Dans une tribune sur les « sénateurs cumulards », Maurice Szafran, Directeur de la Publication de Marianne, accusait : « les sénateurs (...) ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ». Jean-Pierre Bel, Président du Sénat, a souhaité lui répondre.
Vous trouverez ci-dessous le contenu de sa lettre.
Paris, le 7 oct. 2013
Monsieur le Directeur,
Je m’adresse à vous au nom des « vingt-trois ».
Je veux parler des 23 sénateurs qui, au risque des pires conséquences, le 10 juillet 1940, ont refusé les pleins pouvoirs à Pétain.
Dans une tribune (« Marianne », n° 857), intitulée « la France des sénateurs cumulards » vous affirmez : « les sénateurs (...) ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ».
Sans précision, sans nuance, sans véritable souci d’informer, cédant à la facilité et à l’amalgame, vous réécrivez une Histoire qui n’est pas réelle.
Parmi ceux qui étaient présents, 23 sénateurs, 57 députés, seulement, ont eu le courage de dire « non» !
Un sur dix, dans la même proportion ou presque pour les deux chambres.
Vous savez mon attachement à la liberté de la presse, à votre titre dont j’apprécie la liberté de ton. Mais cette liberté, elle est un bien précieux quand elle s’accompagne de deux valeurs majeures la vérité, mais aussi le respect
Oui, le respect.
De ce point de vue, moi qui me suis imposé le mandat unique depuis 2008, qui ai soutenu la loi de limitation du cumul des mandats, assumant ainsi une position minoritaire dans mon assemblée, je me sens autorisé à vous le dire mes collègues sénatrices et sénateurs qui n’ont pas partagé mes convictions sur ce dernier point, méritent le respect ; ils ont droit à leur propre regard sur les institutions de la République.
Le Sénat, dites-vous « n’a été à l’origine d’aucune avancée sociale ou sociétale... ». Même s’il m’est souvent arrivé de dénoncer toutes les formes de conservatisme qui s’y font entendre, il est illégitime de jeter ainsi l’opprobre sur le Sénat, encore une fois sans tenir compte des faits.
En 2000, c’est le Sénat qui a été le premier à dénoncer la situation de nos prisons en créant une commission d’enquête qui les a qualifiées de « honte pour la République ». J’ai d’ailleurs prolongé cet héritage en invitant, l’été dernier, tous les sénateurs à se rendre dans les prisons de leur département pour y exercer leur droit de contrôle.
En 2007, c’est le Sénat qui a repoussé l’obligation de se soumettre à des tests ADN pour les candidats au regroupement familial, alors que des dispositions en ce sens avaient été adoptées par l’Assemblée nationale.
En 2011, c’est le Sénat qui a refusé que les Français par naturalisation puissent être déchus de leur nationalité française en cas de condamnation pénale, encore une fois en s’opposant aux députés.
Toujours en 2011, le Sénat, après son basculement à gauche, a approuvé l’ouverture du droit de vote aux étrangers pour les élections locales. En 2013, il a voté, à une confortable majorité, le projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Il y a à peine quelques semaines, en débattant de la transparence de la vie publique, les sénateurs ont adopté un texte qui prévoyait la publication du patrimoine des parlementaires sans filtre ni sanction.
Ces votes sont tout, sauf des preuves de « conservatisme ». Ne pas les citer c’est, à tout le moins, être dans l’ignorance.
En ma qualité de Président du Sénat, je tenais à rétablir la réalité des faits.
Je le dois aux sénateurs d’hier et d’aujourd’hui qui ont le courage d’agir en conscience. Je le dois aux deux sénateurs de mon département, l’Ariège, qui avaient pour l’un dit « non », le 10 juillet 1940, pour l’autre dit « oui », et qui ont tous deux péri pendant la Seconde Guerre mondiale en combattant l’occupant nazi et le régime de Vichy.