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Richard Yung
Octobre 2021

Faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050. Voilà l’objectif ambitieux fixé par le pacte vert pour l’Europe, que la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le 11 décembre.

Cette initiative sans précédent montre que l’exécutif européen a pris la mesure de l’urgence climatique et environnementale. Elle fait écho au discours de la Sorbonne, dans lequel le Président de la République avait affirmé sa volonté de voir l’Europe « être à l’avant-garde de la transition écologique efficace et équitable ».

Je me réjouis que les États membres aient fait leur l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050, tout en regrettant que la Pologne se soit désolidarisée de ses partenaires européens. Cette quasi-unanimité est d’autant plus remarquable que seuls quatre États membres soutenaient cet objectif en mars dernier (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas).

Afin de concrétiser le pacte vert, la Commission propose de mettre en place « une nouvelle stratégie de croissance pour l’UE ». Concrètement, il s’agit de repenser les politiques de l’Union à travers le prisme de la durabilité. La transformation radicale de notre économie doit conduire à « une croissance qui donne plus qu’elle ne prend ». L’exécutif européen considère, à juste titre, que le numérique constitue un catalyseur essentiel de ce changement.

L’objectif de neutralité climatique a récemment été introduit dans le droit français. Il sera très prochainement gravé dans une législation européenne sur le climat, qui « garantira également que toutes les politiques de l’UE contribueront à l’objectif de neutralité climatique et que tous les secteurs joueront leur rôle ». Par ailleurs, d’ici à l’été 2020, la Commission présentera un plan destiné à « porter l’objectif de l’UE en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 à au moins 50% et tendre vers 55% par rapport aux niveaux de 1990, et ce de manière responsable ». La feuille de route de la Commission prévoit aussi une nouvelle stratégie de l’UE relative à l’adaptation au changement climatique. Je salue cette volonté de renforcer l’ambition climatique de l’UE.

En matière énergétique, l’objectif de la Commission est de garantir un approvisionnement « propre, abordable et sûr ». À cette fin, elle présentera des mesures principalement destinées à lutter contre la précarité énergétique, favoriser le déploiement de technologies et d’infrastructures innovantes et faciliter « l’intégration intelligente des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et des autres solutions durables dans tous les secteurs ».

Partant du constat que l’industrie européenne « représente toujours 20% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE », la Commission souhaite mobiliser les acteurs de l’industrie via une stratégie industrielle de l’UE et un plan d’action pour l’économie circulaire (mars 2020). Ce dernier comprendra une initiative sur les produits durables et mettra l’accent sur les secteurs gros consommateurs de ressources (textile, construction, électronique, plastique, etc.). L’un des objectifs est de « faire en sorte que tous les emballages sur le marché de l’UE soient réutilisables ou recyclables d’une manière économiquement viable d’ici 2030 ». Les entreprises et les consommateurs seront par ailleurs incités à proposer ou choisir des « produits réutilisables, durables et réparables ». À cet égard, un « droit à la réparation » pourrait être institué et « les produits pourraient être dotés d’un passeport électronique qui fournirait des informations sur leur origine, leur composition, leurs possibilités de réparation et de démontage, ainsi que sur leur traitement en fin de vie ». En vue de réduire la quantité de déchets, la Commission a notamment prévu de lutter contre le suremballage, stimuler le marché des matières premières secondaires et mettre fin aux transferts de déchets en dehors du territoire de l’UE.

Pour ce qui concerne le secteur du bâtiment, qui représente 40% de la consommation d’énergie, la Commission souhaite étudier « la possibilité d’inclure les émissions des bâtiments dans le système européen d’échange de quotas d’émission ». Elle souhaite aussi réexaminer la réglementation de l’UE sur les produits de construction. De plus, l’année prochaine verra le lancement d’une initiative en matière de rénovation, qui mettra l’accent sur la rénovation des logements sociaux, des écoles et des hôpitaux.

Pour parvenir à la neutralité climatique, l’UE doit impérativement réduire de 90% les émissions du secteur des transports d’ici à 2050. Pour ce faire, la Commission présentera une stratégie visant à « accélérer la transition vers une mobilité durable et intelligente ». Parmi les mesures envisagées figurent la promotion du transport multimodal (acheminement des marchandises par au moins deux modes de transport différents), la suppression des subventions accordées aux combustibles fossiles, l’application du système européen d’échange de quotas d’émissions au secteur maritime et au transport routier, l’encouragement de la production et du déploiement de carburants de substitution durables, le durcissement des normes en matière d’émissions de polluants atmosphériques pour les véhicules à moteur à combustion, ainsi que l’obligation, pour les navires amarrés, d’utiliser l’alimentation électrique à quai.

La Commission ambitionne également de faire de l’alimentation européenne la norme mondiale en matière de durabilité. À cette fin, elle présentera une stratégie intitulée « De la ferme à la table », qui dessinera les contours d’« un système alimentaire juste, sain et respectueux de l’environnement ». La Commission souhaite que 40% au moins du budget global de la politique agricole commune (PAC) et 30% au moins du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) contribuent à l’action en faveur du climat. Elle souhaite aussi que les plans nationaux en faveur de l’agriculture débouchent sur des pratiques durables (agriculture de précision, agriculture biologique, agroécologie, agroforesterie) ainsi que sur des normes plus strictes en matière de bien-être animal.

En vue d’enrayer la perte de biodiversité, la Commission présentera, dès mars prochain, une stratégie qui « proposera des objectifs mondiaux de protection de la biodiversité et comprendra des engagements visant à répondre aux principales causes de la perte de biodiversité dans l’UE ». Des mesures ciblant les principaux facteurs de la perte de biodiversité seront prises à partir de 2021. L’urgence est d’autant plus grande que plus de 28.000 espèces sont actuellement menacées d’extinction, dont 25% des mammifères et 14% des oiseaux. Par ailleurs, afin d’améliorer la surface forestière de l’Union, à la fois en qualité et en quantité, la Commission élaborera une nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts. Enfin, au regard du rôle joué par les océans dans l’adaptation au changement climatique, elle proposera des mesures dans le domaine maritime (gestion durable de l’espace maritime ; tolérance zéro en matière de pêche illicite, non déclarée et non réglementée ; etc.).

La dernière priorité de la Commission concerne les substances toxiques. Afin de mieux protéger les citoyens et les écosystèmes européens, elle présentera, en 2020 et 2021, une stratégie durable dans le domaine des produits chimiques (encouragement de l’innovation en vue du développement de solutions de substitution sûres et durables), un plan d’action « zéro pollution » pour l’air, l’eau et les sols (lutte contre la pollution due au ruissellement urbain; révision des normes en matière de qualité de l’air; etc.), ainsi que des mesures visant à lutter plus efficacement contre la pollution causée par les grandes installations industrielles (amélioration de la prévention des accidents industriels ; etc.).

Je constate avec satisfaction que plusieurs demandes françaises sont satisfaites.

Afin de réduire le risque de fuite de carbone, la Commission souhaite la mise en place d’« un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour certains secteurs ». Une proposition en ce sens sera présentée en 2021. Comme l’a indiqué le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, ce mécanisme permettra à « nos industriels les plus exposés à la mondialisation d’être sur un pied d’égalité avec les entreprises, les industries concurrentes venant d’autres régions du monde qui n’ont pas les mêmes exigences environnementales ».

Il faut également se réjouir que l’exécutif européen ait repris à son compte l’idée de « faire du respect de l’accord de Paris un élément essentiel de tous les accords commerciaux globaux futurs », au même titre que le respect des droits de l’homme et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

Comme l’a indiqué le Conseil européen dans ses conclusions du 12 décembre, la transition vers la neutralité climatique « exigera d’importants investissements publics et privés ». Selon la Commission, pas moins de 260 milliards d’euros annuels supplémentaires sont nécessaires pour atteindre les objectifs actuels en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030.

Pour répondre aux besoins de financement supplémentaires, la Commission présentera, dès le mois prochain, un plan d’investissement pour une Europe durable. Ce plan sera financé par le budget de l’Union (la Commission souhaite que 25% des dépenses soient consacrées à l’action pour le climat) et la Banque européenne d’investissement (BEI), qui a annoncé « son intention de soutenir la mobilisation de 1.000 milliards d’euros d’investissements à l’appui de l’action pour le climat et de la viabilité environnementale au cours de la période 2021-2030 ».

Le secteur privé sera également mis à contribution. Pour ce faire, la Commission présentera, à l’automne 2020, une stratégie renouvelée en matière de finance durable, qui prévoira des actions visant à « orienter les flux financiers et les flux de capitaux vers les investissements écologiques ».

Considérant, à juste titre, que la transition vers la neutralité climatique « ne peut être réussie que si elle est menée de manière équitable et inclusive », la Commission proposera, dès le mois prochain, la création d’un mécanisme pour une transition juste, dont l’objectif sera d’accompagner « les régions et les secteurs les plus affectés par la transition du fait de leur dépendance aux combustibles fossiles ou aux processus à forte intensité de carbone ». Ce mécanisme devra faciliter 100 milliards d’euros d’investissements entre 2021 et 2027. Financé par le budget de l’Union et la BEI, il comprendra notamment un Fonds pour une transition juste, qui sera mis en œuvre dans le cadre de la politique de cohésion (aide à la reconversion professionnelle ; appui au développement d’activités sobres en carbone et résilientes au changement climatique ; etc.). L’objectif est de « ne laisser personne de côté ».

La transition écologique et solidaire proposée par la Commission vise à rendre compatibles croissance et environnement. Les États membres et les citoyens européens sont invités à transformer les défis climatiques et environnementaux en opportunités. Le plus dur reste à venir. Il faudra impérativement veiller à ce que les moyens financiers mobilisés soient à la hauteur des ambitions affichées par Mme von der Leyen. Il faudra également s’assurer que la concrétisation du pacte vert n’aboutisse pas à une usine à gaz bureaucratique. Il y va de l'avenir de notre planète et de la vie qu'elle abrite.