Le Parisien | Propos recueillis par Henri Vernet (@henrivernet)| 19 décembre 2017, 9h29
Jacques Toubon, Défenseur des droits, s'oppose fermement à la circulaire de Gérard Collomb sur le « tri » des migrants.
L'ancien garde des Sceaux de Jacques Chirac s'élève contre la politique migratoire du gouvernement.
Vous partez en guerre contre la circulaire de Gérard Collomb sur le « tri » des migrants ?
Jacques Toubon. Cette circulaire n'est que la signature d'une politique à l'égard des étrangers qui manque d'humanité, et qui comporte deux volets. D'un côté dissuader les personnes de venir en France, en rendant les conditions d'accueil de plus en plus dures. De l'autre, faire en sorte que ceux qui se trouvent en France en situation irrégulière ou en instance d'examen de leur dossier soient repérés, afin de les enfermer en centres de rétention administrative et de les expulser le plus possible. Soit en leur appliquant le système Dublin en les renvoyant de force dans le pays européen d'où ils viennent, soit en les expulsant purement et simplement, y compris vers des pays comme l'Afghanistan avec lequel nous avons passé un accord de renvoi, comme si c'était un pays sûr et démocratique !
Ce procédé est illégal ?
Il pose deux problèmes. L'accueil dans les centres d'hébergement doit être inconditionnel, c'est la loi française qui le dit. Deuxième problème, faire intervenir les équipes mobiles de la préfecture aux côtés de travailleurs sociaux dont le métier est de protéger peut entraîner des conflits rudes. Surtout, que vont faire les migrants craignant d'être expulsés au cas où ils iraient dans un centre d'hébergement d'urgence ? Ils vont rester sur le trottoir, porte de la Chapelle ou ailleurs. Le contraire de ce que le président de la République a promis : plus personne dans la rue à la fin de l'année.
Quels sont vos moyens pour infléchir cette politique ?
D'abord, rappeler publiquement le droit ; quand on prend conscience des choses, on peut changer d'opinion. Ensuite, demander au ministre de l'Intérieur qu'aucune mesure ne soit prise contre ces personnes sans qu'elles puissent avoir un recours -- principe fondamental en démocratie. Enfin, je peux m'associer à des contentieux portés par les associations.
Votre souhait, c'est le retrait des circulaires ?
Les dispositions sur le tri des migrants doivent être retirées, elles ne sont pas légales. Il faut surtout changer de cap en matière de politique migratoire, en France comme en Europe. Il faut sortir de cette politique arc-boutée sur la maîtrise des flux migratoires : cela veut dire mettre des murs et des grillages, or cela crée le conflit et ajoute à la misère. Nous avons affaire à quelques centaines de milliers de personnes, nous sommes plus de 500 millions dans l'Union européenne, le continent le plus développé : n'avons-nous pas la possibilité de mettre en place les instruments qui nous permettent d'accueillir et d'intégrer ?
Comment expliquez-vous ce durcissement politique ?
C'est clairement une politique qui suit la pente majoritaire de l'opinion publique. Les opinions européennes ont peur, pas seulement à cause du terrorisme, peur aussi d'une forme de promiscuité, de cohabitation. Résultat, la vision des migrations est traumatique, dramatique, alors qu'il faut ouvrir les voies légales de l'immigration.