Le 17 juin, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à un échange de vues sur un rapport d’information relatif au rapatriement des Français de passage à l’étranger pendant la crise sanitaire.
Ce rapport a été fait par les rapporteurs pour avis des crédits budgétaires consacrés aux Français à l’étranger et aux affaires consulaires (programme 151), Jean-Pierre Grand et Rachid Temal. Vous pouvez le lire en cliquant ici.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de la présentation du rapport et de l’échange de vues.
M. Christian Cambon, président. - Je donne la parole à Jean-Pierre Grand qui fera aussi l’intervention de notre collègue Rachid Temal qui ne peut être avec nous ce matin.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Avec l’expansion de l’épidémie de Covid-19 à travers le monde et les mesures de fermeture des frontières et d’espaces aériens prises par les États, de nombreux Français de passage (touristes ou voyageurs d’affaires), se sont retrouvés bloqués à l’étranger. Le 20 mars 2020, ils étaient environ 150 000, répartis entre 140 pays.
Le réseau consulaire s’est trouvé en première ligne pour gérer cette situation exceptionnelle et j’ai pu personnellement constater son efficacité et sa disponibilité à travers les cas qui m’étaient soumis. Avec le Centre de crise et de soutien (CDCS), il lui a fallu recenser et localiser nos compatriotes à l’étranger, les tenir informés et trouver des solutions mises en place pour permettre leur retour en France, à une échelle totalement inédite. Nos postes ont fait preuve d’une mobilisation exemplaire, malgré des moyens limités et des conditions difficiles puisque la plupart des services étaient en télétravail et que certains postes étaient eux-mêmes touchés par le Covid-19.
Le dispositif mis en place par le ministère des affaires étrangères en lien avec le ministère des transports a consisté à maintenir, quand c’était possible, les vols réguliers, en sollicitant les autorisations nécessaires, à mettre en place des vols spéciaux avec des tarifs régulés et modérés (notamment avec Air France et sa filiale Transavia) et à affréter des vols charters en l’absence d’autre solution. De manière inédite, l’État a également affrété un navire pour rapatrier les camping-caristes bloqués au Maroc.
Très souvent, nos postes consulaires ont dû se comporter en agences de voyages, publiant des informations sur les transports disponibles, organisant le regroupement des ressortissants présents dans le pays en affrétant des cars ou des vols intérieurs (Pérou), négociant les conditions et les autorisations avec les autorités locales.
Le retour des Français de passage s’est avéré particulièrement complexe dans les pays où nos ressortissants étaient très dispersés, comme au Pérou ou aux Philippines, ou dans des zones reculées comme le Népal ou le Vanuatu. Mais aussi en Nouvelle-Zélande, où malheureusement un jeune de mon département a disparu.
Le Maroc a aussi constitué un point d’attention puisque plus de 20 000 Français s’y trouvaient bloqués mi-mars, avec une difficulté particulière pour les camping-caristes empêchés de quitter le territoire du fait de la fermeture des frontières terrestres avec l’Espagne.
La mobilisation sans précédent du réseau consulaire a permis de ramener de 150 000 à 10 000 le nombre de Français de passage bloqués à l’étranger, en seulement dix jours, entre le 20 mars et le 30 mars. Les sénateurs représentant les Français hors de France, comme le reste des élus, ont été, soulignons-le, un relais précieux dans la gestion de cette crise.
Je poursuis en vous lisant l’intervention de M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal, rapporteur. - Après la gestion de cette première vague, l’attention s’est portée sur la situation des jeunes Français en moyen ou long séjour à l’étranger et notamment des jeunes en « programme vacances travail » (PVT), principalement en Australie, au Canada et en Nouvelle-Zélande. La crainte était qu’ils se retrouvent sans ressources du fait de l’effondrement de l’activité économique et qu’ils reviennent massivement. Finalement, environ 3 000 PVTistes ont souhaité revenir en France, la plupart étant restés dans leurs pays d’accueil.
Une autre inquiétude était l’éventualité d’une deuxième vague constituée cette fois de Français résidant à l’étranger, du fait de l’état des infrastructures sanitaires ou de la dégradation de la situation économique liée à la crise. C’est en réponse à cette éventualité qu’a été adopté un plan d’urgence en trois volets (sanitaire, social et éducatif) destiné à rassurer nos compatriotes. Le volet sanitaire prévoit des capacités d’évacuation sanitaire, garantit l’approvisionnement en médicaments et oxygène, organise l’accès à des services de télémédecine et de télésuivi en cas de Covid-19. Le volet social comprend une enveloppe de 50 millions d’euros destinée à permettre l’attribution d’un « secours occasionnel spécifique » pour les personnes en difficulté et prévoit aussi le redéploiement des crédits du fonds de Soutien au tissu associatif des Français de l’étranger (STAFE) (2 millions d’euros) au bénéfice d’organismes de bienfaisance au profit des familles victimes du Covid-19. Quant au volet éducatif, il comporte une revalorisation de 50 millions d’euros de la dotation destinées aux bourses scolaires, pour permettre aux familles de payer les frais de scolarité malgré la crise économique, ainsi qu’un décalage des calendriers d’examen des demandes. Ce plan a contribué à calmer les inquiétudes et finalement, la deuxième vague de retour des Français établis hors de France n’a pas eu lieu à ce jour (même s’il faut rester prudent et prendre en compte l’évolution de la situation sanitaire dans le monde).
Enfin, l’une des conséquences de la crise sur la mise en œuvre du programme 151 a été le report des élections consulaires, initialement prévues les 16 et 17 mai 2020. Après avoir été envisagée en même temps que le second tour des élections municipales, leur organisation a finalement été dissociée. Elles auront lieu en mai 2021, les élections des sénateurs Français de l’étranger étant, quant à elles, reportées en septembre 2021. Cette mesure est bienvenue, compte tenu de la situation sanitaire et aussi pour notre réseau consulaire qui a véritablement été mis sous tension ces derniers mois. Nous tenons à saluer, une fois encore, sa mobilisation sans faille.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie nos deux rapporteurs pour leur travail. Un certain nombre de points ont été clarifiés, notamment sur les élections consulaires et l’abondement de l’aide sociale à hauteur de 50 millions. Nous devons rendre hommage au personnel des consulats, du centre de crise et également du cabinet du ministre qui ont été incroyablement réactifs pour débloquer les cas que nous avons pu signaler. Il faut se réjouir de voir la mobilisation de tous les acteurs ; nos conseillers consulaires, ainsi que les parlementaires, ont été très présents et très actifs pour relayer les informations localement. La grande majorité des français de passage sont rentrés assez vite. Ceci m’amène aux points négatifs. Le manque de personnel dans les consulats a été mis en lumière. Ils ont dû travailler sous tension. Les équipes sont aujourd’hui épuisées et traitent uniquement les urgences, et la réouverture des services est très lente. Les français résidents, à qui il a été demandé de rester dans leur pays d’accueil, sont pour certains aujourd’hui en grande difficulté pour rejoindre la France et se plaignent de la différence de traitement avec les Français de passage qui ont été immédiatement aidés et pour qui des bateaux et des avions ont été affrétés. Les résidents, eux, attendent patiemment que les frontières ouvrent, alors que certains ont des problèmes médicaux assez graves. Nous avons connaissance de nombreux cas de Français, notamment enseignants, en Inde, en Arabie Saoudite ou dans d’autres pays, qui souhaitent rentrer pour leurs vacances d’été ou qui préparent leur retour définitif en France et qui, nous disent-ils, sont laissés sans réponse par les postes diplomatiques. Certains éprouvent un sentiment d’abandon et d’isolement dans des pays où le confinement est incroyablement strict. Ils se plaignent aujourd’hui d’un manque de soutien alors qu’ils ont pu voir d’autres compatriotes pris en charge immédiatement.
Je voudrais ensuite évoquer l’application « SOS un toit » que vous avez mentionnée dans votre rapport et qui a fait grand bruit grâce à une communication très réussie. J’aimerais poser la question de sa compatibilité avec les consignes sanitaires en vigueur. Peut-on se glorifier d’avoir accru les contacts physiques, et donc les risques de contamination, entre nos compatriotes hébergeurs et visiteurs ? Si l’idée est à retenir pour d’autres crises, je ne sais pas si le lancement de cette application était le plus heureux dans ce contexte-là.
Enfin, je souhaiterais revenir sur l’aide sociale qui n’est pas octroyée en Europe. Je pense que, de même que pour les bourses scolaires, le processus de demande est à revoir. Les plus vulnérables ne sont pas connectés et ont beaucoup de difficultés à déposer leur dossier. Je partage ce que disait tout à l’heure Robert Denis del Picchia : il faudrait une information ciblée. Je continue à penser que tout ne peut passer par les organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES) et que les conseils consulaires pour la protection et l’action sociale (CCPAS) doivent garder le contrôle de l’octroi de l’argent public. Nous avons besoin d’une révision complète du dispositif. Nous devons simplifier et faire en sorte que les ayant-droits puissent être informés et aidés dans la présentation des dossiers.
M. Christian Cambon. - Je m’associe aux remerciements que l’on doit adresser au centre de crise animé par l’ambassadeur Éric Chevallier et le cabinet du ministre qui fait un travail extraordinaire pour les derniers Français qui souhaitent encore rentrer.
M. Olivier Cadic. - Je souhaite remercier les rapporteurs pour ce travail, saluer à mon tour le travail remarquable de nos postes diplomatiques, consulaires, du centre de crise, qui ont fait face à une crise d’ampleur inédite.
Nos postes ont été épaulés par nos élus de terrain, conseillers délégués et consulaires ainsi que par les responsables des diverses associations locales. Lors de mes échanges avec Antoine Grassin, notre ambassadeur au Pérou, celui-ci a souligné le très grand dévouement et professionnalisme des gendarmes affectés au poste. Sous l’autorité du chargé de sécurité intérieure, lui-même lieutenant-colonel de la gendarmerie, ils ont eu un rôle essentiel dans l’organisation des transports aériens et les liaisons avec les autorités péruviennes de police pour garantir la sécurité des transports organisés par l’ambassade. La mission de défense a également apporté une contribution précieuse dans l’organisation des transports terrestres qui a permis d’assurer le retour à Lima des Français dispersés sur tout le territoire et a facilité leur embarquement sur les vols Air France. Aux côtés de nos diplomates, il ne faut donc pas oublier la ressource que représentent les gendarmes en poste et y penser lorsque nous examinons les budgets. Ce sont, en effet, des postes que l’on voit disparaitre au fil des années.
Par ailleurs, ce concept de distribution d’aides sociales vertical dont l’organisation n’est pas partagée avec les élus ne semble pas conceptuellement à la hauteur de l’attente sur place en termes d’aides sociales et de fonctionnement. Les élus doivent servir à organiser cette aide et la penser pour qu’elle puisse être efficace et efficiente. Le consul à Londres nous disait qu’il avait reçu des dizaines de demandes tandis que quelques personnes seulement pouvaient effectivement y prétendre. Malheureusement la façon d’appréhender l’aide est toujours vue de Paris. Il faut revisiter notre façon de porter assistance et faire des plans qui sont issus de l’expérience du terrain.
M. Richard Yung. - Je m’associe aux remerciements envers le ministère, les consulats et le cabinet du ministre dont l’engagement a été très fort. En particulier, le ministre a mis en place une boucle WhatsApp qui s’est avérée extrêmement utile pour nous permettre de faire remonter, en temps réel, les différents types de demandes que nous recevions.
Je souligne que les principaux problèmes que nous avons connus découlent de l’attitude des autres pays qui, du jour au lendemain, ont cessé toutes les liaisons aériennes, navales, routières et ont fermé leurs frontières, bloquant toute possibilité de voyage. Certains Français, il faut le dire, n’ont pas été fair-play. Ainsi, des personnes s’étaient inscrites pour prendre les ferrys que nous avons affrétés pour ramener les caravanes du Maroc et ne se sont pas présentées à l’embarquement. De ce fait, certains ferrys avaient 15 à 20% de places libres que nous avons heureusement pu combler en les proposant à des citoyens d’autres pays de l’Union européenne. Mais globalement, on peut se féliciter de la gestion de la crise.
Le rapport est adopté à l’unanimité