Lors de la séance publique du mardi 9 octobre, je suis intervenu dans la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Londres sur la délivrance des brevets européens. Après sept années d'un débat public très passionné, le Sénat, après l'Assemblée nationale, a enfin donné son feu vert à la ratification de cette convention internationale, qui tend à modifier le régime linguistique du brevet européen afin d'en réduire les coûts de traduction (280 voix pour, 33 voix contre et 2 abstentions).
L'entrée en vigueur du protocole de Londres, qui était subordonnée à sa ratification par la France, permettra de nombreuses avancées. En réduisant les coûts de traduction du brevet européen, il stimulera les investissements en matière d'innovation. Nos entreprises, notamment les PME, et nos centres de recherche pourront ainsi déposer davantage de brevets. D'autre part, en consacrant le régime à trois langues de l'OEB (allemand, anglais et français), le protocole de Londres représente une chance formidable pour le français dans le contexte de la mondialisation car il conforte le statut privilégié du français comme langue officielle de l'Office européen des brevets (OEB). Enfin, la ratification de cet accord permettra de relancer les négociations sur le brevet communautaire (i.e. un titre de propriété intellectuelle valable d'emblée dans tous les pays de l'Union européenne et soumis aux juridictions communautaires), notamment dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2008.
Vous pouvez lire ci-dessous mon intervention.
M. Richard Yung. - Le débat sur la ratification de l'accord de Londres est passionné depuis sa naissance, c'est-à-dire depuis la réunion d'une conférence intergouvernementale à Paris en 1999 à l'initiative de M. Christian Pierret. Premier et seul socialiste après dix orateurs, vous me permettrez d'exposer notre point de vue. C'est en décembre 2006 que notre groupe avait déposé une proposition de loi autorisant sa ratification qui n'a malheureusement pas abouti.
La question qui suscite légitimement le plus de controverses, est celle de la place de la langue française. L'accord confirme que le système européen des brevets retient trois langues, l'anglais, l'allemand et le français -ce qui est le cas depuis 1973. Corollaire, on n'acceptera pas d'autre langue, d'où les réclamations légitimes des Espagnols et des Portugais, dont la langue est d'usage international, ou encore des Italiens, dont l'industrie est puissante, qui s'étonnent d'être exclus.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - Exact !
M. Richard Yung. - C'est là la principale raison à l'échec du brevet communautaire. Cet accord répond en quelque sorte à leurs revendications. Bien sûr, nous aurions pu imaginer une traduction des brevets dans les vingt-deux langues des États-parties de l'accord de Londres, mais cela aurait signifié la mort du système européen des brevets.
C'est un avantage pour les déposants français, puisque le brevet sera valable dans tous les pays ayant ratifié l'accord. Quant aux autres, ils recevront de moins en moins de demandes, car, à moins d'avoir un intérêt particulier pour un marché donné, qui voudra se donner le mal de fournir des traductions ? Partant, ils ne percevront pas les taxes annuelles qui sont leur principale recette en la matière. Je pense qu'ils y viendront très rapidement...
Monsieur Legendre, je pense aussi être un bon Français. Oui, il faut défendre notre langue. Mais ces traductions sont inutiles, et inutilisées, car elles arrivent trop tard : cinq ans après le dépôt de la demande, soit l'équivalent d'un cycle complet en matière de technologie ! En outre, souvent sous-traitées à des étudiants payés au lance-pierre, elles sont généralement peu exploitables, d'autant que les revendications sont elles-mêmes rédigées par les déposants de façon à être peu compréhensibles, à la manière d'Alan Greenspan, qui aimait dire : « Si vous m'avez compris, c'est que je me suis mal exprimé » (Sourires). Par conséquent, moins d'un pour cent des traductions sont consultées. Ce n'est pas défendre notre langue efficacement que d'entasser des piles de papiers dans les sous-sols de l'INPI. Le fond du problème, c'est l'insuffisance des dépôts français : 17 000 par an, contre 50 000 pour l'Allemagne et 25 à 30 000 pour le Royaume-Uni. J'interpelle le gouvernement : pour corriger nos handicaps, il faut développer en France une politique d'innovation, de recherche et développement pour les PME, grâce à des mesures fiscales et un effort de formation. Le génie français n'est pas inférieur au génie allemand ! Il faut également une politique plus forte en matière d'information scientifique et technique, domaine où l'anglais est prépondérant.
Comme mesure d'accompagnement, nous proposons tout d'abord que les abrégés, qui permettent déjà une première approche, soient traduits le plus rapidement possible. La traduction des revendications devrait être publiée au moment du dépôt, et non au bout de cinq ans. Deuxièmement, il faut répondre aux préoccupations des deux à trois cents traducteurs qui vivent de la traduction des brevets : l'organisation d'une table ronde sur ces sujets permettrait d'accompagner la modernisation de la profession, sur le modèle de celle du conseil en brevet, qui a su se développer en prenant une dimension européenne. Enfin, il faudrait demander à l'OEB et à la Commission européenne de mettre en ligne leurs bases de données de terminologies.
Dans le système européen des brevets, les traductions coûtent 700 millions d'euros : c'est une sorte d'impôt sur ses entreprises innovantes que l'Europe se paie à elle-même, et qui n'est pas utilisé pour autre chose. Le coût d'une traduction pour un brevet moyen s'élève à 7 000 euros. Pour une PME innovante qui dépose une dizaine de brevets, cela représente beaucoup d'argent. Or ce sont ces PME-là qui auront du succès à l'exportation, et qu'il faut aider.
Prétendre que cet accord entraînera une invasion des brevets américains et japonais est une conception du passé. Plus il y a de technologies accessibles, mieux c'est : c'est de l'investissement et de l'emploi ! On ne va pas ériger des barrières autour de l'Europe !
Le brevet européen a été un immense succès : 200 000 dépôts par an, 7 000 agents, dont 1 500 Français, rappelons-le. D'une qualité reconnue, il a servi de base à l'harmonisation européenne et mondiale. Mais le système, qui n'a pas évolué depuis 1973, bute sur le problème des coûts -outre les traductions, il y a les taxes annuelles, pour plus d'un milliard d'euros, versées par l'industrie pour faire vivre les brevets- et sur celui des juridictions. La bonne réponse serait le brevet communautaire, mais là encore se pose le problème des langues : quid de l'espagnol, du portugais, et des autres ? Le protocole de Londres contourne la difficulté en jetant un pont entre brevet européen et brevet communautaire. Sur ce modèle, on pourrait imaginer un brevet communautaire ouvert à ceux qui le souhaitent uniquement... C'est une piste pour avancer.
Il s'agit d'investissement, d'emploi, de recherche et développement. Nous devons répondre au risque du tout anglais. Ce texte représente une occasion unique : le groupe socialiste le soutiendra. (Applaudissements sur les bancs socialistes, UC-UDF et sur certains bancs UMP)