L’Autorité des Marchés Financiers m’a interviewé pour sa Lettre de la Régulation Financière du mois d’octobre. Vous trouverez ci-dessous cette interview.
Nommé rapporteur du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires par la Commission des finances et par ailleurs, secrétaire de la Commission des affaires européennes, le sénateur Richard Yung revient sur les réformes en cours et les priorités pour les mois à venir en matière de régulation.
Quelles sont les innovations majeures que le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires apporte à la mission des régulateurs de marché et prudentiel ?
Richard Yung — Ce projet de loi met en œuvre une réforme d’ampleur inédite de la structure des banques centrée sur deux objectifs majeurs : la protection des activités bancaires utiles à l’économie par la séparation de la spéculation pour compte propre et la réduction de l’aléa moral par la création d’un régime préventif et curatif complet de résolution des établissements financiers. L’Autorité de contrôle prudentiel, renommée Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), se voit ainsi confier la mission de veiller à l’élaboration et à la mise en œuvre des mesures de prévention et de résolution des crises bancaires. Dotée d’un nouveau collège de résolution, l’ACPR disposera d’outils d’intervention extraordinaires – certains diront exorbitants – , à la fois de façon permanente en prévention des crises, et de façon ponctuelle. Elle pourra, par exemple, décider de la cession d’une filiale.
Ensuite, le projet de loi étend les champs d’intervention de l’AMF en matière de régulation du marché des matières premières agricoles, de trading algorithmique ou de sanction des abus de marché. Il contient d’autres dispositions vouées au renforcement des pouvoirs de l’AMF en matière de surveillance, de contrôle et d’enquête.
Quels sont, selon vous, les grands chantiers qui restent à mener pour « redonner du sens à la finance », tout en maintenant la compétitivité de la Place de Paris ?
R.Y. — Même si de nombreux chantiers mériteraient d’être lancés pour « redonner du sens à la finance », quatre grands chantiers me paraissent incontournables dans les mois à venir. Il nous faut encadrer le shadow banking, ces activités d’intermédiation de crédit impliquant des entités et activités en dehors du système bancaire traditionnel et susceptibles de poser des risques systémiques. Il faut également aller plus loin sur la gouvernance des banques et des institutions financières et permettre à l’assemblée générale des actionnaires de fixer des règles ou l’enveloppe générale pour les rémunérations des dirigeants et cadres dirigeants. La régulation et le contrôle des indices sont un autre sujet incontournable. Comme je l’ai indiqué dans ma récente proposition de résolution sur la réforme européenne des indices de taux, il faut mettre en place une supervision au plan européen. S’agissant du Libor et de l’Euribor, j’ai proposé que cette mission soit exercée par la Banque centrale européenne (BCE). Enfin, nous devons créer un régime commun de résolution en zone euro. Conscients de la nécessité de mettre en place une architecture qui permette de casser le lien objectif entre la solidité des banques d’un État et ses finances publiques, les États de la zone euro ont lancé le projet ambitieux d’union bancaire, lequel repose sur la mise en commun de trois piliers : la supervision, la résolution et la garantie des dépôts. Il s’agit de mettre en place un mécanisme de surveillance unique, sous l’égide d’un superviseur unique adossé à la BCE, de définir un mécanisme de résolution unique des banques et de mutualiser les coûts engendrés par les crises. Je pousserai cette idée d’une mutualisation des fonds de résolution.
Enfin, une partie croissante des textes applicables à la régulation financière est d’origine européenne : comment le législateur national entend articuler le corpus législatif national avec le corpus de textes européens ?
R.Y. — Progressivement, nous avançons dans la voie de l’intégration des systèmes bancaires et financiers en zone euro. L’une de nos responsabilités doit être de donner des capacités de décision et des règles de gouvernance à l’Eurozone, cadre essentiel d’action. Au-delà des réunions informelles des ministres des finances, il s’agit d’aller plus loin avec un président permanent, un ministre des finances et une autorité commune, un Trésor de l’Eurozone doté de compétences propres en matière d’émissions de titres, par exemple, ou de résolution.