La nuit dernière, le Sénat a commencé la deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République. Les débats sont simplifiés du fait de la nécessité pour l'UMP d'obtenir un vote "conforme", c'est-à-dire identique dans les deux chambres du Parlement, condition pour que le texte puisse être soumis au Congrès, qui se réunira à Versailles le 21 juillet prochain.
Ce fut l'occasion pour moi de répondre aux positions hostiles à la représentation des Français établis hors de France qui ont été exprimées à l'Assemblée nationale la semaine dernière, à droite comme à gauche.
Vous trouverez, ci-dessous, mon intervention sur l'article 9 qui traite de cette question.
Monsieur le Président,
Madame la Garde des Sceaux,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
Je souhaiterais préciser un certain nombre de points concernant le dernier alinéa du présent article, relatif à l’élection de députés représentant les Français établis hors de France. Je le ferai notamment à la lumière du débat qui est intervenu à l’Assemblée nationale le 8 juillet dernier.
Lors de la première lecture du présent projet de loi, j’avais défendu, ainsi que mes collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France, la création d’une telle représentation parce qu’elle est conforme à notre conception d’une citoyenneté pleine et entière de nos compatriotes qui sont simplement éloignés de la terre métropolitaine et qui, aujourd’hui, ne sont représentés qu’au Sénat.
Notre idéal est d’évoluer vers une représentation complète qui ne se satisfait pas d’une demi citoyenneté. C’est une avancée importante qui est attendue par des centaines milliers de Français, une reconnaissance de leur participation à la vie de la Nation.
Cette idée, qui est portée depuis de longues années par les principaux partis politiques, par les candidats à la dernière élection présidentielle et par l’Assemblée des français à l’étranger, a d’ailleurs été accueillie favorablement par notre Haute assemblée.
Cependant, à l’Assemblée nationale, il s’est trouvé un quarteron de députés, de la majorité mais aussi – et vous comprendrez combien cela me blesse – de l’opposition, ignorants de la réalité de l’expatriation, pour défendre la suppression de cette représentation et je voudrais ici répondre à leurs arguments erronés, faibles, voire méprisants vis-à-vis de leurs compatriotes :
- Tout d’abord, affirmer que les Français expatriés sont inscrits sur les listes électorales des communes de métropole ou d’outre-mer et peuvent donc voter aux élections législatives, c’est ignorer le fait que près de 600.000 personnes inscrites sur les listes électorales consulaires ne peuvent pas participer à l’élection des députés faute d’être inscrites en France. En effet, beaucoup de nos compatriotes installés depuis longtemps à l’étranger se sentent moins concernés par les scrutins locaux et ne sont donc plus inscrits dans leur commune d’origine. Quant aux 200.000 Français de l’étranger qui eux sont inscrits sur des listes communales, ils font souvent face à de nombreuses difficultés matérielles pour voter par procuration.
Les députés sont censés représenter la Nation tout entière et il n’y a aucune raison d’en exclure une partie (plus de 2,5 millions) en déléguant leur représentation aux députés de Corrèze, de Gironde, de l’Isère, du Nord, du Val de Marne ou des Yvelines pour citer les départements des principaux adversaires de cette disposition, de droite comme de gauche. Une fois élus par les Français établis hors de France, ces nouveaux parlementaires ne représenteront pas une fraction particulière de la population mais l’ensemble de la Nation française.
Enfin, il va de soi que si les Français établis hors de France élisaient leurs députés, ils ne seraient plus inscrits dans une commune française. Leur refuser la représentation parlementaire pleine et entière a quelque chose de méprisant à leur égard. Cela rappelle les positions colonialistes qui ont conduit au refus d’attribuer la citoyenneté à ceux qu’on appelait alors les indigènes et rejoint les plaisanteries de Noël MAMERE, qui a feint de s’effaroucher parce que de tels députés pourraient parler « des langues régionales », voulant dire par là petit nègre ou volapuk, ou ceux qui parlent des députés « des émigrés », par allusion aux réfugiés de Coblence. - Par ailleurs, l’absence de représentation à l’Assemblée nationale est un handicap très sérieux pour les Français de l’étranger : non seulement personne ne peut relayer leurs idées et leur parole dans cette chambre qui a, plus que le Sénat, l’oreille des médias mais – plus grave encore – aucun député de métropole ou d’outre-mer ne se préoccupe de leurs problèmes et rares sont ceux qui soutiennent les propositions que nous portons. En règle générale, ils ne les comprennent pas ou mal. Nous avons de multiples exemples de décisions fâcheuses comme la suppression de notre droit de vote aux élections européennes. Il est donc urgent que les Français établis hors de France puissent élire des députés qui auront l’immense honneur de représenter la Nation tout entière.
- Il est d’ailleurs curieux de voir les mêmes députés et responsables politiques s’intéresser aux Français établis hors de France au seul moment des scrutins nationaux et tout faire pour recueillir leurs votes : « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
- Le fond de l’affaire, on le sait, c’est la crainte, qui n’est pas illégitime, de certains que la création de ces 12 – si c’est le nombre qui sera retenu dans la loi – députés se fasse sur le dos de l’opposition. Votre majorité a en effet introduit au quatrième alinéa du présent article une limitation du nombre de députés (577), mesure en elle-même discutable mais qui prend une autre signification quand, en même temps, elle impose de créer les nouveaux sièges en réduisant le nombre de députés de métropole ou d’outre-mer. Vous opposez ainsi les élus entre eux, avec succès on le voit, et vous suscitez la crainte que le découpage nécessaire des circonscriptions se fasse au détriment de l’opposition, qui a déjà bien payé dans le passé pour le savoir.
- S’y ajoutent enfin les incertitudes sur le mode de scrutin et les circonscriptions. Monsieur le secrétaire d’Etat, vous avez indiqué que ce serait le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Dans les principes, vous refusez d’introduire une dose de proportionnelle comme le demande le PS et vous cherchez à marginaliser l’opposition.
Dans la mesure où le dispositif que vous nous proposez est tout à fait inapplicable, on en est réduit à des conjectures sur les intentions de votre gouvernement : quel mauvais coup êtes-vous en train de préparer ? Voilà nos craintes.
C’est pourquoi j’ai déposé un amendement d’appel afin de préciser notre position quant au mode de scrutin et au découpage des circonscriptions.
Concrètement, nous proposons que les députés représentant les Français établis hors de France soient élus au scrutin proportionnel de liste à un tour dans le cadre de deux circonscriptions comprenant le même nombre de siège.
Au vu de ces remarques, je confirme mon approbation du principe énoncé au dernier alinéa de l’article 9 mais je reste toujours aussi méfiant quant aux modalités de sa mise en œuvre et je souhaite que cette avancée importante ne soit pas confisquée par de petites manœuvres partisanes.