A la lecture de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi sur la rétention de sûreté, mes sentiments sont plus que partagés.
Dans un premier temps, je suis rassuré de constater que les sages de la rue Montpensier ont partiellement censuré ce texte en limitant la possibilité d’appliquer rétroactivement le placement en centre socio-médico-judiciaire. Les détenus condamnés avant la publication de la loi qui pourront être incarcérés dans ces centres sont ceux qui, une fois libérés, ne respecteront pas les obligations liées au placement sous surveillance électronique mobile ou à l’injonction de soins. La décision du Conseil aura donc pour conséquence de réduire encore davantage le nombre de personnes concernées par cette privation de liberté après la peine. Elle signifie aussi que la loi ne prendra pleinement effet que dans quinze ans.
Lors du débat au Sénat, j’avais fermement critiqué la rétroactivité, qui est contraire à notre Constitution. En effet, seule la loi pénale plus douce peut s’appliquer de manière rétroactive. Or, la rétention de sûreté est une sanction pénale plus sévère qui consiste à incarcérer des individus non pas à la suite d’une infraction mais sur la base d’une présomption d’infraction future et en raison d’un pronostic de dangerosité. Autant dire que cette loi va faire régresser notre état de droit de plus de deux siècles. C’est le retour du spectre de l’homme dangereux et du mythe du risque zéro. Notre système judiciaire va ainsi dangereusement se rapprocher de ceux qui sont en vigueur dans les régimes autoritaires habitués à pratiquer l’emprisonnement préventif (Chine, Cuba, etc.).
La décision du juge constitutionnel est surtout décevante car elle ne censure pas l’intégralité de cette loi qui demeure dangereuse au regard des principes fondamentaux et des libertés individuelles. Pis, les membres du Conseil constitutionnel ont jugé que la rétention de sûreté n’est pas une peine mais une mesure de sûreté. Or, pendant le débat parlementaire, nous n’avons cessé de démontrer qu’il s’agissait d’une peine au sens de l’article 5-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il est donc désormais à espérer que la Cour européenne des droits de l’homme se prononcera sur ce texte inique afin d’en sanctionner toutes les dispositions. Souhaitons qu’elle le fasse dans un avenir relativement proche car la droite a pour fâcheuse habitude d’élargir systématiquement le champ d’application des lois pénales qu’elle adopte. Nous devons donc rester très vigilants afin que ce nouveau type d’élimination sociale n’entraîne pas la France sur la voie funeste d’un retour à l’élimination physique.
J’apprends ce matin (je suis en mission en Australie) que le Président vient de demander au Premier Président de la Cour de Cassation des recommandations pour contourner la décision du Conseil Constitutionnel ! Voila une situation incroyable et inédite parce que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas susceptibles d’appel et sont exécutoires immédiatement. Elle est aussi vexatoire et humiliante pour les juges qui sont considérés ainsi publiquement comme des valets par le Président de la République, Président du Conseil supérieur de la magistrature.
Cela en dit long sur la décomposition des pouvoirs publics et sur l’effondrement en cours des institutions.
Richard YUNG