Le 28 novembre, mon collègue Jean BIZET, sénateur de la Manche, et moi-même avons fait adopter par la commission des affaires européennes du Sénat une proposition de résolution européenne sur la mise sur le marché et la brevetabilité des semences et obtentions végétales.
En Europe, les semences relèvent d'un système spécifique de protection, le certificat d'obtention végétale (COV). Créé en 1961, ce titre de propriété intellectuelle permet d’assurer la protection juridique de chaque variété végétale nouvelle et la rémunération de ses auteurs tout en autorisant, d’une part, l’usage de ressources végétales pour la création de nouvelles variétés (« privilège du sélectionneur ») et, d’autre part, l’utilisation par les exploitants agricoles d’une partie du produit de leur récolte pour ensemencer les suivantes (« privilège de l’agriculteur »). Contrairement au brevet, le COV favorise la création variétale et la diversité végétale, en évitant l’appropriation privée du vivant. En France, ce système a été ancré plus solidement dans notre droit par une loi du 8 décembre 2011. Les obtenteurs peuvent solliciter soit un COV européen, soit un COV national.
Le régime du COV coexiste avec celui du brevet. Les variétés et les procédés essentiellement biologiques (croisement, sélection) ne sont pas brevetables. En revanche, une directive européenne adoptée en 1998 autorise la brevetabilité des procédés d’obtention de végétaux (trangénèse, etc.), des produits issus de ces procédés et des séquences de gènes. Force est de constater que ces règles ont été remises en cause au cours des dernières années. Des brevets concernant des procédés essentiellement biologiques ont été déposés avant d’être annulés par la Grande chambre de recours de l’Office européen des brevets (affaires dites « du chou brocoli » et « de la tomate ridée »). Par ailleurs, certains obtenteurs cherchent actuellement à obtenir des brevets sur des produits issus de procédés essentiellement biologiques. La Grande chambre de recours de l’OEB devrait prochainement se prononcer sur ce point afin de préciser si les variétés issues de procédés exclus de la brevetabilité peuvent être brevetées. Liée à l’usage croissant des biotechnologies, cette montée en puissance du brevet dans le domaine végétal est notamment promue par les multinationales issues de l’agrochimie. Elle fait peser de nombreux risques, dont le blocage de l’innovation.
Dans l’Union européenne, l’accès au marché des semences est conditionné par deux obligations réglementaires: l’inscription au catalogue officiel des espèces et variétés et la certification. Pour être inscrite au catalogue, une nouvelle variété doit être distincte des variétés déjà existantes, homogène et stable (critères dits « DHS »). Quant à la certification, elle garantit que les matériels de reproduction mis sur le marché et échangés au sein de l’UE respectent les exigences de la réglementation européenne.
La réglementation européenne concernant l’enregistrement des variétés végétales et la commercialisation des semences est actuellement en voie de révision. Le 6 mai dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement relatif à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction de végétaux. Prévu pour entrer en vigueur en 2016, ce texte vise à regrouper les douze textes européens actuellement en vigueur en une réglementation unique qui maintient les deux piliers actuels de la réglementation (enregistrement des variétés, certification des semences). Il prévoit également des aménagements pour certaines situations particulières (règles d’enregistrement allégées pour les variétés traditionnelles et les matériels ne correspondant pas à la définition d’une variété ; marchés de niche ; exonération du paiement des redevances d’enregistrement pour les micro-entreprises ; etc.). Il est important de noter que cette réglementation ne concerne pas l’emploi de semences dans les jardins privés.
Le texte élaboré par l’exécutif européen concerne au premier chef la France, qui est le premier producteur de semences et plants en Europe. Notre pays est également le premier exportateur mondial de semences, devant les Pays-Bas et les États-Unis. La filière semencière française – essentiellement composée de PME et d’agriculteurs-multiplicateurs – emploie plus de 9.000 personnes, dont un quart dans la recherche et développement.
Ce texte soulève également plusieurs inquiétudes. C’est la raison laquelle M. BIZET et moi-même demandons au Gouvernement de défendre, au sein du Conseil, un certain nombre d’orientations s’agissant notamment de la durée d’inscription au catalogue des variétés, des règles dérogatoires ou des matériels forestiers. Nous souhaitons également que le Gouvernement, à l’occasion des négociations sur ce texte, réaffirme la primauté du COV sur le brevet (meilleur accès des sélectionneurs à l’information concernant les brevets déposés et délivrés ; non-brevetabilité des plantes issues de procédés essentiellement biologiques et des gènes dits « natifs » ; modification des lignes directrices de l’Office européen des brevets ; etc.). En d’autres termes, la refonte de la politique européenne en matière de santé vétérinaire et phytosanitaire doit être l’occasion de mettre un terme au flou juridique qui entoure la brevetabilité des obtentions végétales.
Pour de plus amples informations, vous pouvez lire le compte rendu de la réunion de la commission des affaires européennes.