La semaine dernière deux décisions de justice importantes et attendues par tous les défenseurs des droits des étrangers ont été rendues.
Alors que tous se réjouissaient de l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 2 février condamnant la procédure prioritaire d’asile ( I.M. contre France requête n°9152/09), le Conseil Constitutionnel a douché cette joie en déclarant dans une décision du 3 février que la pénalisation du séjour irrégulier en France est conforme à la Constitution (décision n°2001-217 QPC).
Condamnation de la procédure prioritaire d’asile par la CEDH
65% des premières demandes d’asile déposées en France sont examinées selon une procédure dite « prioritaire », la liste des motifs justifiant l’examen des demandes selon cette procédure ne cesse de s’allonger.
Or, dans le cadre de cette procédure, le demandeur n’est pas admis au séjour, il est placé en zone d’attente, l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) statue dans des délais raccourcis (15 jours, 96h lorsque le demandeur est en rétention), et surtout le recours contre la décision de l’OFPRA devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) n’est pas suspensif donc la Préfecture peut exécuter une mesure d’éloignement.
Cette procédure allégée et expéditive est dénoncée par de nombreuses associations et par le Haut-Commissariat aux réfugiés car elle ne garantit pas suffisamment le droit d’asile.
En effet, ce système institutionnalise le risque de renvoi de demandeurs vers des pays où ils pourraient subir des persécutions avant même qu’ils n’aient pu accéder à un juge (CNDA).
C’est exactement ce qui a failli arriver au requérant de l’affaire jugée par la Cour de Strasbourg. Bien qu’il ait interjeté appel devant la CNDA du refus de l’OFPRA de lui accorder l’asile, la mesure d’éloignement prise à son encontre pouvait être exécutée. Il allait donc être renvoyé vers le Soudan (son pays d’origine) qu’il avait fui après avoir été torturé, si une intervention miraculeuse de la CEDH n’avait pas permis de geler la procédure de renvoi (article 39 de la CEDH mesures provisoires). Finalement, la CNDA a accordé le statut de réfugié à cette personne.
Chef de file pour le groupe socialiste sur le projet de loi Besson, j’avais déposé plusieurs amendements tendant à supprimer la procédure prioritaire mais la majorité présidentielle les avait repoussés d’un revers de la main. Je me réjouis donc de cette condamnation de la CEDH qui devrait obliger le Gouvernement à assumer ses obligations en matière d’asile et à rendre de plein droit suspensif les recours devant la CNDA pour tous les demandeurs d’asile.
Le Conseil Constitutionnel déclare conforme à la Constitution la pénalisation de l’entrée et du séjour irrégulier en France
La question de la légalité de la pénalisation du séjour irrégulier avait suscité de grands espoirs après l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) « El Dridi » d’avril 2011. Cette décision (portant sur la législation italienne) semblait remettre en cause la conformité de la pénalisation du séjour irrégulier au droit communautaire et plus particulièrement à la directive « Retour » (2008/115). La directive dispose que la mesure d’éloignement doit être exécutée le plus rapidement possible et que donc une peine de prison contrevient à cet objectif.
En France, comme en Italie, le Code des étrangers (CESEDA) prévoit à l’article L 621-1 une peine d’un an de prison et 3750 euros d’amende (plus la possibilité de prononcer une interdiction du territoire français de trois ans maximum) pour les étrangers ayant pénétré ou séjourné illégalement sur le territoire.
Cette disposition du CESEDA semblait donc être menacée mais un revirement de la jurisprudence de la CJUE en décembre 2011 (Alexandre Achughbabian contre Préfet du Val-de-Marne C‑329/11) a mis fin au soupçon d’incompatibilité entre le droit français et le droit de l’Union sur ce point.
La décision du Conseil Constitutionnel (réponse à une QPC) est venue confirmer la validité du dispositif. Selon les « Sages » les peines fixées par l’article L 621-1 ne sont pas manifestement disproportionnées et sont conformes à l’article 8 de la Constitution c’est-à-dire qu’elles sont « strictement et évidemment nécessaires ».
Pour conclure, il est bon de rappeler que les sans-papiers ne sont pas des délinquants et que les demandeurs d’asile ne sont pas des fraudeurs ! L’obsession de la lutte contre l’immigration et la politique du chiffre font oublier au Gouvernement que certaines mesures et certaines pratiques ne sont pas à la hauteur de la civilisation des droits de l’homme (n’en déplaise à M. Guéant).