Le 3 juillet, le Sénat a adopté le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes.
Signé à Aix-la-Chapelle le 22 janvier dernier, ce traité complète celui de l’Élysée (1963), qui a scellé la réconciliation entre l’Allemagne et la France.
Ce nouveau traité de coopération et d’intégration franco-allemandes vise à renforcer « les liens déjà étroits entre l’Allemagne et la France, notamment dans les domaines de la politique économique, de la politique étrangère et de sécurité, de l’éducation et de la culture, de la recherche et de la technologie, du climat et de l’environnement, ainsi qu’en matière de coopération entre les régions frontalières et entre les sociétés civiles ».
Il est structuré en six chapitres : affaires européennes ; paix, sécurité et développement ; culture, enseignement, recherche et mobilité ; coopération régionale et transfrontalière ; développement durable, climat, environnement et affaires économiques ; organisation ; dispositions finales.
Sa mise en œuvre se fera par le biais de quinze projets prioritaires, dont le suivi sera assuré par le Conseil des ministres franco-allemand.
1) Coopération accrue au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, à l’occasion du mandat de deux ans de l’Allemagne (« jumelage » des deux présidences du Conseil de sécurité).
2) Création de quatre instituts culturels franco-allemands intégrés (Rio, Palerme, Erbil, Bichkek) et co-localisation de cinq instituts français et allemands (Cordoba, Atlanta, Glasgow, Minsk, Ramallah).
3) Création d’une plateforme numérique franco-allemande de contenus audiovisuels et d’information.
4) Élargissement des programmes de mobilité (jeunes ayant des besoins spécifiques, stagiaires, apprentis, etc.) et fixation d’objectifs quantifiables.
5) Mise en place d’un Fonds citoyen commun destiné à appuyer les projets conjoints d’acteurs de la société civile (initiatives citoyennes, jumelages de communes, etc.).
6) Mise en place d’un comité de coopération transfrontalière chargé de définir une stratégie commune pour le choix de projets prioritaires, d’assurer le suivi des difficultés rencontrées dans les territoires frontaliers et d’émettre des propositions en vue d’y remédier.
7) Mise en œuvre conjointe d’un projet de territoire portant sur la reconversion de la zone de proximité de la centrale nucléaire de Fessenheim dans le contexte de sa fermeture, au travers d’un parc d’activités économiques et d’innovation franco-allemand, de projets dans le domaine de la mobilité transfrontalière, de la transition énergétique et de l’innovation.
8) Amélioration des liaisons ferroviaires transfrontalières (Colmar-Fribourg, Strasbourg-aéroport de Francfort, Strasbourg-Palatinat, Sarrebruck-Paris).
9) Renforcement de la coopération bilatérale de haut niveau en matière d’énergie et de climat (partage des hypothèses sur l’évolution du mix électrique, étude de la possibilité d’instaurer un plan commun franco-allemand dans les stratégies nationales, création des incitations afin de faciliter la réalisation des objectifs nationaux en matière de transition énergétique).
10) Création d’un réseau franco-allemand de recherche et d’innovation (« centre virtuel ») pour l’intelligence artificielle, reposant sur les structures existantes des deux pays.
11) Coopération dans le secteur spatial (promotion d’une stratégie commune pour une Europe plus innovante au sein de la nouvelle économie spatiale ; accroissement de la compétitivité de l’industrie spatiale ; consolidation de l’accès autonome de l’Europe à l’espace grâce à des investissements en recherche et développement, la rationalisation industrielle et la préférence accordée aux lanceurs européens).
12) Promotion de directives au niveau international sur l’éthique des nouvelles technologies et de valeurs communes dans la sphère du numérique et la société numérique.
13) Création d’un groupe d’experts dans le domaine social, comprenant les partenaires sociaux, sur « l’avenir du travail ».
14) Coopération au sein de l’Union européenne dans le domaine des services et des marchés financiers, en vue de parvenir à un cadre de régulation de haute qualité, notamment sur la finance durable.
15) Création d’un « Forum pour l’avenir » franco-allemand, sous la forme d’une plateforme de dialogue sur les processus de transformation dans nos sociétés.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon explication de vote sur la question préalable (présentée par le groupe communiste) et de mon intervention dans la discussion générale. Vous pouvez également visualiser la vidéo des débats en cliquant ici.
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Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J’ai écouté attentivement Mme Marie-Noëlle Lienemann, qui a défendu la question préalable. J’ai relevé dans ses propos une certaine contradiction, dans la mesure où elle considère ce traité comme inutile et dangereux, tout en estimant qu’il ne va pas assez loin et en regrettant une coopération insuffisante.
Je regrette une telle prise de position, qui exhale un parfum de méfiance à l’égard de l’Allemagne. Il est inexact de dire que ce projet comporte de nombreuses atteintes à la souveraineté de la France et induit une métamorphose profonde de notre modèle social. Les adeptes des fake news ont prétendu que l’Alsace et la Lorraine seraient rattachées à l’Allemagne. Bien évidemment, cela ne figure pas dans le traité ! Au demeurant, si le Bade-Wurtemberg et la Bavière étaient rattachés à la France, nous trouverions ainsi un équilibre ! (Sourires.)
Mme Lienemann a évoqué le siège de la France au Conseil de sécurité. Selon moi, le traité prévoit le contraire de ce qui a été prétendu.
Les déplacements dans le cadre des coopérations transfrontalières seront beaucoup plus fluides pour tous les travailleurs. Les collectivités locales, qui nous sont chères, pourront développer plus facilement des projets communs. Le fait qu’un tramway aille de Strasbourg à Kehl est une bonne chose pour tout le monde, pour ne citer qu’un exemple.
Je considère qu’être hostile à ce traité, c’est être hostile à la construction européenne. D’une certaine façon, c’est vouloir que l’Europe, la France et l’Allemagne ne grandissent pas et ne puissent pas jouer leur rôle au niveau mondial, comme nous le souhaitons au travers de la construction européenne.
Pour l’ensemble de ces raisons, mon groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
[...]
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons à nous prononcer aujourd’hui sur la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle signé en début d’année. Comme en témoigne son intitulé, il s’agit d’un traité de coopération et d’intégration entre la France et l’Allemagne, alors que le traité de l’Élysée de 1963 est un traité d’amitié.
Les résultats du traité de l’Élysée sont importants, puisqu’il a été le socle du développement de l’amitié et de la coopération entre la France et l’Allemagne. De nombreux résultats sont à mettre à son crédit : les jumelages, la création de l’OFAJ, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, le rapprochement des sociétés civiles, un conseil des ministres où siège parfois un ministre de l’autre pays, ce qui est une situation assez rare dans le monde.
Le traité d’Aix-la-Chapelle doit nous permettre d’aller plus loin dans toute une série de domaines, comme la convergence des économies, une approche commune dans la politique européenne, ainsi que la défense, la sécurité et l’armement. Je rappelle à cet égard l’importance de la clause de protection mutuelle.
Cela ne vous surprendra pas, notre groupe votera ce traité, qui est dans la continuité du traité de l’Élysée. Il le prolonge et lui donne des objectifs précis dans de nombreux domaines. Enfin, il est clairement destiné à renforcer la construction européenne. On ne peut pas considérer le traité d’Aix-la-Chapelle sans considérer la construction européenne.
Pour autant, nous n’accueillons pas ce texte de manière aveugle et béate. Nous voyons bien les faiblesses de la construction européenne et de l’amitié franco-allemande. Malgré les références à l’importance du moteur franco- allemand, les progrès réels sont longs et difficiles, à la suite d’oppositions fréquentes, notamment dans le domaine économique et financier.
De nombreux projets ont été tentés, mais sans grand succès. Je pense à la convergence fiscale, aux problèmes des cycles et des contrecycles et à la difficile naissance d’un budget de la zone euro. Mais si nous sommes parfois déçus, nous ne sommes pas découragés. Nous sommes donc prêts à repartir de l’avant.
L’Allemagne considère que les exportations, et singulièrement celles de l’industrie et de l’automobile, sont le moteur de sa croissance, alors que, pour la France, c’est la consommation des ménages et des administrations qui le sont. Nous le voyons bien, le rapprochement des deux politiques économiques est difficile. Ce constat est également vrai dans le domaine de la défense, même si un certain nombre d’avancées importantes ont été réalisées récemment : le Fonds européen de défense, certes communautaire, le projet d’un avion de combat et d’un char commun.
Reste la question douloureuse, sur laquelle je ne reviens pas, des exportations d’armement, au sujet desquelles les Allemands – je parle en toute amitié – ont une pratique différente de leur discours.
Nous voyons aussi que, s’agissant des grands dossiers internationaux, il y a encore à faire – l’Europe ne pèse pas vraiment dans les négociations commerciales mondiales. Là doit être, selon nous, le moteur du développement européen.
Enfin, nous ne parvenons pas à formuler une perspective européenne et communautaire pour nos institutions et pour nos politiques à long terme.
Je ne suis évidemment pas de ceux qui critiquent la présence forte et influente de l’Allemagne dans les institutions communautaires, et en particulier au Parlement européen : les Allemands y envoient des députés d’expérience, qui font plusieurs mandats, qui suivent les mêmes dossiers pendant plusieurs années, qui « ont les rapports », comme on dit dans le jargon de Bruxelles, alors que les Français… – je vous laisse conclure vous-mêmes, mes chers collègues ; vous savez comment ça marche !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas vrai !
M. Richard Yung. Nous devons donc être lucides, c’est-à-dire être pour ce traité, qui représente, si nous sommes prêts à nous en saisir et à nous en servir, un moyen important d’avancer, tout en disant aux Allemands que le moment est venu – plusieurs d’entre vous l’ont dit – de ne plus se contenter de paroles, de références non pas au veau d’or, mais à l’amitié franco-allemande, et de construire sur du concret en se montrant ouverts et coopératifs.
Nous voterons le projet de traité d’Aix-la-Chapelle. (M. Christian Cambon, président de la commission, applaudit.)