffisamment lourd et difficile, il n’est toutefois pas trop tôt pour commencer à y réfléchir.
Réformer l’architecture de la zone euro, c’est aussi essayer de répondre au désamour vis-à-vis de l’Europe et à la montée des populismes que nous voyons illustrés, d’une part, par le Brexit et le vote souverain qui y a conduit, et, d’autre part, de façon un peu plus amusante, par les palinodies de Beppe Grillo au Parlement européen.
Nous devons être fiers de ce qui a été réalisé. Dans l’histoire, il n’y a pas d’autre exemple d’une vingtaine de pays – nous sommes dix-neuf –, qui décident de mettre en commun leur monnaie et une partie de leur souveraineté. N’étant pas souverainiste, cette mise en commun ne me gêne pas, bien au contraire.
Les institutions de la zone euro et de la BCE ont constitué un progrès important. Sans elles, le franc serait sans doute aujourd’hui à 20 % de moins que l’euro.
M. Pierre-Yves Collombat. Et alors ?
M. Richard Yung. Faut-il ou non réfléchir dans le cadre des traités et accords existants ? Je formulerai plusieurs remarques à ce sujet. La première est qu’il nous faut déjà faire fonctionner les traités et les textes de la zone euro tels qu’ils existent. J’en donnerai deux exemples.
Premièrement, le pacte de stabilité et de croissance date de 1997 et a donc près de vingt ans. Malheureusement, ce texte a essentiellement été interprété comme un pacte de stabilité, car la politique menée par les majorités de droite et de gauche au Parlement européen et à la Commission européenne a consisté à mettre l’accent sur le fameux déficit de 3 % et sur celui de la balance commerciale, occultant le volet croissance, qui n’a fait l’objet d’aucune proposition.
Permettez-moi d’y insister, les États-Unis ont réagi pour leur part dès 2008 de façon beaucoup plus forte, créant les conditions d’une reprise de leur croissance dont nous voyons les effets aujourd’hui.
Deuxièmement, nous avons créé un mécanisme européen dit « de stabilité », qui représente une capacité de 700 milliards d’euros. Dans la réalité, ces fonds qui ont vocation, d’une part, à aider des pays en difficulté budgétaire, et, d’autre part, à recapitaliser indirectement des banques qui en auraient besoin, ne sont pas utilisés.
À ma connaissance, seulement 70 milliards d’euros sur les 700 milliards d’euros disponibles ont été employés. Pourquoi n’utilise-t-on pas complètement ce mécanisme ?
Ma deuxième remarque porte sur la coordination des politiques budgétaires, j’y reviendrai, et la troisième, sur la nécessité de créer un fonds de garantie des dépôts dans le cadre de l’union bancaire. Bien que ce dernier point soit moins central, il revêt tout de même une certaine importance. Nous avons voté une résolution visant à le créer, mais il y a des blocages, en particulier de la part de l’Allemagne.
Nous devons par ailleurs imaginer une capacité budgétaire européenne de la zone euro pour faire face aux chocs économiques. Celle-ci se construirait autour d’une politique de convergence. Le débat a commencé sur la convergence fiscale et de l’impôt sur les sociétés, les problèmes étant ceux de l’assiette et du taux. Une proposition de convergence de l’évolution des salaires est aujourd’hui sur la table.
À ce sujet, on a tort d’accuser l’Allemagne, qui, depuis trois ans, mène une politique relativement forte d’augmentation des salaires. Les salaires allemands ne sont pas au niveau des salaires français, mais ils s’en rapprochent.
Enfin, l’investissement, public comme privé, n’est à la hauteur ni en Allemagne ni en France. Une solution qui me semble centrale consisterait à créer une réserve susceptible d’absorber les chocs économiques, qu’ils soient spécifiques à un pays déterminé ou généraux dans la zone.
La question qui se pose est évidemment celle du financement d’un tel fonds. Je pense que le Mécanisme européen de stabilité devrait être utilisé, sous une forme qui reste à définir, car il est issu d’un traité intergouvernemental. Ces fonds devraient être réintégrés dans l’Union économique et monétaire européenne ou dans la zone euro en tant que telle. Toutefois, dans ce cas, se poserait le problème des États qui n’en sont pas membres, ce qui était, heureusement, le cas du Royaume-Uni. Il apporterait ainsi les bases d’un budget important pour la zone euro, conformément à sa vocation, qui est d’aider les États dont les budgets sont déséquilibrés.
M. Jean Bizet. Il représente en effet 700 milliards d’euros !
M. Richard Yung. Il pourrait aussi financer ces grands investissements dont on discute depuis des années en sautant sur nos chaises – canal Rhin-Rhône, chemin de fer, plan numérique, et j’en passe –, alors que, pour l’heure, rien n’a encore été fait.
Je dois toutefois nuancer mon propos, car le plan Juncker a permis d’avancer sur ces investissements, si bien qu’une proposition est actuellement sur la table, afin de le doubler.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Richard Yung. Il passerait de 350 milliards d’euros à 700 milliards d’euros, ce qui est tout de même considérable.
Comment serait géré ce fonds, qui, sous une forme ou sous une autre, deviendrait le budget de la zone euro ?
Monsieur Gattolin, je pense qu’il faut désigner un responsable de ce fonds, un commissaire ou un ministre européen, qui prendrait ses instructions au conseil des ministres de l’économie et des finances, ou même, quand cela serait nécessaire, au Conseil européen. Un contrôle politique est nécessaire. Cela permettrait d’assurer la cohérence entre l’Eurogroupe, la Commission européenne, le Mécanisme de stabilité européen ou le budget, tout en assurant une représentation extérieure de la zone euro.
Ce responsable devrait donc rapporter au conseil des ministres, mais je pense qu’il devrait également être sous le contrôle d’une structure issue du Parlement européen. Je ne sais pas comment il faudrait appeler cette structure qui reste à inventer, mais elle serait en quelque sorte le parlement de la zone euro – après tout, tous les pays de la zone euro siègent au Parlement européen.
La difficulté serait d’y associer les Parlements nationaux, puisque c’est une partie de notre travail de discuter et de voter le budget. Nous pourrions nous inspirer du système du Bundesrat ou d’autres.
D’autres propositions pourraient sans doute être formulées. Nous pouvons faire des listes infinies de tout ce que nous souhaitons. Or le vrai problème n’est pas tellement de savoir ce que nous voulons faire, mais ce qui est susceptible de rencontrer un écho auprès de l’Allemagne, mais aussi de l’Espagne et de l’Italie.
Face à la politique américaine qui se met en place – America first, une politique traditionnelle des républicains –, et qui montre la volonté des États-Unis de défendre leurs intérêts, face au Brexit, la seule solution qui s’offre à nous est de construire une alliance forte entre la France et l’Allemagne.
Nous devons donc faire des propositions, monsieur le secrétaire d’État, et, dans le courant de l’année 2017, sans doute devrons-nous prendre des décisions susceptibles de produire un choc, afin de relancer le dialogue et d’affirmer notre volonté d’alliance avec l’Allemagne. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)