Depuis le mois de septembre 2009, les socialistes des trois assemblées(1) travaillent ensemble sur les questions de la régulation financière et de la gouvernance économique.
L’objectif est double : il s’agit d’une part de coordonner nos travaux en établissant une feuille de route sur des sujets centraux pour la sortie de crise ; d’autre part, ce thème fédérateur nous permet de définir une méthode de travail pour nos groupes politiques dans le cadre de la mise en oeuvre progressive du traité de Lisbonne ; ainsi, nous expérimentons et préparons un véritable manuel pédagogique et pratique de l’utilisation du traité de Lisbonne, anticipant le renforcement des liens entre les parlements nationaux et le Parlement européen. Nos travaux s'inscrivent également dans le cadre de ceux menés au sein du Parti Socialiste Européen et du Parti Socialiste Français.
Notre réunion du mercredi 7 juillet constitue une étape importante dans ce travail.
La crise a révélé les limites et les dérives de notre système économique. Ces trente dernières années ont été marquées par des dérégulations généralisées, poussées par une quête excessive et immorale du profit par un secteur financier surdimensionné, à l’influence déstabilisatrice. Cela s’est traduit par une croissance des inégalités de revenus et une explosion de la précarité. L’absence de gouvernance mondiale et européenne à la hauteur de ces nouveaux défis a permis ces dérives et amplifié la crise.
Les membres des trois assemblées présents aujourd’hui à Strasbourg soulignent la responsabilité historique des femmes et des hommes politiques pour élaborer un projet de réforme visionnaire.
Quelles réponses au dogme de la consolidation budgétaire ? Quelles réponses face aux politiques d’austérité généralisées ?
Le spectre de déficits publics insoutenables est utilisé pour justifier une cure d’austérité sans précédent dans toute l’Europe. Les droites européennes transforment ainsi progressivement le Pacte de stabilité en Pacte de régression sociale. Pourtant, la montée des déficits est une conséquence de la diminution des recettes fiscales et de l'augmentation du chômage du fait de la crise, des plans de sauvetage des banques et aussi de l’absence de gouvernance économique pour réduire les écarts de compétitivité depuis le lancement de l'euro. La droite française porte une responsabilité majeure dans cet affaiblissement. Ainsi, en 1993 déjà, c’est elle qui négocie de manière inadéquate le Pacte de stabilité. C’est encore elle qui fait rebaptiser le Pacte de stabilité et de croissance sans jamais donner à l’objectif de croissance de contenu concret.
Pour nous, l’urgence consiste à ne pas tuer la croissance dans l'oeuf et les emplois qu'elle doit générer. L’austérité généralisée ne peut constituer ni une politique, ni un objectif européen, alors que l’Europe vient de se doter d’une stratégie de lutte contre le changement climatique, et que le Conseil européen a avalisé la stratégie 2020 – pourtant insuffisante - qui requiert, pour son succès, de vastes investissements. Il faut donc trouver le bon dosage entre politiques de soutien à l'économie et une consolidation budgétaire progressive.
Quelques propositions concrètes ont déjà émergé de nos réflexions :
- La consolidation budgétaire doit être davantage progressive, sur 5 ans au moins au lieu de 3 ans.
- L’émission de bons de dette publique européenne est l’une des solutions possibles.
- Nous devons remédier aux écarts de compétitivité entre les Etats membres, qui sont au coeur de la crise actuelle, en fixant des objectifs de convergence équilibrés, amenant les pays particulièrement excédentaires à relancer leur consommation intérieure.
- Nous devons mettre en oeuvre une politique de relance avec une stratégie d’investissement à court, moyen et long terme.
- Nous voulons plus d’Europe : pour cela, il faut qu’elle dispose de ressources supplémentaires. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’accroissement de la capacité budgétaire de l’Union européenne, en créant de nouvelles ressources propres au budget européen. Nous sommes favorables à une taxe européenne sur les transactions financières dont le produit serait reversé au budget européen.
- Nous préconisons l’utilisation des Euro-obligations pour financer - via la Banque européenne d’investissement - des infrastructures européennes (en particulier dans le secteur énergétique, mais également du transport, etc.).
Quelle stratégie pour de nouvelles formes de gouvernance ? Quelle surveillance des finances publiques ? Quel avenir pour le pacte de stabilité ? Quels outils de prévention et de gestion des crises ? Face aux marchés mondialisés, quels moyens politiques ?
Un des enseignements à tirer de la crise tient dans les conséquences de l’absence de gouvernance mondiale et européenne à la hauteur des défis : ce vide a largement amplifié – si ce n’est rendu possible - la crise que nous connaissons. « Rien ne se crée sans les hommes, rien ne dure sans les Institutions » : c'est en partant de ce principe que nous avons non seulement élaborées des propositions politiques concrètes, mais également des modifications institutionnelles visant à ancrer le changement dans la durée en révolutionnant nos modes de gouvernance.
Gouvernance et surveillance des finances publiques
- Instituer un M. ou une Mme Euro qui soit l’un des vice-présidents de la Commission, qui participe aux travaux du Conseil européen, préside le Conseil Ecofin et l’Eurogroupe, représente l’Union dans les instances internationales relevant de sa compétence.
- Elaborer les budgets des Etats membres de la zone euro sur la base d'un calendrier harmonisé et à partir des mêmes prévisions.
- Adopter les grandes orientations des politiques économiques (GOPE) en codécision avec le Parlement européen ; ce processus permettrait des débats puis une évaluation des budgets des Etats membres. Cela pourrait se faire sous l’autorité du vice-président de la Commission, dans des séances ouvertes de l’Eurogroupe.
- Nous sommes pour la création d’une Conférence interparlementaire rassemblant l’ensemble des parlements nationaux de l’Union et le Parlement européen comme instrument de coordination dans le débat budgétaire.
- Elargir la surveillance multilatérale et les demandes d’ajustement des seules situations de déficit aux situations d’excédents en tenant compte des situations spécifiques de chaque Etat.
- L’examen de l’état des finances des Etats membres dans le cadre du Pacte de stabilité doit comprendre davantage de critères : prise en compte des actifs des Etats membres, des excédents et des déficits structurels (et pas seulement du déficit courant), compétitivité, emploi, politiques salariales, pauvreté, politique d’éducation, investissements dans la recherche et l’innovation… Nous devons définir des outils plus adaptés à décrire la réalité pour mieux penser nos politiques.
- Nous sommes favorables à la création d’une agence publique européenne du type de la Cour des Comptes pour évaluer l’efficacité de la dépense fiscale et contrôler la véracité des comptes.
Mécanismes de solidarité
- Organiser l’émission mutualisée d’une partie de la dette souveraine des Etats membres gérée par un Fonds monétaire jetant les bases d’une surveillance multilatérale plus élaborée et garantissant une plus grande attractivité du marché de l’ensemble de la zone et une gestion commune de la dette.
- Créer un véritable Fonds monétaire européen permettant de faire face aux risques de défaut souverain.
Gouvernance mondiale
- Convoquer un sommet du G20 consacré exclusivement à une réforme nécessaire de la gouvernance mondiale.
- Réorganiser la distribution des sièges et le droit de vote des Etats membres de l’Union européenne dans les organisations internationales afin de renforcer leur capacité d'influence.
- Intégrer le G20 dans l’organisation du FMI et en faire le Conseil des ministres de l’organisation.
- Associer plus largement les parlementaires aux travaux des institutions financières internationales.
- Soumettre les normes définies par le Comité de Bâle à un accord politique international afin qu’elles puissent être traduites en traités internationaux.
Comment mettre la finance au service de l’économie réelle ? Comment corriger les imperfections du marché ? Comment responsabiliser le secteur financier ? Comment donner une nouvelle légitimité aux pouvoirs publics en matière d’économie et de finance ? Quelle taxation des acteurs de marché et dans quel but ?
Il ne doit plus être possible, à l’avenir, de nationaliser les pertes des banques, de privatiser les profits, et de mettre à charge des citoyens le rattrapage des dérives spéculatives. Les acteurs, les produits et les marchés financiers doivent être moins complexes, plus responsables et utiles à la collectivité Pour cela, plusieurs propositions concrètes ont fait consensus lors de nos travaux :
- La réforme du système financier doit être pensée en fonction de sa finalité : fournir des produits appropriés d’épargne et permettre le financement de l’investissement sur le long terme, des retraites et de la création d’emploi.
- En vertu de la clause sociale horizontale du traité de Lisbonne, nous devons obliger les banques à analyser les demandes de prêts en fonction de leur impact sur l’emploi.
- Nous souhaitons favoriser les structures de l’économie sociale, et obliger les entreprises à établir des bilans non seulement financiers mais aussi sociaux et environnementaux.
- Notre système de supervision doit être investi de deux missions : d’un côté, la protection des épargnants et de l’autre, le contrôle prudentiel des institutions financières ; pour ce faire, nous souhaitons une distinction claire entre les banques de dépôts et les banques d'investissements qui permette d’interdire à toute banque collectant de l’épargne et des dépôts de spéculer sur les marchés pour son propre compte avec ses fonds propres.
- Nous souhaitons limiter la taille des établissements bancaires afin d’empêcher qu’ils ne deviennent tellement grands que l’Etat ne pourrait les laisser tomber, sauf à risquer une faillite du système.
- Nous proposons de compléter le « paquet supervision » en cours d’adoption par la définition d’un mécanisme de gestion de crise et de partage du fardeau, du prêteur de dernier ressort, de l’harmonisation des régimes de sanction et du droit de la faillite.
- Nous souhaitons confier à l’Autorité européenne des marchés financiers les compétences d’une agence de protection des épargnants pour enregistrer et valider les prototypes et les pratiques de commercialisation issus de l’innovation financière, autoriser leur mise sur le marché, suivre leur évolution et, si nécessaire, les retirer temporairement ou définitivement.
- L'agence européenne des marchés financiers (ESMA) aurait également pour mission de choisir l’agence responsable de la notation de chaque produit financier et de la dette souveraine. Les agences seraient alors sélectionnées en fonction de leurs performances passées dans l’évaluation des produits considérés ;
- Nous réclamons une taxe sur les transactions financières, au niveau européen si nous ne pouvons la mettre en place au niveau global et dont le produit serait alors reversé à la collectivité européenne ; une telle taxe se distingue complètement d’une taxe bancaire, que nous défendons également. Cette dernière a pour objectif de responsabiliser les banques ; son produit serait attribué à un fonds européen de prévention des risques systémiques.