Du 2 au 10 février, je suis intervenu – en tant que chef de file du groupe socialiste – lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Ce texte – le sixième du genre depuis 2002 – est censé transposer en droit français trois directives européennes (« retour », « carte bleue européenne », « sanction »). Il comprend également de nombreuses mesures répressives visant à traduire dans la loi les annonces que Nicolas Sarkozy avait faites dans son discours de Grenoble du 30 juillet dernier.
Quelques avancées…
Lors des débats en commission et en séance publique, nous avons rappelé l’impérieuse nécessité de rompre avec la « politique du chiffre » et de mettre un terme à l’amalgame immigration-délinquance.
Plusieurs dispositions portant atteinte à notre Etat de droit ont été supprimées à notre initiative : extension des motifs de déchéance de la nationalité française (182 voix contre 156) ; restriction du droit au séjour pour les migrants sans papiers atteints d’une maladie grave qui ne peuvent être soignés dans leur propre pays ; report à cinq jours (au lieu de deux jours actuellement) du délai avant l’expiration duquel le juge des libertés et de la détention doit être saisi pour statuer sur une demande de maintien en rétention (184 voix contre 153) ; etc.
Par ailleurs, nous avons fait adopter des dispositions importantes : renouvellement automatique de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » en cas de décès du conjoint français ; simplification de la procédure de renouvellement des titres d’identité ; introduction d’un recours suspensif contre les arrêtés de reconduite pris dans le cadre de la procédure dite « Dublin II » (renvoi des demandeurs d’asile vers l’Etat membre de première entrée) ; etc.
Au total, douze de nos amendements – sur les 220 que nous avions déposés – ont été adoptés.
…qui ne suffisent pas à rendre le texte acceptable
En dépit des quelques modifications apportées en commission des lois et en séance publique, le texte adopté par le Sénat comporte de nombreuses dispositions inacceptables:
- création de zones d’attente ad hoc – dites « sac à dos » – destinées à faciliter l’expulsion d’étrangers qui sont déjà présents sur le territoire français et qui pourraient prétendre au statut de réfugié ;
- création d’une mesure administrative de bannissement – l’interdiction de retour sur le territoire français – applicable à tout l’espace Schengen pendant une période maximale de cinq ans ;
- allongement disproportionné de la durée maximale de la rétention administrative de 32 jours actuellement à 45 jours (lors de l’adoption de la directive dite « retour », en 2008, Brice HORTEFEUX s’était pourtant officiellement engagé à ne pas modifier la durée maximale de rétention) ;
- possibilité pour le juge judiciaire de maintenir en rétention durant dix-huit mois les étrangers ayant purgé une peine pour actes de terrorisme ;
- durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité française (allongement des délais permettant le retrait de la nationalité, extension du délai pendant lequel l’administration peut refuser d’enregistrer une déclaration de nationalité, etc.) ;
- pénalisation des « mariages gris » (mariages contractés en toute bonne foi par un ressortissant français avec un étranger dont le but est d’obtenir un titre de séjour ou la nationalité française) ;
- transposition a minima du droit de libre circulation et de séjour des citoyens de l'Union et des membres de leur famille ;
- soumission du contrôle du juge des libertés et de la détention au système dit de la « purge des nullités » en cas d’examen d’une demande de maintien en zone d’attente ou de prorogation de la rétention administrative ;
- extension de la procédure dite « prioritaire » en matière d’asile (procédure beaucoup moins protectrice que la procédure normale) ;
- refus du gouvernement d’introduire, à notre demande, un recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour les migrants dont le dossier a été rejeté par l’OFPRA dans le cadre d’une procédure prioritaire ;
- refus du gouvernement d’abroger le « délit de solidarité » ;
- extension du régime dérogatoire applicable dans les DOM-TOM.
Cette liste est loin d’être exhaustive, mais elle reflète bien les principes qui sous-tendent le projet de loi: banalisation de l’enfermement des migrants en situation irrégulière ; mise à l’écart des juges judiciaires ; renforcement du pouvoir discrétionnaire de l’administration ; dévoiement du droit d’asile ; atteintes à la libre circulation des personnes en Europe ; stigmatisation des couples binationaux ; etc.
Après cinq jours et quatre nuits de débats, nous avons voté contre le texte défendu par le ministre de l’Intérieur (voir mon explication de vote ci-dessous).
Retour à la case départ
Malheureusement, moins d’une semaine après le vote de la Haute assemblée, le gouvernement et les députés de la majorité ont balayé du revers de la main tout le travail effectué par l’opposition sénatoriale. Le 16 février, la commission des lois de l’Assemblée nationale a en effet réintroduit dans le texte toutes les mesures les plus inacceptables. Les dispositions qui avaient été adoptées à notre initiative ont également été supprimées.
Dans ces conditions, il est à craindre que les députés de la majorité adoptent en seconde lecture une version encore plus dure du projet de loi. Cela renforce notre volonté de poursuivre la bataille lorsque le texte reviendra au Sénat, sans doute au début du printemps.
Explication de vote (séance du 10 février)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Nous voici donc parvenus à la fin d’un débat qui nous aura occupés près de six jours entiers, au cours desquels nous avons examiné environ cinq cents amendements. On peut dire que le Sénat a bien travaillé !
Je veux d’ailleurs, à mon tour, rendre hommage à M. le rapporteur, qui, bien que nous soyons en désaccord sur de nombreux points, a adopté une attitude d’ouverture tout au long de la discussion.
Comme nous l’avions affirmé d’emblée, ce texte va bien au-delà de la simple transposition des trois directives relatives, respectivement, à la « carte bleue » européenne, au retour des étrangers et à l’emploi irrégulier. En réalité, il sert de support pour introduire certaines mesures que le Gouvernement avait en tête et qui n’ont rien à voir avec lesdites directives.
Une telle manière de procéder est au fond assez logique, ce texte s’inscrivant dans une politique que nous connaissons bien puisqu’elle est à l’œuvre depuis un certain nombre d’années et qui consiste à instrumentaliser le thème de l’immigration sans se préoccuper de résoudre le problème.
En effet, nous constatons que, à cet égard, la situation ne bouge pas, malgré les grandes envolées où l’on brandit toutes sortes de chiffres : on compte toujours en France entre 300 000 et 400 000 travailleurs irréguliers, la même pression démographique s’exerçant aux frontières du territoire français. Mais ce qui compte, c’est d’en parler, pour que le journal de vingt heures s’ouvre sur ce sujet… Bref, ce qui compte, c’est de montrer que le discours de Grenoble se traduit dans les faits !
À l’issue de nos débats, je note un certain nombre de points positifs, et importants : l’article 3 bis visant à étendre les cas de déchéance de la nationalité française a été supprimé, tout comme l’article 17 ter, relatif aux conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire accordée pour raisons de santé, ainsi que l’article 37, qui introduisait une inversion du contentieux administratif et du contentieux judiciaire et la mise à l’écart éventuelle du juge judiciaire.
Grâce à la suppression de ces trois dispositions centrales, le texte qui sera examiné par l’Assemblée nationale est d’une autre nature que celui qui nous avait été transmis. Nous serons évidemment attentifs à ce que les députés feront en deuxième lecture. En effet, il ne faudrait pas que l’ensemble des mesures que le Sénat a supprimées soient réintroduites, non pas subrepticement, mais par un groupe de députés très marqués à droite.
Par ailleurs, l’adoption d’une dizaine d’autres amendements a également permis d’améliorer le texte, notamment pour ce qui concerne la délivrance des documents d’identité et le caractère suspensif du recours dans le cadre du règlement Dublin II.
Malheureusement, nombre de points négatifs subsistent, à commencer par le parcours du combattant que suppose l’acquisition de la nationalité française. Je pense aussi à l’allongement des délais permettant le retrait de la nationalité et à l’extension du délai pendant lequel l’administration peut refuser d’enregistrer une déclaration de nationalité. Ainsi, l’étranger souhaitant accéder à la nationalité française est confronté à des obstacles de plus en plus élevés.
Les dispositions relatives au « mariage gris » – expression peu élégante ! – sont maintenues et l’article 23 prévoit une OQTF sans délai de départ volontaire, en vertu de ce que nous considérons comme une interprétation abusive de la notion communautaire de risque de fuite. Pourtant, la directive Retour établit clairement que le délai de départ volontaire doit constituer la règle. L’absence de délai emportera des conséquences graves, notamment la soumission de l’étranger à une mesure que nous persistons à appeler le bannissement, même si le terme fait frémir un certain nombre d’entre vous, mes chers collègues.
Parallèlement est créée une interdiction de retour sur le territoire français, dont nous avons demandé à de nombreuses reprises la suppression.
En outre, un certain nombre d’articles de ce projet de loi visent à restreindre et à transposer a minima les droits de libre circulation des ressortissants communautaires, ce qui ne manquera pas de poser certains problèmes avec nos partenaires d’Allemagne, de Belgique, de Suède – j’allais évoquer le Liechtenstein, mais ce n’est pas un bon exemple ! –, alors que ce sont deux pays précis qui sont ici visés ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
J’évoquerai également, monsieur le ministre, l’allongement de la durée de la rétention de 32 à 45 jours, malgré votre engagement – ou ce que nous avions interprété comme tel – de ne pas œuvrer en ce sens. Vous allez sans doute nous répondre qu’il s’agit de la durée la plus courte, mais ce n’est pas en soi un argument.
Quant à la procédure de « purge des nullités », elle vise tout simplement à entraver le travail du juge judiciaire, tandis que la procédure prioritaire est étendue au droit d’asile.
Voilà une liste assez longue, mais qui est loin d’être exhaustive, de points négatifs qui continuent d’entacher ce projet de loi. Ce dernier s’avère donc non seulement inutile – les cinq lois qui l’ont précédé n’ont pas été mises en œuvre ou se sont révélées inefficaces –, mais aussi dangereux.
Je le répète, nous serons très attentifs au débat qui s’ouvrira à l’Assemblée nationale et tirerons les conséquences des positions qui seront adoptées par les députés. Notre attention se portera tout particulièrement sur les articles susceptibles d’être soumis au Conseil constitutionnel. Bien que nous soyons assez prudents en la matière, nous pouvons dire qu’au moins une demi-douzaine d’articles suscitent des doutes quant à leur conformité au bloc de constitutionnalité.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)