M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, en octobre 2009, les Français découvraient avec étonnement que M. Proglio, malgré sa nomination au poste de président-directeur général d’EDF, resterait président du conseil d’administration de Veolia, appelé ainsi à cumuler des fonctions de direction dans une entreprise privée et dans une entreprise publique de tout premier plan.
Même si, entre-temps, le problème a été réglé – je pense que nos remarques et nos critiques n’ont pas été complètement inutiles ! –, cela montre à nouveau ce mal français bien connu qui fait qu’une petite élite, souvent issue des mêmes milieux sociaux, des mêmes réseaux et des mêmes grandes écoles, cumule la direction de la majorité des entreprises du CAC 40. Et que l’on ne nous dise pas que c’est une garantie de qualité : il y a autant de fautes de gestion, de fautes stratégiques et de banqueroutes dans les sociétés ainsi dirigées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
C’est précisément ce mal de la gouvernance d’entreprise que nous souhaitons régler avec notre proposition de loi. Pour ce faire, nous proposons de limiter le cumul des mandats et d’interdire le cumul des fonctions dans les entreprises publiques et privées. L’appel d’air ainsi créé servira, nous l’espérons, à une féminisation des conseils d’administration et de surveillance ; et j’ajouterai : à une diversification.
Notre proposition de loi participe donc d’une véritable logique qui est, il faut le dire, différente de celle de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, même si les deux se rejoignent sur certains points, car celle de l’Assemblée nationale ne s’intéresse qu’à la féminisation des instances dirigeantes. Nous, nous traitons simultanément le cumul des mandats d’administrateur et la diversification des conseils d’administration.
Le MEDEF et l’AFEP nous vantent leur « code » sur la féminisation des conseils d’administration. Nous nous en réjouissons, mais cette modeste évolution est avant tout déclarative, de façade : cela fait penser à un « village Potemkine ». En effet, de même que, quand nous parlons de recours collectifs, on nous rétorque que c’est inutile puisque les entreprises développent l’arbitrage et la médiation, quand nous parlons de féminisation, on nous renvoie au code de l’AFEP !
D’autres collègues ont traité ou vont traiter de la question d’une représentation équilibrée des deux sexes qui nous permettra de rejoindre ce pays, ô combien vertueux, qu’est la Norvège !
Qu’on me permette simplement, sur ce point, de me réjouir de voir que, en France, le mouvement est manifestement amorcé puisque Mme Chirac a rejoint le conseil d’administration de LVMH et Mme Woerth, celui d’Hermès. Néanmoins, j’ai envie de dire : Français, encore un petit effort ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout quand ce sont des femmes de ministres qui entrent dans les conseils d’administration !
M. Richard Yung. Pour ma part, je voudrais insister sur le fait que ce texte s’inscrit dans la continuité de nos propositions tendant à réformer la gouvernance des entreprises, à améliorer le système par lequel les entreprises sont dirigées et contrôlées. Nous nous intéressons non seulement à l’organisation de la direction de l’entreprise, mais aussi à son contrôle et aux moyens d’expression des actionnaires.
Nous voulons renforcer l’indépendance et limiter le plus possible les complaisances qui existent entre les différents acteurs. Vous le savez, mes chers collègues, l’élection des administrateurs s’apparente le plus souvent à une aimable cooptation ! On a parlé d’« endogamie ». Je vous cite, madame le rapporteur : « 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote dans les conseils du fait du cumul des mandats. » Cela entraîne une concentration excessive, avec des nominations croisées et un soutien mutuel en matière de rémunération.
Permettez à quelqu’un qui a suivi de près des conseils d’administration de banques de la place de le dire, il est évident que, sauf cas extrême, on ne vote pas contre telle ou telle décision proposée par le président dans la mesure où ce dernier est un ami, qu’il siège dans votre propre conseil et que vous escomptez bien qu’il vous rende la pareille le jour où vous aurez besoin de faire voter une résolution !
Et c’est encore bien pis pour les rémunérations : on imagine aisément comment cela se passe au sein de ces comités composés de deux, trois, parfois quatre mandataires sociaux. De telles pratiques ne sont pas bonnes. Si ce n’est pas de la corruption, c’est une sorte de déviance morale et intellectuelle. Il faut donc, en fait, protéger ceux qui y siègent contre eux-mêmes !
Par ailleurs, nous avons sévèrement critiqué le cumul de type Proglio. Nous pensons que l’exercice des fonctions de dirigeant dans une entreprise privée n’est pas compatible avec l’exercice des fonctions de dirigeant dans une entreprise publique. Notre collègue M. François Zocchetto ayant parlé avec beaucoup de talent de cette incompatibilité, je n’insiste pas, sinon pour souligner qu’exercer la fonction de président de conseil d’administration ou de président de conseil de surveillance, c’est une responsabilité lourde et prenante quand il s’agit d’une grande entreprise. Ce n’est pas une fonction que l’on peut exercer à temps partiel ou seulement quand on en a le loisir !
S’ajoute à cela le cumul des rémunérations. L’écart entre le salaire médian des Français et celui des grands dirigeants, qui est déjà très important, se voit ainsi doublé !
À cet égard, nous n’avons pas été convaincus par la proposition de loi du groupe du RDSE telle qu’elle est sortie de nos débats, car la majorité l’a allègrement vidée de sa substance en ramenant en fait le dispositif à un avis donné au ministre des finances… je n’irai pas jusqu’à dire par un comité Théodule,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D’autant que ce sont des gens très bien !
M. Richard Yung. Absolument !
… mais par des hauts fonctionnaires des finances, sur un cumul des fonctions et des rémunérations !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. C’est très important !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si on les écoutait de temps en temps !
M. Richard Yung. Je ne développerai pas davantage, mais, très franchement, cela ne paraît pas très convaincant. C’est pourquoi, à l’article 4, nous avons repris les règles d’incompatibilité.
J’en viens aux sanctions. Selon vous, la nullité des délibérations serait une sanction trop lourde. Mais nous devons nous donner des moyens si nous voulons avancer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Des moyens adaptés !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Il y en a d’autres à trouver !
M. Richard Yung. S’il y en a d’autres, débattons-en ! Or, malheureusement, on botte en touche !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Mais nous allons en débattre !
M. Richard Yung. Oui, mais à la Saint-Glinglin !
Nous voulons introduire ces sanctions qui, selon nous, sont proportionnées et raisonnables. De plus, un délai est laissé aux entreprises : 20 % au minimum de représentants d’un même sexe au bout de trois ans, 40 % au bout de six ans. Cela nous paraît de nature à créer non pas l’insécurité juridique dénoncée par Mme le rapporteur, mais, au contraire, les conditions d’une avancée.
Cette proposition de loi est dans l’esprit du temps et de la modernisation de l’économie française. Elle est nécessaire. C’est pourquoi je vous demande d’en débattre et, par conséquent, de rejeter la motion de renvoi. (Applaudissement sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)