Après la victoire historique de la Gauche au Sénat le 25 septembre dernier, et l’accession pour la première fois d’un socialiste au « Plateau », vient aujourd’hui le temps de faire le bilan de ces premiers mois passés dans la majorité.
Qu’a fait la Gauche sénatoriale de ses nouvelles responsabilités et de l’alternance si longtemps attendue ?
Alors que tous glosaient sur la prétendue incapacité de la Gauche à abandonner les réflexes de l’opposition, celle-ci s’est glissée dans la peau de la majorité avec facilité et avec enthousiasme.
La droite ne pouvant croire à sa défaite espérait sans doute voir le Sénat sombrer dans le chaos. Mais c’est une Révolution de velours qui a permis de transformer le Palais du Luxembourg.
La nouvelle gouvernance insufflée par Jean-Pierre Bel se caractérise par plus de modestie et de transparence.
La gauche taxée d’être dépensière par le Gouvernement décide d’une baisse de 3% du budget du Sénat (alors que le nombre de sénateurs a augmenté) et aborde les sujets qui fâchent comme les conflits d’intérêts et le train de vie de sénateurs.
De plus, elle garantit le respect des différentes sensibilités politiques en confiant des présidences de commissions ou de délégations à des représentants de tous les groupes parlementaires.
La nouvelle majorité sénatoriale multiplie les propositions qui montrent qu’une autre politique est possible.
Un autre politique budgétaire et fiscale
Le texte présenté par le Gouvernement a été remanié de fond en comble par les sénateurs de Gauche.
En effet, l’examen du projet de loi de finances a été l’occasion pour la gauche de commencer à tracer les grandes lignes de la politique budgétaire et fiscale qui serait mise en place au lendemain de la victoire de François HOLLANDE à l’élection présidentielle. Voir mon article du 7 décembre.
Une politique différente de la gestion des collectivités territoriales, à l’écoute des élus locaux
Les socialistes, fidèles à leur opposition à la réforme des collectivités territoriales de 2010, ont adopté une proposition de loi en commun avec les communistes et le RDSE visant à abroger le conseiller territorial.
Cette figure clé de la réforme, qui doit siéger à partir de 2014 à la fois dans les assemblées régionales et départementales, en remplacement des actuels conseillers régionaux et généraux, a suscité l’incompréhension des élus locaux. Il s’agit aujourd’hui de revenir sur une mauvaise réforme passée au forceps par le Gouvernement.
Le conseiller territorial n’étant pas la seule difficulté posée par la réforme des collectivités territoriales, la nouvelle majorité sénatoriale a décidé de repousser le délai d’achèvement de la carte des intercommunalités. Il semble en effet souhaitable de rendre possible la conservation des mandats des délégués des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) actuels jusqu'au terme initialement prévu.
Le président Jean-Pierre Bel a décidé de consulter les élus locaux et propose de recueillir leurs doléances. Il a annoncé son projet d’organiser des États Généraux des collectivités territoriales pour pouvoir débattre avec eux de l’avenir des territoires contrairement au Gouvernement qui a imposé sa réforme d’en haut.
Une autre politique sociale
Rejet du budget de la sécurité sociale : Comme pour le Projet de Loi de Finances, en première lecture, le Sénat avait modifié de fond en comble le budget de sécurité sociale. Les sénateurs de Gauche ont proposé un mode de financement alternatif de la sécurité sociale, plus juste et plus efficace. L’abrogation des exonérations Tepa qui coûtent 3,5 milliards à la Sécurité sociale tranche par rapport aux économies de bouts de ficelle (allongement du délai de carence lors d’un arrêt maladie) proposées par le Gouvernement. Mais le texte initial a été rétabli à l’Assemblée nationale, c’est pourquoi les sénateurs n’ont pas adopté le projet de loi de finances de la sécurité sociale en deuxième lecture.
Réaffirmer et renforcer le droit des salariés au repos du dimanche : Le Sénat a adopté le 9 décembre 2011 un texte emblématique qui témoigne de l’unité de la Gauche au Sénat. Proposé par le groupe communiste, il a été soutenu par le groupe SOC-EELV. Il s’agit de revenir sur la déréglementation instaurée par la loi du 10 août 2009 et d'apporter de nouvelles garanties aux salariés quant au travail dominical. Il s’agit de restaurer la portée symbolique du repos dominical tout en renforçant les droits des salariés qui travaillent le dimanche car il ne s’agit pas bien sûr d’empêcher toute activité professionnelle le dimanche.
Une politique différente à l’égard des étrangers
Droit de vote des étrangers. C’est avec une grande fierté que la gauche au Sénat a défendu sa proposition de loi pour autoriser le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales. C’était une promesse historique de François Mitterrand devenue une évidence. Les étrangers qui sont installés durablement en France, y travaillent, paient des impôts…doivent pouvoir prendre part aux décisions les concernant en votant aux élections municipales.
Avec la présence de François Fillon sur le banc des ministres, l’UMP a fait de cette question le premier combat de la présidentielle.
Soutien actif aux Étudiants étrangers diplômés. Les sénateurs socialistes sont mobilisés auprès des étudiants diplômés étrangers qui subissent de plein fouet la politique rabougrie du Gouvernement en matière d’immigration professionnelle. La Gauche sénatoriale se prépare à adopter une proposition de résolution pour demander le retrait de la circulaire « Guéant » du 31 mai 2011 qui empêche ces jeunes diplômés avec une promesse d’embauche de passer du statut d’étudiant à celui de travailleur.
Voir ma question au Gouvernement
Une politique différente de la sécurité
Le Sénat a rejeté pour la deuxième fois le texte du député Éric Ciotti « le monsieur sécurité de l’UMP ». Ce texte prévoit que des mineurs délinquants de plus de 16 ans puissent se voir proposer un service "citoyen", d'une durée de 6 à 12 mois au sein d'un Établissement public d'insertion de la Défense (Epide) soit un encadrement de type militaire.
Le rejet de cette proposition de loi se justifie par le fait qu’elle a été élaborée dans la précipitation, sans consultation des professionnels concernés et sans évaluation préalable de son impact budgétaire.
De plus, la Gauche sénatoriale manifeste son opposition de principe a une nouvelle modification (après la grande réforme de la justice des mineurs ce printemps), de l’organisation de la justice pénale des mineurs et de l’ordonnance du 2 février 1945 sans concertation avec les magistrats pour enfants.
Le Sénat a changé mais le changement ne plaît pas à tout le monde. Les sénateurs de droite qui croyaient que du temps de leur splendeur le Sénat était au-dessus des partis découvrent le sentiment de frustration que provoque le fait d’être dans la minorité. Ils se sentent bousculés comme en témoignent les déclarations de leur président Larcher dans le Figaro. L’agressivité de la droite témoigne du bon travail que fait la gauche au Sénat.
Elle ne s’est pas laissée griser par la victoire, elle sait bien que le dernier mot revient à l’Assemblée nationale mais elle entend utiliser la possibilité qui lui est offerte de faire entendre une voix différente en matière fiscale, sociale, d’intégration…
La nouvelle majorité sénatoriale remplit pleinement son rôle en montrant que la Gauche a des propositions et en obligeant le Gouvernement à débattre.