Nicolas Sarkozy a participé à une émission télévisée intitulée « parole aux Français » le jeudi 10 février 2011. Sans surprise, la sécurité a été un thème longuement abordé. Ce sujet a même fait « l’ouverture » de l’émission.
Le Président de la République établit un constat simpliste et réducteur.
Il a déclaré que la société française se crispe entre le « tout sécurité » et ceux qui ne veulent pas de sanction. Promoteur de la politique du chiffre, il a mis en avant son bilan en matière de lutte contre la délinquance globale. Il a alimenté le populisme pénal en se prononçant pour l’introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels afin de « rapprocher les Français de la Justice ».
Nicolas Sarkozy est bien responsable de l’échec de la lutte contre l’insécurité depuis 2002.
Nicolas Sarkozy a tout d’abord rappelé qu’il est « responsable de la sécurité depuis 2002 » en tant que ministre de l’intérieur et ministre du budget, puis Président de la République. Il a souligné que sur la période 2002/2010, la délinquance générale a baissé de 17 %.
Le président de la République a volontairement insisté sur la délinquance générale et on peut le comprendre car si on examine de plus près les chiffres relatifs aux crimes et délits contre les personnes, ces derniers évoluent défavorablement, ce qui confirme une tendance ancienne défavorable puisque leur nombre augmente chaque année depuis 2000 (+ 62 % entre 2000 et 2009). Parmi ces crimes et délits, les atteintes volontaires à l’intégrité physique continuent d’augmenter, de 2,75 %, en 2009 : cette augmentation atteint 3,24 % en zone police et 1 % en zone gendarmerie (après une hausse très importante de 8,2 % en 2008).
Nicolas Sarkozy confond le taux d'élucidation avec le taux d'efficacité policière.
Le Président de la République s’est également vanté du taux élevé d’élucidation à 40 %. Rien de plus normal. Il a fait de la « culture du résultat » son credo. La police serait plus efficace contre la délinquance et cette efficacité serait mesurée par le taux d'élucidation d'une part, et la baisse de la délinquance d'autre part. Mais le problème réside dans le fait que que le taux d'élucidation ne peut-être en soit une mesure objective de la performance policière car ce sont les services des forces de l’ordre qui autodétermine leur taux d'élucidation.
Les sénateurs socialistes s’opposent à cette politique fondée sur l’affichage, la gesticulation et l’autosatisfaction.
S’appuyant sur le pacte national de protection et de sécurité publique présenté au nom du parti socialiste le 17 novembre 2010 par Martine Aubry, François Rebsamen et Jean-Jacques Urvoas, ils proposent une autre politique fondée sur les résultats et l’efficacité mesurée qualitativement à partir du service rendu à la population (efficacité, rapidité et dialogue) et non basée sur une culture du
rendement.
Cette évolution implique :
- la transformation de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) en une autorité administrative indépendante car l’élaboration et la diffusion de chiffres irréfutables représentent un enjeu primordial pour le service public de sécurité ;
- une déconcentration de la gestion administrative et budgétaire des structures centrales.
Rappelons que dans le cadre de l’examen de la LOPPSI, les sénateurs socialistes ont proposé d’inscrire parmi les orientations permanentes de la politique de sécurité, l'évaluation constante de l'efficacité des forces de sécurité en fonction du service rendu à la population, de l'efficacité répressive mesurée par le taux de déferrement à la justice, de l'évolution de la criminalité mesurée par les enquêtes de victimation.
La culture du résultat devant s’appuyer sur une dynamique constante en termes de réflexion afin d’apporter des réponses nouvelles et adaptées, les sénateurs socialistes préconisent la création d’une fondation dédiée à la prévention et à la sécurité destinée à conforter les financements publics accompagnant les réalisations innovantes émanant des territoires prioritaires.
Aux grands maux des agressions violentes, Nicolas Sarkozy propose plus de vidéo et plus de fichiers car selon lui, « ce n’est pas un problème d’effectifs ».
Au cours de cette émission télévisée, Nicolas Sarkozy a déclaré : « il faut développer la vidéosurveillance (en lecteur attentif, vous avez noté qu’il n’a pas parlé de « vidéoprotection ») Il y a 60 000 caméras en France aujourd’hui. Il en faut encore plus. Grâce aux fichiers, on retrouve un coupable sur deux ».
Conscient de ne pouvoir entretenir financièrement le fonds de commerce de la lutte contre l’insécurité publique dans le cadre d’un contexte budgétaire restreint, le Président de la République insiste sur le développement des nouvelles technologies et la police technique et scientifique. Dès 2007, il a parlé de redéploiement tout en promettant de faire baisser la délinquance à effort budgétaire quasi constant. En clair, faire plus avec moins. Il en va ainsi de l’élargissement du champ des infractions permettant la création de fichiers d’analyse sérielle et de la création de logiciels de rapprochement judiciaire.
L’extension de la vidéosurveillance semble susciter moins de polémique. Il faut dire que de manière générale, l'image filmée de notre vie quotidienne s'est banalisée avec la multiplication des caméras dans les espaces privées, les établissements recevant du public ou au domicile des particuliers avec les caméras de surveillance et les webcams, l’évolution technologique des téléphones portables, le développement de la téléréalité, l’utilisation des blogs…
Les sénateurs socialistes refusent d’entrer dans la logique de ce débat animé par des arrières pensées politiques, voire idéologiques.
Aujourd’hui, la réflexion doit se concentrer davantage sur les conditions d'un bon usage de la vidéosurveillance car les enjeux de libertés publiques et individuelles apparaissent moins porter sur l'outil vidéosurveillance lui-même que sur les possibilités de le combiner avec d'autres technologies de surveillance ou de détection.
Les sénateurs socialistes déplorent le fait que le développement de la vidéosurveillance est en partie financé sur les fonds du FIDP, fonds réservé aux collectivités dans la prévention de la délinquance. Ainsi les élus payent deux fois, directement et indirectement.
Pour les sénateurs socialistes, valeur des forces de sécurité intérieure repose en tout premier lieu sur l’aptitude des hommes et des femmes qui la composent.
Il est tout à fait opportun d’accroître l’efficacité des policiers et des gendarmes en mettant à leur disposition les moyens techniques et matériels pour réaliser leurs missions. Mais la valeur des forces de sécurité intérieure repose en tout premier lieu sur l’aptitude des hommes et des femmes qui la composent. La qualité du lien entre les policiers, les gendarmes et les citoyens repose d’abord sur le fait qu’il s’agit d’administrations de « main-d’œuvre » en contact avec la population. Les besoins exprimés par le public et les élus sont importants, en particulier dans le domaine de la sécurité de proximité.
Alors que le Président de la République et la majorité clament que la première richesse de la police et de la gendarmerie nationales, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent, les forces de l’ordre ne seront pas préservées de la politique générale de déflation des effectifs publics.
Pour la quatrième année consécutive, le Gouvernement a présenté un budget qui prouve que la lutte contre la délinquance n’est plus au cœur de ses priorités. Les effectifs ont diminué de 9 564 ETPT pour l’ensemble de la mission « Sécurité ». Il est prévu de supprimer encore 8 000 postes de policier et 3 000 postes de gendarme. Le nombre d’incorporations dans la police nationale, c’est-à-dire de personnes intégrant les écoles – on ne parle pas ici des effectifs budgétaires – a chuté de 4 300 en 2007 et 2008 à 1 500 en 2009 et 2010. De même, pour les jeunes, notamment pour les adjoints de sécurité, les places aux concours ont fondu comme neige au soleil : on comptait 1 546 places en 2008, il n’y en avait plus que 500 en 2009, aucune cette année et il n’y en aura peut-être que 275 l’an prochain.
Ces baisses annoncées annulent l’accroissement des effectifs de la dernière loi de programmation. C’est sans doute pour cela que le Président de la République et son Gouvernement ont fait adopter des dispositions sur l’allongement des contrats des adjoints de sécurité et sur l’appel à la réserve et aux volontaires.
Délinquance des mineurs, domaine dans lequel Nicolas Sarkozy n’a pas réussi.
Le chef de l’Etat a annoncé qu'il y aurait de nouvelles mesures « avant l'été » concernant la délinquance des mineurs, un domaine sur lequel il admet n'avoir « pas réussi ». Mais Nicolas Sarkozy n'a pas précisé la nature de ces mesures. Il a considéré qu’un mineur d'aujourd'hui n'est pas un mineur de 1950. Il a estimé que les tribunaux pour enfants n’étaient plus adaptés à la réalité de la délinquance des jeunes. Il en a beaucoup fait, déclarant : « Tribunal pour enfant, rien que le mot…17 ans, 1,85 m, on l’emmène devant un tribunal pour enfant…Il faut que nous changions, ce n'est plus adapté, le tribunal pour enfant, pour un braqueur qui a braqué quatre fois une pharmacie. Les sanctions ne sont pas adaptées, elles ne sont pas systématiques ».
En se prononçant en ces termes, le Président de la République n’avait certainement pas pris connaissance du rapport du député UMP Jacques-Alain
Benisti, remis le même jour au Premier ministre François Fillon.
Ce dernier s'oppose à la « logique répressive du tout sécuritaire » qui s'est avérée inefficace et préconise plutôt « une vraie politique de prévention sur le terrain » pour lutter contre la délinquance des jeunes. M. Benisti s'oppose totalement à l'abaissement de la majorité pénale : « je pense qu'au contraire, il faut accepter qu'on a des gosses de 23 ou 24 ans qui ne sont pas encore adultes. Il faut que la chaîne pénale prenne en compte cet élément-là ». S'il estime qu'il faut « revenir un peu sur l'ordonnance de 1945 » concernant les mineurs, il préconise la création d'un véritable « code de l'enfant », qui « rassemblerait les dispositions civiles ou pénales touchant les mineurs en danger, victimes ou auteurs, libres, placés ou détenus, français ou étrangers ».
Emprunt de défiance envers les magistrats, Nicolas Sarkozy entretient le populisme pénal
Un autre domaine sur lequel le chef de l’Etat a reconnu ne pas avoir réussi : « l’hyper violence » directement liée à la question des multirécidivistes. Pourtant, il ressort des propos du Président de la République un sentiment de défiance à l’encontre des magistrats : « si la police arrête et que la sanction qui est apportée devant le tribunal n’est pas à la hauteur de la sécurité qu’en attendent les Français et les victimes, c’est comme si vous videz la mer Méditerranée avec une cuillère à café ».
Il a insisté précédemment sur le fait que les peines prononcées n’étaient pas adaptées et n’étaient pas systématiques, lui qui est directement à l’origine de la surenchère pénale.
Cette poussée de populisme pénal va se traduire par la volonté de faire juger les affaires délictuelles par des jurés populaires. Nicolas Sarkozy a ainsi annoncé toujours avant l'été une réforme sur l'introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels : une semaine par Assemblée nationale, les Français seront appelés par tirage au sort, à siéger dans le tribunal correctionnel du département de résidence aux côtés de magistrats professionnels et s’agissant de la délinquance, ils y apporteront une réponse et définirons une sanction. Ils seront défrayés.
Le président de la République y voit deux avantages :
- encourager le civisme ;
- la justice qui est rendue au nom du peuple français, « là, elle va être rendue par le peuple français ».
Ce discours politique établit une relation directe avec le peuple, notamment le peuple des victimes, sans la médiation de l’institution judiciaire.
« Deux récits se font face. L'un dans l'imaginaire, dans l'utopie de l'insécurité, en appelle à un monde sans risque et sans danger, à une tolérance zéro. L'autre, celui des métiers, est ancré dans la réalité. On comprend la lassitude des professionnels forcément fautifs puisqu'assignés à une mission imaginaire et donc impossible. Le récit politique est un discours de purification, une sorte de réplique instantanée à l'écho de la souffrance des victimes. C'est un rituel d'exorcisme.
Les professionnels de la justice, celle que Paul Ricoeur appelait une « médiation imparfaite », en sont les boucs émissaires. Ce sont aussi deux conceptions de la démocratie qui ne peuvent se rejoindre. L'identification aux victimes qui caractérise la présidence Sarkozy incarne une démocratie directe qui tourne le dos à une démocratie représentative » (Denis Salas – Le Monde, 9 février 2011)
Le chef de l’État n'a pas pris la mesure de la situation dans les tribunaux.
Pour le président de la République, « tout n'est pas une question de moyens ». Il a affirmé qu'entre 2002 et 2010, le « nombre de magistrats en France est passé de 7.300 à 8.510 », soit « une augmentation de 16% , les effectifs de greffiers de 22%
et les personnels d'insertion de 143%. Le budget de la justice est en augmentation de 4,3% », a-t-il ajouté. Il a poursuivi sur ce terrain en précisant : « les peu de marges de manœuvres que nous avons, je préfère les mettre pour faire reculer le chômage que pour améliorer la situation de personnels qui ont un statut et qui, que la crise soit forte ou pas, garderont leur statut et garderont leur rémunération ».
Comment expliquer dans ces conditions que la majorité des condamnations à l'emprisonnement restent en attente d'exécution ? Leur nombre s’élèverait à 100 000 (Le Figaro – 4 février 2011). L'engorgement se situerait à plusieurs niveaux. D'abord dans les greffes. Au stade suivant, les juges d'application eux-mêmes peinent à absorber la demande, qui a beaucoup crû depuis le vote de la loi pénitentiaire en 2009. Enfin, près de la moitié des services pénitentiaires d'insertion et de probation, chargés d'assurer le suivi des personnes condamnées qui bénéficient d'un aménagement de leur peine de prison, sont obligés d’effectuer un tri dans les dossiers qu'ils prennent en main.
Pour les sénateurs socialistes, l’application aveugle de la RGPP et une gestion de pénurie des politiques de sécurité et de justice ont conduit à une dégradation sans précédent de tous les acteurs de la chaine pénale.
Sur ces différents sujets, nous sommes passés au cours de cette émission télévisée du monologue au refus d’admettre la réalité.
Note de Jean Partouche, Conseiller du Groupe Socialiste au Sénat