Le 4 novembre, je suis intervenu dans la discussion de la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'Internet. Ce texte propose de modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin de faire passer de 3 mois à 1 an le délai de prescription pour les infractions de presse commises sur la Toile.
M. Richard Yung. Depuis la fin des années 1990, qui a vu le début en France du développement à grande échelle du réseau Internet, se pose la question très controversée du délai de prescription des infractions de presse commises sur la Toile.
La question est bien sûr légitime dans la mesure où ce moyen d'expression et de communication est, pour reprendre les termes utilisés en 2004 par notre collègue Robert Badinter, « sans commune mesure avec la presse écrite ». Elle doit aussi être replacée dans le débat plus général sur la régulation d'Internet.
Il est intéressant de relever que c'est le juge et non le législateur – cela arrive souvent – qui a d'abord pris en considération les spécificités du réseau Internet en matière de prescription des infractions de presse, et il a eu en premier lieu à étudier la question très délicate du point de départ du délai de prescription.
Je ne rappellerai pas, à cet égard, l'évolution de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris et de la chambre criminelle de la Cour de cassation, déjà mentionnée par les orateurs précédents.
Comme souvent en matière de délai de prescription de l'action publique, c'est la détermination du point de départ qui pose problème. Lors de l'examen de la proposition de loi du président Hyest sur la prescription en matière civile, nous avions été confrontés à la même difficulté. Nous avions alors décidé de consacrer la jurisprudence en retenant « le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Il a aussi été rappelé que notre ancien collègue René Tregouët avait voulu fixer le départ du délai en question à compter à la date à laquelle cesse la mise à disposition du public, ce qui avait soulevé une très vive émotion dans l'ensemble de la communauté Internet.
Le Syndicat de la presse magazine et d'information, par exemple, avait alors affirmé que cette disposition rendait imprescriptibles les infractions commises sur Internet « sauf à renoncer à toute exploitation d'archives sur les sites ». Le groupement des éditeurs de services en ligne, ou GESTE, jugeait quant à lui ces dispositions « très graves pour la liberté d'expression », car « il est matériellement impossible de supprimer définitivement un message sur le net ».
C'est vrai, et nous le savons tous, sur Internet, une fois que le message est parti, il voyage et peut se retrouver dans des dizaines de milliers d'ordinateurs, où il restera plus ou moins longtemps selon les utilisateurs des machines.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
M. Richard Yung. Par conséquent, même si l'auteur du message d'origine l'enlève de la Toile, cela n'implique évidemment pas que disparaîtra la longue chaîne des autres messages identiques au premier. Il ne peut donc, de fait, y avoir de date de cessation de la mise à disposition, indépendamment même de la question des archives sur Internet.
Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs censuré cette disposition.
Pour autant, cela ne doit pas nous dispenser d'adapter la loi aux spécificités d'Internet, car la situation actuelle du droit régissant la prescription de l'action publique sur ce réseau informatique mondial n'est pas satisfaisante. C'est d'ailleurs le constat dressé en 2007 dans le rapport de la mission que nous avions conduite, le président Hyest, notre collègue Hugues Portelli et moi-même.
L'évolution technologique et le développement d'Internet posent des problèmes considérables. Les infractions de presse sont considérées comme des infractions instantanées, mais, lorsqu'elles sont commises sur la Toile, elles se réalisent par une action qui se prolonge dans le temps, et ce temps est d'ailleurs, dans la plupart des cas, indéfini. Autant dire qu'elles deviennent permanentes.
Le réseau offre donc la possibilité de donner davantage de publicité aux diffamations, aux attaques, aux injures ou aux provocations. De ce fait, la publication sur Internet constitue un facteur d'aggravation des infractions.
Le législateur a commencé à s'occuper de ce problème en 2004. Vous le savez, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, a fait passer le délai de prescription de l'action publique de trois mois à un an lorsque l'infraction commise par voie de presse concerne une provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste, une contestation de crimes contre l'humanité ou une diffamation ou injure commise en raison de la race.
Dans la mesure où ces dispositions laissaient de côté la question des autres infractions de presse, qui restaient soumises au délai spécial de trois mois, notre ami Robert Badinter et notre très regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt avaient fait adopter, par souci de cohérence, un amendement visant à étendre à tous les messages diffusés sur Internet l'allongement à un an du délai de prescription de l'action publique.
Lors du débat du 20 janvier 2004, Michel Dreyfus-Schmidt affirmait en effet que « ce qui est vrai pour les messages racistes diffusés sur Internet vaut pour tous les messages diffusés sur Internet ». Malheureusement, cet excellent amendement avait été « retoqué » en commission mixte paritaire. On avait alors argué qu'il fallait…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Réfléchir !
M. Richard Yung. … davantage de temps et le recul de l'expérience. Nous venons d'ailleurs d'entendre le même argument lors de la discussion de la précédente proposition de loi ! Comme quoi, certains arguments resservent toujours…
Depuis lors, aucune autre réforme n'a été adoptée et la dualité de délais qui prévaut actuellement nuit à la cohérence du régime applicable aux infractions de presse. Auparavant, celui-ci avait l'avantage d'être simple et lisible, ce qui est toujours important pour la bonne compréhension des dispositions, et donc leur bonne application.
Par conséquent, il nous apparaît opportun d'harmoniser la durée du délai de prescription applicable aux infractions de presse commises sur Internet. L'allongement de ce délai répondrait en particulier à la recommandation que nous avions formulée dans le rapport d'information déjà mentionné. Il répondrait aussi à la nécessité de veiller à la cohérence du droit de la prescription de l'action publique.
Il ne semble pas que l'allongement à un an du délai de prescription porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de la presse. Dans la mesure où la publication sur Internet accroît la gravité des infractions, il paraît légitime d'augmenter raisonnablement ce délai de prescription. J'ajoute que la loi de 1881 n'est pas immuable, qu'elle n'est pas un « éléphant sacré » : elle a déjà été modifiée au moins vingt-deux fois ! La société évolue, il est normal que la loi en tienne compte. Il faut donc continuer de l'adapter aux spécificités du réseau en prenant soin de ne pas défaire l'équilibre entre liberté de la presse, droits des personnes et ordre public.
Au demeurant, si des menaces pèsent actuellement sur la liberté de la presse, elles ne proviennent pas, à mon sens, du législateur ou du juge, mais bien plutôt des dirigeants politiques, au premier rang desquels je dois citer le chef de l'État – les précédents Présidents avaient adopté une attitude tout à fait contraire –, qui érigent la poursuite en diffamation en politique systématique. C'est cela qui pourrait, à terme, entraver la liberté de la presse !
Enfin, je pense que l'harmonisation du délai de prescription pour les infractions de presse pourra utilement contribuer à la nécessaire régulation de l'Internet et à la responsabilisation des acteurs de la toile.
Compte tenu de ces remarques, le groupe socialiste a décidé de voter les conclusions de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)