Le 11 septembre, j’ai présenté devant la commission des affaires européennes du Sénat une communication sur l’avancement de l’union bancaire.
Demain, le Parlement européen devrait adopter le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) confiant à la Banque Centrale Européenne la responsabilité de la supervision d’une grande partie des établissements financiers de la zone euro. À peine 12 mois auront été nécessaires à la finalisation d’un accord qui constitue une étape majeure de la constitution de l’Union bancaire. Il s’agit là d’un important transfert de souveraineté qui doit permettre de proposer des réponses pérennes et crédibles à la crise de la zone euro en rompant le cercle vicieux entre dettes souveraines et dettes bancaires. Il s’agit de restaurer la confiance, d’assurer la poursuite de l’intégration du marché financier européen et de rendre possible le retour de la croissance économique. La période qui s’ouvre sera critique à la réussite et au maintien des ambitions affichées lors du sommet de la zone euro du 29 juin 2012. De quels éléments constitutifs d’une véritable Union bancaire dispose l’Europe aujourd’hui ? Quelles prochaines étapes sont envisagées ?
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La crise a agi comme détonateur de l’Union bancaire. En effet, l’inadéquation entre des marchés financiers intégrés et des structures de gouvernance principalement nationales a nécessité, dans le contexte de la crise financière, l’intervention massive des États européens qui ont dû soutenir leurs secteurs bancaires pour près de
1 600 milliards € entre octobre 2008 et octobre 2011. L’intégration du marché des services financiers européens s’est réalisée sans la mise en place, au niveau de l’Union, de règles de gouvernance adaptées qui devraient reposer schématiquement sur trois piliers : une réglementation commune, des autorités communes et des moyens financiers communs.
La Commission européenne a présenté en juillet 2011 un corpus réglementaire unique reprenant les normes prudentielles internationales de « Bâle III » applicables à toutes les banques européennes. Les propositions de directive et de règlement « Capital Requirement Directive CRD IV », prérequis indispensable à l’élaboration de l’Union bancaire, ont été adoptées en juin 2013 et les principaux ratios prudentiels entreront en application progressivement à partir de janvier 2014.
En juin 2012, la Commission a, de plus, présenté une proposition de directive visant à harmoniser les mécanismes de liquidation des banques défaillantes. Les fonds publics ont été fortement mobilisés lors des sauvetages du secteur financier au début de la crise. Le principe d’une implication prioritaire des créanciers privéss’est ensuite imposé. C’est l’esprit du nouveau cadre élaboré par la Commission : une hiérarchie des créanciers privés est proposée pour participer au renflouement interne d’une banque en difficulté tout en préservant les dépôts inférieurs à 100 000€. Un accord politique, qui laisse notamment une importante flexibilité aux États membres dans le choix des créanciers privés mobilisables, est intervenu au Conseil du 27 juin 2013. Une adoption au Parlement européen pourrait être envisagée avant la fin de l’année 2013 avec, toutefois, une entrée en vigueur au plus tôt en janvier 2015.
La Banque Centrale européenne sera dorénavant le superviseur unique des principaux établissements financiers de la zone euro. La cadre finalement adopté diffère quelque peu de la proposition initiale. Les États hors de la zone euro peuvent participer au Mécanisme de Supervision Unique. La supervision directe par la BCE est limitée aux seulsétablissements jugés significatifs selon l’un au moins des critères suivants : le total de l’actif de l’établissement doit être supérieur à 30 milliards € ou représenter plus de 20% du PIB (sauf si les actifs sont inférieurs à 5 milliards €), l’établissement bénéficie d’un programme financier d’aide européen, l’établissement est jugé comme significatif par une autorité nationale de supervision ou par la BCE. En tout état de cause, au minimum trois établissements par États membres participants feront l’objet d’une supervision directe par la BCE. On estime à ce jour qu’environ 130 établissements financiers seront concernés représentant 80% des actifs financiers de la zone euro, 95% du système bancaire français et moins de 75% du système bancaire allemand.
Le Parlement européen avait conditionné son accord à la conclusion d’un accord interinstitutionnel avec la BCE précisant les modalités pratiques « de l’exercice du contrôle démocratique et du suivi de l’accomplissement par la BCE des missions qui lui confèrent le règlement ». Les Parlements nationaux seront, quant à eux, destinataires du rapport annuel sur l’évolution prévisible de la structure de supervision et du montant des redevances de surveillances.
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Une étape majeure va se dérouler avant toute mise en place effective du Mécanisme de Supervision Unique. En effet, la supervision ne débutera au plus tôt qu’en septembre 2014 après une revue préalable par la BCE des actifs des banques concernées et un exercice de tests de résistance. La qualité de l’évaluation de la solidité financière des établissements les plus significatifs de la zone euro sera un test crucial tant pour restaurer la confiance dans le secteur bancaire européen que pour la crédibilité de la BCE en tant que superviseur bancaire. On ne peut exclure qu’il s’agisse ainsi d’une « heure de vérité » pour certaines banques européennes alors que des observateurs, parmi lesquels le FMI et l’Autorité Bancaire Européenne, soulignent l’insuffisance en fonds propres et la détérioration de la qualité de certains établissements bancaires.
L’hypothèse de besoins en recapitalisation de quelques établissements à l’issue de l’évaluation des bilans ne peut donc être totalement écartée. Les débats concernant l’autorité de résolution des difficultés bancaires et les moyens financiers d’aide au secteur retrouvent dès lors une actualité concrète.
Un Mécanisme de Résolution Unique (MRU) composé d’un Conseil de résolution et d’un fonds de résolution a été présenté en juillet 2013. Ce règlement confie un rôle prépondérant à la Commission européenne au sein du Conseil de résolution. Le rôle de la Commission, la base juridique utilisée (article 114 marché intérieur), l’impact éventuel sur les responsabilités budgétaires des États ainsi que l’articulation entre fonds de résolution et fonds de garantie des dépôts font débat. De nombreux pays, dont l’Allemagne, privilégient un mécanisme de décision plus collégiale. La question de savoir par qui et comment sera restructurée une banque défaillante en zone euro ne sera probablement pas tranchée avant les prochaines élections européennes.
À cette question s’ajoute naturellement celle du financement, thème au sujet duquel un accord politique parait difficile à trouver à court terme. Le fonds de résolution récemment proposé par la Commission serait, à terme, financé ex-ante par les banques et recevrait transitoirement des fonds publics des États participants. La négociation de ce texte débute à peine et celle sur la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts est suspendue depuis 2011. L’accord du Conseil des 26 et 27 juin sur la recapitalisation directe des banques par le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) a créé, pour sa part, un cadre très contraint. Des conditions préalables sont posées à toute recapitalisation bancaire par le MES, parmi lesquelles figurent notamment l’accord sur l’harmonisation des régimes de résolution (au mieux fin 2013), l’accord sur les systèmes de garantie des dépôts (non envisagé à ce jour) et la mise en place effective du Mécanisme du Supervision Unique (au plus tôt septembre 2014). De plus, l’État concerné devra abonder à hauteur de 20% des sommes versées et avoir préalablement participé à une recapitalisation de la banque en difficulté. Enfin, les fonds disponibles sont limités dans un premier temps à 60 milliards € à comparer aux 40 milliards accordés à l’Espagne pour la recapitalisation bancaire.
La zone euro aurait pu, et certainement dû, se doter d’une Union bancaire bien avant la crise. Les éléments constitutifs dont nous disposons sont aujourd’hui encore imparfaits. Si l’Union bancaire ne peut supprimer totalement le lien entre banques et État, elle peut toutefois l’atténuer en partie. L’évaluation crédible de la solidité des banques de la zone euro est de nature restaurer la confiance dans le système financier indispensable à l’accompagnement de la croissance économique. Le processus, aussi imparfait soit-il donc encore, semble désormais inéluctablement enclenché et entre aujourd’hui dans une phase décisive. Durant ces 12 prochains mois, la volonté politique et la nécessaire collaboration entre autorités nationales de résolution, BCE et Commission européenne devraient permettre de poursuivre plus avant la construction de l’Union bancaire.