Sur l’initiative du sénateur Richard YUNG, une délégation de parlementaires composée des sénatrices Alima BOUMEDIENE-THIERY, Bariza KHIARI, Claudine LEPAGE et de la députée George PAU-LANGEVIN s’est rendue aux centres de rétention administrative (CRA) 2 et 3 du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) le lundi 19 septembre.
Ce déplacement visait à constater l’ampleur des dégâts causés par l’industrialisation de la rétention des migrants, à mesurer les conséquences de la banalisation de l’enfermement des enfants et à évaluer les premiers effets de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (allongement de 32 à 45 jours de la durée maximale de la rétention ; recul de 2 à 5 jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention ; légalisation des audiences délocalisées dans des salles spécialement aménagées à proximité des CRA ; etc.).
Situés en bordure des pistes de l'aéroport de Roissy-CDG, les deux nouveaux CRA du Mesnil-Amelot constituent en réalité un seul et même centre. Il n’existe en effet pas de distinction claire entre les deux bâtiments administratifs, qui, bien que séparés par une ruelle étroite, sont reliés par une passerelle abritant les bureaux de la direction départementale de la police de l’air et des frontières (PAF) de la Seine-et-Marne. La proximité entre les deux centres est telle que certains migrants qui seront enfermés dans le CRA n°3 pourront aisément voir et dialoguer avec ceux qui sont retenus dans le CRA n°2.
En outre, ces lieux de privation de liberté disposent d’une capacité totale de 240 places (2 fois 120 places). Or, d’après l’article R.553-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la capacité d’accueil des CRA ne peut dépasser 140 places. Au total, lorsque le CRA n°1 – dont le projet de fermeture définitive a été abandonné – aura été rénové, 380 personnes – parmi lesquelles des enfants – pourront potentiellement être enfermées au Mesnil-Amelot.
Dans ces conditions, les parlementaires sont en droit de s’interroger sur la légalité des CRA n°2 et 3. Saisi par le service œcuménique d’entraide (CIMADE), le Conseil d’Etat devrait prochainement se prononcer sur ce point.
Au CRA n°2, ils ont été accueillis par M. le capitaine Fabrice FAUCHER, adjoint au chef de centre, et M. le commissaire divisionnaire Xavier DEBRENNE, directeur départemental de la PAF.
Ce lieu de privation de liberté a ouvert ses portes le 1er août dernier, soit plus d’un an après la date initialement prévue. Ce retard s’explique par la découverte de malfaçons qui a contraint l’administration à engager des travaux supplémentaires. Il n’est pas non plus inutile de rappeler qu’en 2008, des travailleurs intérimaires sans-papiers avaient été interpellés sur le chantier des futurs CRA.
Lors de la visite, 61 migrants – dont 3 femmes – étaient présents dans ce centre, qui dispose d’une capacité totale de 120 places. A leur arrivée, les élus ont aperçu, dans le greffe, une famille d’origine serbe avec quatre enfants de 6 à 16 ans qui faisait son entrée dans le centre.
Avant la visite, le Réseau éducation sans frontières (RESF) avait attiré l’attention des parlementaires sur la présence, parmi les retenus, d’un ressortissant égyptien de confession copte. Cet ingénieur, arrivé en France en 2007 et père de deux enfants scolarisés dans les Hauts-de-Seine, a été arrêté le 16 août dernier alors qu’il descendait d’un bus, à Nanterre. Le cas de ce migrant montre que le Chef de l’Etat n’a pas tenu son engagement d’apporter la « protection de la République française » aux coptes égyptiens, qui, en dépit de la révolution, restent menacés dans leur pays.
Par ailleurs, une jeune femme originaire de République démocratique du Congo (RDC) figurait parmi les personnes présentes dans le CRA. Frappée d’une OQTF prononcée suite à une demande d’asile déposée sous une fausse identité, cette migrante de 17 ans a été privée de liberté après un examen osseux qui a conclu à sa majorité[1]. La RDC faisant partie des pays – récemment pointés du doigt par le ministre de l’Intérieur – qui refusent quasi systématiquement de réintégrer leurs ressortissants lorsque ceux-ci ont été arrêtés en France en situation irrégulière, il est à espérer que cette jeune femme sera prochainement libérée.
Le fonctionnement du CRA n°2 est assuré par 120 fonctionnaires de la PAF, soit un ratio d’un agent par retenu. Ce sont autant de personnels en moins dans les aéroports de Paris pour assurer le contrôle aux frontières. Les parlementaires ont noté avec intérêt que les agents affectés à la garde du CRA ne sont pas armés (le port d’arme n’est autorisé que pendant les escortes). Cette pratique – qui relève de la bonne volonté du chef de centre et non de l’application d’une disposition législative ou réglementaire – est conforme aux recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Elle est également raisonnable car la rétention administrative n’a pas pour fonction de sanctionner la commission d’une infraction pénale[2].
Les installations sont propres et modernes. Pour autant, à l’instar de tous les lieux d’enfermement, le CRA n°2 apparaît comme un terrain propice à la déshumanisation. Ce risque est accentué par la présence de nombreuses caméras de surveillance panoramiques, qui permettent un contrôle permanent des personnes retenues.
Les parlementaires ont débuté leur visite par la salle de fouille et le local dans lequel sont conservés certains effets personnels[3] et les bagages des migrants. Ils ont noté avec consternation la présence de sièges-auto pour enfants, qui sont utilisés lors des transferts au tribunal de grande instance (TGI).
Les élus ont ensuite visité une salle dans laquelle sont centralisées toutes les informations concernant les personnes retenues
Le capitaine FAUCHER leur a indiqué que les migrants, au moment de leur arrivée au CRA, reçoivent un kit (couverture ; brosse à dents ; etc.). En outre, les prestations d’interprétariat – téléphonique – sont effectuées par ISM (Inter Services Migrants), une association non gouvernementale à but social et non lucratif.
Le bâtiment principal comprend un long couloir qui dessert les salles servant à recevoir les visites (familles, avocats, autorités consulaires), l’infirmerie, le local de l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et la permanence de la CIMADE. Les parlementaires regrettent que les migrants ne puissent pas librement accéder à ces locaux, qui sont séparés des espaces de « vie » par des grilles et des portes hachoirs dont l’ouverture est laissée à la discrétion des agents de la PAF. Ils rappellent que la rétention constitue une mesure privative de liberté, mais se distingue de la détention notamment par la libre circulation à l'intérieur du CRA.
Devant le local de l’OFII, les élus ont interrogé Mme Françoise BOYER sur son rôle dans le CRA. Elle est notamment chargée de fournir aux retenus des cartes de téléphone et des cigarettes, de rapatrier leurs bagages, d’assurer le lien avec leurs proches, de récupérer leurs salaires, de clôturer leurs comptes bancaires et de leur fournir une assistance psychologique. En revanche, Mme BOYER et ses collègues de l’OFII qui interviennent dans le CRA n°2 ne gèrent pas les dossiers de demande d’aide au retour volontaire (ARV)[4]. En effet, en l’état actuel du droit, un étranger qui est placé en rétention ne peut pas solliciter ce dispositif[5].
Le bâtiment principal abrite également un réfectoire dans lequel les personnes retenues peuvent prendre leurs trois repas quotidiens. Il est équipé pour recevoir des nourrissons et des enfants.
Les élus ont noté avec satisfaction que le règlement intérieur du centre traduit en plusieurs langues est placardé sur un mur, conformément à l’article R.553-4 du CESEDA.
Outre le bâtiment principal, le CRA n°2 se compose de trois zones de « vie » qui sont chacune ceinturées par un grillage métallique. Chaque espace comprend deux bâtiments et une cour de promenade bitumée agrémentée d’un banc, de quelques carrés de gazon et d’un distributeur automatique de boissons et de nourriture.
Dans l’une des zones de « vie » se trouvent cinq unités de vie familiale d’une capacité totale de 40 places. Cet été, une ressortissante géorgienne et ses trois enfants – tous nés en France – ont été enfermés dans l’une d’entre elles. Chaque unité ne peut accueillir qu’une famille à la fois. D’après le capitaine FAUCHER, les femmes seules et les couples sans enfant(s) sont également placés dans ces unités.
Les cellules comprennent des chambres équipées de tables à langer et de lits pour bébé, une salle de télévision et un sanitaire avec douche, lavabo et water-closet. Pendant la journée, les familles peuvent accéder à une cour dont les trois quarts de la surface sont goudronnés. En revanche, pendant la nuit, les retenus sont contraints, s’ils souhaitent prendre l’air, de rester dans la courette qui se trouve devant le bâtiment et qui est fermée par une grille. L’administration a invoqué un motif sécuritaire.
Les deux autres zones de « vie », d’une capacité totale de 80 places, sont réservées aux hommes. Les bâtiments sont divisés en cellules comprenant chacune deux lits. Pour passer le temps ou se défouler, les retenus disposent d’un baby-foot. Interrogés sur l’éventuelle répartition des retenus selon leur communauté d’origine, les responsables du CRA ont répondu par la négative tout en signalant aux élus que les migrants de confession musulmane ont été regroupés dans un même bâtiment pendant la période du ramadan.
Les parlementaires ont pu échanger quelques mots avec des retenus parlant français ou arabe. Parmi ces derniers, certains sont installés en France depuis plusieurs années et sont parfaitement intégrés. L’incompréhension pouvait se lire dans leurs yeux. Un ressortissant algérien a indiqué avoir été interpellé à la descente de sa voiture alors qu’il se rendait à son travail. Enfermé depuis une trentaine de jours, il espère pouvoir être remis en liberté à l’issue des 45 jours de rétention. En outre, un ressortissant tunisien a attiré l’attention des élus sur le fait que plusieurs de ses compagnons d’infortune ont été interpellés à proximité de foyers de travailleurs.
Les élus se sont également entretenus avec deux des cinq permanents de la CIMADE qui se relaient pour apporter une aide juridique aux migrants. Mme Aurélie VAUGRENARD et M. Stefano REGA ont confirmé l’application très stricte de la nouvelle loi relative à l’immigration. L’inversion de l’ordre des juges administratif et judiciaire a pour effet d’accroître très sensiblement le rythme des expulsions. Des migrants sont ainsi chassés du territoire français avant même d’avoir pu défendre leurs droits. En revanche, il semblerait que l’allongement de la durée maximale de la rétention n’ait pas eu d’effets notables en matière de délivrance des laissez-passer consulaires (LPC). Cela explique sans doute le fait que le ministre de l’Intérieur veuille faire pression sur les huit pays (Angola, Bangladesh, Congo, Mali, Mauritanie, Pakistan, République démocratique du Congo, Sénégal) qui rechignent le plus à réintégrer leurs ressortissants. En outre, les intervenants de la CIMADE ont indiqué aux élus que seules deux ou trois demandes d’asile déposées par des personnes retenues aboutissent chaque année.
La visite du CRA n°3 a été assurée par M. le commandant Hervé MAÇOU-PISSEU, chef de centre. Ce lieu de privation de liberté a officiellement ouvert ses portes le 19 septembre, soit le jour même de la visite des élus. Les locaux sont organisés sur le même modèle que celui du CRA n°2.
Le centre était vide car tous les personnels n’y ont pas encore été affectés. En outre, le ministère de l’Intérieur a réquisitionné la CIMADE pour intervenir dans le CRA n°3. Cependant, l’association n’ayant pas les effectifs suffisants pour assurer des permanences dans ce centre, la préfecture de Seine-et-Marne a fait appel au barreau de Meaux. Maître Marie-Isabel CALÇADA a fait savoir aux parlementaires que pendant les trois prochains mois – i.e. jusqu’à ce que l’appel d’offres aboutisse –, des avocats meldois interviendront bénévolement dans le centre. Pour ce faire, ils s’engagent à ne pas proposer leurs services aux retenus dans le cadre de la procédure judiciaire.
Par ailleurs, un bâtiment du ministère de la justice abritant des salles d’audience est actuellement en cours d’aménagement à proximité des nouveaux CRA. Ces installations, qui sont situées à l’intérieur de la première enceinte grillagée, apparaissent comme une extension du centre de rétention. Leur mise en service contribuera à la mise en place d’une justice d’exception pour les étrangers placés en rétention.
La possibilité de tenir des audiences délocalisées existe pour les juges judiciaires depuis 2003. Les parlementaires rappellent que lors de l’examen du dernier projet de loi relatif à l’immigration, ils s’étaient fermement opposés à la légalisation des audiences délocalisées pour les juges administratifs. Ces derniers craignent que la tenue d’audiences délocalisées dans des lieux dépourvus de solennité n’accroisse « la confusion parfois déjà présente dans l’esprit des justiciables entre l’administration et le juge administratif ».
La délocalisation des audiences devant les juridictions administratives et judiciaires ne garantit pas le respect du droit à un procès équitable. Elle est également contraire au principe de la publicité des débats. Les trois CRA du Mesnil-Amelot étant difficiles d’accès, il est à craindre que les droits de la défense soient gravement entravés.
A l’issue de la visite des CRA, les élus se sont entretenus avec des militants de RESF – dont MM. Richard MOYON et Yves TERRENOIRE – avant de donner une conférence de presse.
A l'instar de la Cour des comptes, les parlementaires craignent que la mise en service des deux nouveaux CRA – antichambres de l’expulsion – comporte de « grands risques d'effets néfastes » (automutilations, grèves de la faim, tentatives de suicide, etc.). Leur inquiétude est d’autant plus vive qu’ils ont à l’esprit les évènements dramatiques qui sont déjà survenus dans les CRA de Vincennes.
Par ailleurs, ils dénoncent avec la plus grande fermeté le placement en rétention des enfants et rappellent que la Défenseure des enfants avait déclaré, avant sa suppression, que « l’intérêt supérieur des enfants doit amener à privilégier l’assignation à résidence des familles avec enfants faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière plutôt que le centre de rétention administrative »[6].
La visite des CRA n°2 et 3 du Mesnil-Amelot les a confortés dans l’idée qu’il est nécessaire d’inverser la logique qui sous-tend la politique de lutte contre l’immigration clandestine. Il faut impérativement faire de la rétention administrative l’exception, l’assignation à résidence devenant la règle. Cette solution présenterait le double avantage de désengorger les lieux de rétention administrative (LRA et CRA) et de limiter les traumatismes subis par les migrants. Il conviendrait également de réduire la durée maximale de rétention, de prohiber l’enfermement des familles et de garantir la liberté de mouvement dans tous les lieux de rétention
Ces mesures devraient s’inscrire dans le cadre d’une politique migratoire humaine et respectueuse de l’Etat de droit. Les parlementaires proposent notamment de régulariser les migrants qui ont fait leur vie en France, d’accompagner les mobilités en sécurisant le statut des migrants en situation légale (rétablissement d’une carte de résident de dix ans, etc.) et de favoriser les migrations circulaires (droit à l’aller-retour). Ces mesures permettraient d'endiguer le phénomène d'immigration clandestine, de limiter les effets du vieillissement de la population et de faire bénéficier les pays d'origine des retombées positives de l'émigration.
La mise en œuvre de cette politique alternative nécessiterait au préalable que la France s’accepte comme terre d’immigration. L’immigration ne doit plus être vécue comme un problème, mais comme une source d’enrichissement mutuel pour le Nord et le Sud.
[1] Lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, les parlementaires avaient défendu un amendement tendant à proscrire les tests osseux, qui ne sont fiables qu’à dix-huit mois près. Il a malheureusement été rejeté par la majorité.
[2] Lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, les parlementaires avaient présenté un amendement tendant à prohiber le port d’armes dans l’enceinte de tous les lieux de rétention administrative. Il a malheureusement été retoqué.
[3] Les effets les plus précieux sont placés dans des casiers fermés à clé.
[4] Cette aide financière est versée en trois montants fractionnés : 30% en France avant le départ ; 50% six mois après le retour et 20% douze mois après le retour.
[5] Lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, les parlementaires avaient présenté un amendement tendant à autoriser les personnes retenues à solliciter un dispositif d’aide au retour dans leur pays d’origine. Il a malheureusement été rejeté du revers de la main par la majorité parlementaire.
[6] Communiqué de presse de la Défenseure des enfants en date du 14 août 2009.