Bienvenue sur ce site Archive

Je vous souhaite la bienvenue sur ce site archive de mon mandat de sénateur des Français hors de France.

Mandat que j'ai eu l'honneur de faire vivre de 2004 à 2021.
Ce site est une image à la fin de mon mandat.
Vous y trouverez plus de 2 000 articles à propos des Français de l'étranger. C'est un véritable témoignage de leur situation vis-à-vis de l'éducation, de la citoyenneté, de la protection sociale, de la fiscalité, etc. pendant ces 17 années.

Je me suis retiré de la vie politique à la fin de mon mandant en septembre 2021, je partage désormais mes réactions, points de vue, réflexion sur https://www.richardyung.fr

Merci de votre visite.

Richard Yung
Octobre 2021

Invalides Paris – Jeudi 7 juillet 2016

Michel ROCARD était une grande et belle figure de la République.

Une personnalité lumineuse, qui, par ses combats, a marqué de son empreinte plusieurs générations successives, ici, rassemblées.

Un homme politique audacieux, qui a suscité des attachements profonds et durables, au point de donner jusqu’à aujourd'hui son nom à une sensibilité de la gauche française.

Un chef de gouvernement courageux, qui a imposé une méthode et mené des réformes difficiles.

Un intellectuel brillant qui a inventé des concepts, produit des idées qui débordaient de ses livres.

Et un citoyen émerveillé du monde, qui ne concevait son action qu’à l’échelle de la planète.

Michel ROCARD n’a jamais eu qu’une seule vocation, une seule ambition, servir l’intérêt général de toutes les manières possibles, comme militant, comme fonctionnaire, comme député, comme sénateur, comme maire de Conflans-Sainte-Honorine, comme ministre, comme Premier ministre, comme député européen et pour finir, comme Ambassadeur de France.

Jusqu’à son dernier jour, il est resté toujours prêt. Prêt à répondre à un appel qui n’avait pas eu le temps de lui être lancé. Toujours disponible pour assurer une mission délicate, surtout si elle était impossible. Toujours mobilisé pour une cause juste, même si elle paraissait lointaine à beaucoup. Toujours curieux d’une découverte à faire, même sur un sujet complexe, dès lors qu’elle pouvait éclairer l’humanité.

Quelques jours avant sa mort, il dispensait encore ses conseils aux Européens, parce qu’il ne concevait pas sa vie sans engagement.

Très tôt, il avait décidé du sien avec indépendance, même s’il s’était inspiré de l’exemple d’une famille qui avait toujours mis au premier rang le dépassement de soi.

Sa mère, Renée, institutrice, avait élevé Michel ROCARD dans les principes de la Réforme, en lui inculquant une stricte morale, dont il parlait encore à 85 ans passés, avec un mélange de respect et de douleur.

Mais, de cette formation protestante, il avait reçu une conscience en héritage, celle que la France n’est vraiment la France que lorsqu’elle se sait écartée des frénésies identitaires, d’où qu’elles viennent. Il avait compris de son passage dans le scoutisme et les mouvements de jeunesse, qu’il n’y avait de réussite personnelle que dans l’accomplissement dans un collectif.

Le père de Michel ROCARD, Yves, était un héros de la Résistance, un savant de réputation mondiale, fondateur du programme nucléaire français et c’est en voulant rompre avec cette présence tutélaire et parce qu’il se sentait inapte aux sciences exactes, que Michel ROCARD avait choisi d’étudier les sciences politiques, d’entrer à l’ENA, d’en sortir à l’Inspection des finances, de devenir un spécialiste de la comptabilité nationale, qui, je l’espère aussi, est une science exacte.

Entré à 19 ans en socialisme, moins pour un parti auquel, pourtant, il est resté fidèle toute sa vie, que pour l’idéal qu’il portait, auquel il n’a jamais dérogé, la paix et la liberté. Son socialisme n’a jamais eu de frontière, il était le fils de l’Internationale bien plus que de la SFIO et son premier combat fut pour la décolonisation et contre la guerre d’Algérie.

Jeune inspecteur des Finances, détaché en Algérie, il met au jour les conséquences dramatiques de la décision du gouvernement de l’époque de regrouper des centaines de milliers de paysans dans des camps. Il transmet son rapport au cabinet du garde des Sceaux, Edmond MICHELET, qui le donne à la presse. Le retentissement est énorme, Michel ROCARD manqua de se faire révoquer. Mais grâce à lui, les camps furent fermés et des vies furent sauvées. Il comprit ce jour-là que la politique pouvait être davantage qu’une incantation, une dénonciation, mais une action.

Haut fonctionnaire, il fut appelé à évaluer le coût des dommages du centralisme sur la province, le retard imposé à ces territoires, que le géographe Jean-François GRAVIER avait appelé, après-guerre, « Le désert français. »

Il publie un rapport, en 1966, il y a 50 ans, au titre resté dans les mémoires : « Décoloniser la province. » Les principes qu’il a posés n’ont pas vieilli : simplifier, décentraliser, démocratiser, réorganiser. Il imaginait une carte de la France administrative où il n’y aurait pas plus d’une dizaine de régions et quelques grandes métropoles. Nous sommes maintenant là, aujourd'hui, il aura fallu 50 ans pour y parvenir.

A la fin des années 60, Michel ROCARD fait de la politique sa vie, se met en disponibilité de l’administration, devient secrétaire national d’un parti, le PSU et en 1967, se présente à la députation, sans succès. En 1969, deux ans plus tard, après les événements de mai, il porte les étincelles du mouvement à l’élection présidentielle. Les 3,5 points qu’il y récolta contenaient plus de promesses que de déceptions.

Un mois plus tard, il entre à l’Assemblée nationale, à l’occasion d’une législative partielle, comme député des Yvelines. Il le redeviendra plus tard, après avoir été élu maire de Conflans- Sainte-Honorine. Il forme, au Parti Socialiste, avec ses amis, syndicalistes autogestionnaires, associatifs engagés, chrétiens progressistes, ce qui fut appelé « la deuxième gauche ».

Michel ROCARD pouvait être sévère à l’égard de la première, lui reprocher son jacobinisme, son centralisme, voire même ses archaïsmes. Lui, il en appelait davantage à la société qu’à l’État, plus à la négociation qu’à la loi, aux forces vives plutôt qu’aux alliances politiques. Mais il était conscient que les deux gauches devaient s’unir pour gouverner. Jamais il n’a joué contre sa famille politique, même quand il a fallu qu’il s’efface devant François MITTERRAND. C’était là son honneur.

Michel ROCARD s’était préparé au pouvoir. Il y avait réfléchi. Il n’avait jamais cru que la politique devait se soumettre à l’économie. Mais il avait regardé le marché comme un mécanisme au service de la société, pas comme un principe d’organisation de la société. Il avait défendu l’action de l’État pour assurer la justice sociale et le progrès, mais il a toujours su qu’il n’y avait de redistribution possible que s’il y avait production et que pour maîtriser le capitalisme, fallait-il au moins en comprendre les lois et aussi son efficacité.

Ministre du Plan dans le premier gouvernement de Pierre MAUROY, il a modernisé l’action publique, inventé les contrats de plan État-région. Aujourd’hui encore, nous les utilisons pour conduire les politiques de transport, de formation, d’aménagement du territoire.

Ministre de l’Agriculture en 1983, il s’est passionné pour les questions agricoles car elles touchent à l’économie, au travail, à l’éducation, à la recherche, à l’Europe, bref, à tout ce qui le mobilisait. C’est à Michel ROCARD que l’on doit la mise en place des quotas laitiers, qui ont donné pendant des années aux éleveurs européens et donc français, une stabilité et c’est leur suppression maladroite, malheureuse, qui a provoqué la crise que l’on subit aujourd’hui.

Premier ministre en 1988, sa plus grande fierté fut de rétablir la paix en Nouvelle-Calédonie, où les violences avaient atteint un point qui semblait irréversible. En quelques jours, Michel ROCARD imagine une méthode pour ramener le calme. Il décide de l’envoi d’une mission œcuménique qui, pendant plusieurs semaines, va écouter toutes les douleurs, entendre toutes les plaintes et rétablir la confiance.

Puis, pendant 15 jours, il a réuni à Paris tous les acteurs de l’île et notamment Jacques LAFLEUR et Jean-Marie TJIBAOU et les a obligés à se parler, oui, à se parler tout simplement et à les convaincre de « donner et pardonner ». Ce furent les Accords Matignon, validés par le peuple français le 6 novembre 1988, devenus ensuite les Accords de Nouméa, grâce à Lionel JOSPIN et leur esprit continue de guider l’action du gouvernement de Manuel VALLS pour déterminer l’avenir de ce territoire.

C’est fort de ce succès qu’il se présenta le 29 juin 1988 devant l’Assemblée nationale. J’y étais. Il fit alors devant des députés parfois incrédules, un discours de politique générale qui alla au-delà de l’instant ou de la circonstance. Il posa des principes de changement dont beaucoup valent encore aujourd’hui.

Il y appelait à une démocratie de tous les jours, où l'action et la parole, l'urbanisme et l'urbanité, la solidarité et la compétitivité, la force de la France et l'ambition de l'Europe, seraient réconciliés. Il y rêvait, oui, il y rêvait d'un pays où l’on se parle de nouveau, de villes où les tensions seraient moindres, d’une politique où on serait attentifs à ce qui est dit plutôt qu'à qui le dit. Là encore, le conseil vaut encore aujourd’hui.

C’est ainsi qu’il obtint le consensus au Parlement pour la création du Revenu Minimum d’Insertion, qui rompait avec la logique d’assistance, pour réunir la lutte contre la pauvreté et la nécessité de l’insertion.

Il fit souffler un grand vent de progrès dans l’administration en développant, les nouvelles technologies, les relations avec les usagers, en donnant un appui exceptionnel à l’Education Nationale et à la Recherche, en transformant sans heurt une administration, les PTT, en deux entreprises qui sont aujourd’hui des exemples de ce que l’on peut faire de mieux pour le service public et pour l’activité technologique. Il posa la première loi de solidarité urbaine.

A l'épreuve des faits, qu’a-t-il montré ? Que le compromis n’est pas une faiblesse, que la négociation n’est pas un défaut de volonté et que l’on obtient toujours plus par le dialogue que par la confrontation. Car le dialogue est l’instrument nécessaire de l’accord, de la convention, du contrat au bon niveau. Pour Michel ROCARD, c’était sa manière de réformer et en même temps, pour lever les blocages, il n’a pas hésité à recourir aux procédures prévues par la Constitution.

A 28 reprises, il a dû engager la responsabilité de son gouvernement pour faire adopter des textes essentiels, la loi sur la programmation militaire, l’ouverture du capital de RENAULT, la création de la contribution sociale généralisée. Il a ainsi doté – et Edmond MAIRE y est revenu, à juste raison – la Sécurité sociale d’une ressource dynamique et universelle, avec un mécanisme simple et robuste, qui continue d’être une référence, y compris pour les évolutions de l’impôt sur le revenu vers le prélèvement à la source.

Enfin, il a posé les bases de la réforme des retraites, dans un Livre Blanc qu’il avait intitulé :

« Contrat entre les générations ». Ce travail a inspiré les gouvernements successifs qui se sont attelés à ces réformes et pour terminer, celui de Jean-Marc AYRAULT, avec l’allongement de la durée de cotisations et l’introduction en contrepartie de la pénibilité. Aujourd’hui, cet effort successif permet que les régimes de retraite soient à l’équilibre pour la première fois depuis quinze ans. Nous devons ce résultat à la clairvoyance de Michel ROCARD.

Son dernier grand engagement fut pour l’Europe. Il siégea 15 ans au Parlement de Strasbourg. Il y retrouva les progressistes européens, sa famille, présida la Commission de la coopération et du développement, car pour lui, l’Afrique était le continent d’avenir, puis, l’Emploi et les Affaires sociales et enfin la Culture. Tout l’intéressait, la défense du logiciel libre, lui qui avouait n’avoir découvert l’informatique que dans les années 2000, la réduction du temps de travail, lui qui a beaucoup fait pour la semaine de quatre jours, le lancement de grands travaux, le plan Juncker avant l’heure, les relations avec la Turquie qu’il pensait être un partenaire indispensable pour l’Europe. Et la protection de la planète.

Oui, l’environnement, l’écologie : Michel ROCARD fut un pionnier, là encore. En 1989, c’est à son initiative qu’avait été lancé l’appel de La Haye, 43 pays, les cinq continents représentés, qui demandaient l’introduction d’un mécanisme contraignant pour lutter contre le réchauffement climatique. C’était le début du processus qui mènera à la COP21 – Laurent FABIUS en fut le président – et qui a abouti à la signature de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015. Ce fut, là encore, sa fierté.

Michel ROCARD fut également le premier dirigeant à se mobiliser pour la sauvegarde des pôles. Son rôle fut décisif pour l’adoption du Traité de Madrid qui a consacré le sixième continent, l’Antarctique, comme réserve naturelle mondiale exclusivement dédiée à la paix et la science, interdite de toute exploitation économique. Ce qui lui valut d’être nommé en 2009 Ambassadeur de France pour les pôles arctique et antarctique, une mission qu’il a prise avec beaucoup de cœur, au point de multiplier, au risque pour sa santé, de nombreux déplacements dans des régions particulièrement inhospitalières.

Il a accepté toutes les missions que les pouvoirs publics ont bien voulu lui confier, au vu de sa longue expérience et surtout de la vivacité de son esprit. C’est à lui que nous devons les critères de répartition du produit du Grand Emprunt, qu’il a proposés au Président SARKOZY dans le cadre de la Commission, qu’il coprésidait, jusqu’à récemment, avec Alain JUPPE. Il appréciait ce travail, parce que c’était un acte de foi dans l’avenir.

Michel ROCARD avait résumé sa méthode : « penser clair, parler vrai, agir juste ». Il n’a jamais renoncé à ces principes, quoi qui lui en ait coûté.

Michel ROCARD pensait clair, et toujours plus vite que les autres, au risque d’irriter, car l’intelligence peut parfois être un défaut dans la vie politique.

Il parlait vrai, trop vrai parfois, au risque de heurter, parce que l’audace est souvent une forme de reproche pour les calculateurs.

Il agissait juste, sans se soucier de stratégie, au risque de s’isoler. A avoir raison trop tôt on arrive trop tard.

Il aurait pu avoir de plus hautes responsabilités. Mais de ne pas les avoir atteintes ne l’avait pas atteint. Il continuait son chemin, comme si de rien n’était, comme s’il pouvait être utile dans d’autres tâches, dans d’autres fonctions.

Il nous laisse des réformes qui ont modernisé durablement la France durablement. Il nous laisse des idées, des convictions et même du rêve. Car Michel ROCARD cultivait l’utopie du possible.

Il nous laisse une démarche. Celle du compromis. Véritable fondement de la sociale démocratie. Et aussi un conseil, un avertissement, une alerte, le respect du temps long. « La politique – avait-il confié, et cela a été rappelé ce matin – ce n’est pas de la chirurgie, c’est de l’horticulture ». Ce qui suppose d’arroser très longtemps et pas simplement d’intervenir brutalement. Michel ROCARD, qui chiffrait tout, même ce qui ne peut pas être mesuré, estimait que « les combats importants prennent 30 ans pour aboutir ». C’est pourquoi il avait pris de l’avance. Et il avait raison, rien n’était pire à ses yeux que l’immédiateté, celle qui saisit les responsables politiques, qui confondent le quotidien avec la durée d’un mandat, celle des médias qui pensent qu’un feuilleton fait une histoire.

Très jeune, lui, avait connu la guerre, les violences, la division du monde. Cette expérience l’avait rendu lucide. Mais, comme l’écrivait Yves BONNEFOY, disparu un jour avant lui, grand poète français, « que vaut la lucidité lorsque la foi la déserte » ?

Alors Michel ROCARD avait la foi. Une foi qui lui était singulière, mais qui pouvait être universelle, la foi en l’homme, la foi en l’avenir, la foi dans le progrès. La foi dans le socialisme. Pour lui, la finalité du socialisme, c’était de libérer l’homme pour lui permettre de se consacrer à la vie de l’esprit. C’est ce qu’il avait confié alors qu’il venait de se faire remettre la plus haute distinction de la République.

Il disait que la vie de l’esprit ne consomme pas de ressource en énergie ni même ne produit de gaz à effet de serre. C’est sans doute cela qui permet à la vie de l’esprit d’être utile sans que cela ne coûte quoi que ce soit aux autres.

Michel ROCARD avait un appétit insatiable pour les idées, un enthousiasme sans limite pour le débat, pour tout ce qui pouvait être neuf ; l’ancien, pour lui, était déjà révolu.

Cette passion a un nom. Elle s’appelle la politique. La politique, cet engagement qui donne un sens à la vie et la capacité de changer celle des autres. La politique, non pas pour le pouvoir, mais pour pouvoir. Pouvoir agir. Pouvoir changer. Pouvoir transformer.

Il était entré dans la vie publique pour des raisons éthiques, il ne les a jamais laissées en chemin. Il était entré dans la vie politique contre les violences, pour la liberté, contre l’injustice, pour l’émancipation, contre les égoïsmes, pour la planète. Au crépuscule de son existence, il avait confié qu’aucune des nombreuses pistes sur lesquelles il s’était acheminé n’était arrivée à son terme. Alors, Michel ROCARD, cher Michel ROCARD, le combat continue.

J’adresse à Sylvie, son épouse, à ses enfants, à ses petits-enfants, à ses proches, à ses amis et ses camarades, ma solidarité affectueuse et les condoléances de la nation. Cette famille, au sens le plus large du terme, perd un être cher, et la République, un de ses plus grands talents. Ceux-là même qui donnent exemple. Michel ROCARD vivra par l’exemple.