Pour la seconde année consécutive, le Sénat a rejeté le projet de budget proposé par le Gouvernement de Jean-Marc AYRAULT (143 voix pour, 180 voix contre, 15 abstentions). En votant contre la partie relative aux recettes du projet de loi de finances pour 2014, les sénateurs communistes, UMP et centristes ont mis un terme à l’examen d’un texte ambitieux dont l’objectif est d’amplifier les signes de reprise économique tout en poursuivant le redressement des comptes publics.
Alors qu’ils avaient voté pour le projet de loi de finances pour 2013, les sénateurs écologistes ont, cette année, fait le choix de l’abstention. Ce faisant, ils ont fragilisé une nouvelle fois le contrat de majorité. Je salue le courage de ma collègue Leila AÏCHI, qui est la seule membre du groupe écologiste à avoir exprimé un vote positif.
Au cours des six jours de débat, une coalition de sénateurs PC, UMP, UDI et MODEM a dépecé le texte préparé par le Gouvernement et amendé par les députés. Plusieurs articles ont été supprimés. D’autres dispositions ont été dénaturées. Au total, leurs amendements tendaient à dégrader le solde budgétaire à hauteur de 10 milliards d’euros !
Je déplore en particulier que les sénateurs communistes se soient abstenus sur la taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations versées par les entreprises. Ce choix politique est difficilement compréhensible. Comment des parlementaires de gauche peuvent-ils refuser de soutenir une mesure de justice fiscale qui prévoit la taxation des revenus à hauteur de 50% au-delà de un million d’euros ?
Je suis d’autant plus consterné par le rejet du projet de loi que des mesures importantes ont été adoptées au cours de la discussion des articles de la première partie: inclusion des intérêts des plans d’épargne-logement (PEL) dans les revenus pris en considération pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ; extension de la taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations à l’ensemble des clubs sportifs professionnels affiliés à une fédération française, quel que soit leur lieu d’établissement et leur nationalité ; élargissement aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) de la procédure d’amortissement accéléré dans le domaine de la robotique industrielle ; etc.
Pour ma part, j’ai fait adopter un amendement – cosigné avec François PATRIAT – visant à permettre le cumul du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) avec le crédit d’impôt métiers d’art (CIMA). Actuellement, il n’est possible de cumuler le CICE qu’avec le crédit d’impôt recherche (CIR), le crédit d’impôt collection (CIC) et le crédit d’impôt innovation (CII).
J’ai également fait adopter un amendement – cosigné avec Jean-Yves LECONTE et Claudine LEPAGE – tendant à supprimer le principe injuste de l’acquittement d’une partie du droit de visa de régularisation au moment de la demande de titre de séjour, sans possibilité de remboursement en cas de rejet. Applicable notamment aux migrants en situation irrégulière qui sollicitent la délivrance d’un titre de séjour, ce principe – mis en place par la droite – n’est pas acceptable car il s’apparente à un véritable droit d’entrée dans la procédure.
En revanche, les quatre autres amendements que Jean-Yves LECONTE, Claudine LEPAGE et moi-même avions déposés afin de réduire le montant des taxes dont les migrants doivent s’acquitter à l’occasion d’une demande de titre de séjour ont été rejetés. Nous proposions de :
- supprimer la taxe perçue en faveur de l’Office pour l’immigration et l’intégration (OFII) lors de la demande de validation d’une attestation d’accueil ;
- baisser le taux de la taxe qui doit être acquittée par les employeurs qui embauchent des travailleurs étrangers afin de favoriser l’insertion de ces migrants et lutter contre le travail clandestin ;
- réduire très sensiblement le montant de la taxe qui doit être acquittée par les migrants qui sollicitent la délivrance d’une première carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » ;
- ramener le montant du droit de visa de régularisation à son niveau de 2011 (220 euros au lieu de 340 euros actuellement).
L’amendement que j’avais cosigné avec François PATRIAT afin d’élargir la procédure d’amortissement accéléré dans le domaine de la robotique industrielle à la robotisation des exploitations agricoles a également été retoqué.
Pour ce qui concerne les amendements en faveur des Français établis hors de France, ma déception est grande.
Mon amendement relatif à la déductibilité des charges n’a pas été adopté, et cela en dépit du soutien apporté par le rapporteur général du budget. Claudine LEPAGE, Jean-Yves LECONTE et moi-même proposions de généraliser la jurisprudence dite « Schumacker » à l’ensemble des contribuables domiciliés en dehors de l’Union européenne (UE) et de l’Espace économique européen (EEE). Transposée dans une instruction fiscale du 13 janvier 2012, cette jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) permet la déductibilité des charges supportées par les non-résidents fiscaux qui sont établis dans un autre État membre de l’UE, en Islande, au Lichtenstein ou en Norvège et dont les revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75% de leur revenu mondial imposable.
Le rapporteur général, François MARC, estime que cette jurisprudence « a pu faire naître le sentiment d’une forme de discrimination au détriment de nos compatriotes établis, par exemple, en Tunisie, au Canada ou aux États-Unis, bref dans un État tiers à l’Espace économique européen ». D’après lui, la solution proposée par mon amendement est « raisonnable » car elle concerne des non-résidents qui « contribuent […] déjà de manière importante à l’impôt en France ».
Je regrette que le ministre délégué chargé du Budget, Bernard CAZENEUVE, n’ait pas partagé ce point de vue. Il a indiqué que « c’est parce que les personnes domiciliées hors de France sont soumises à une obligation fiscale limitée en France qu’elles ne peuvent déduire aucune charge de leur revenu global ». Partant, « l’exception prévue pour les "non-résidents Schumacker" n’est pas transposable aux non-résidents établis hors de l’Europe » car elle « s’applique à tous les États membres, ce qui implique une réciprocité aux termes de laquelle un Français imposé dans un autre État membre peut, le cas échéant, se prévaloir des principes imposés par l’arrêt Schumacker. Les Français qui résident dans les États tiers à l’Union européenne ne peuvent pas bénéficier d’une telle réciprocité ».
Le Gouvernement souhaite engager une réflexion avec les parlementaires élus par les Français établis hors de France afin de trouver une solution « dans le cadre des conventions fiscales qui nous lient aux autres États, en veillant à ce que la condition de réciprocité soit respectée ». Je veillerai à ce qu’un groupe de travail soit mis en place le plus rapidement possible.
Quant à mon amendement relatif à l’imposition des plus-values immobilières réalisées par les non-résidents, il a connu un sort encore plus funeste. En effet, il n’a même pas pu être discuté car l’article auquel il était rattaché a été supprimé par un amendement communiste. Claudine LEPAGE, Jean-Yves LECONTE et moi-même proposions d’aligner le taux d’imposition des plus-values réalisées par les non-résidents fiscaux domiciliés dans les États tiers à l’Espace Économique Européen (33,33%) sur celui des plus-values réalisées par les personnes fiscalement domiciliées en France et les non-résidents fiscaux établis dans un État membre de l’EEE (19%). Il faudra, à mon sens, remettre l’ouvrage sur le métier dans le cadre de la réforme globale de la fiscalité qui a été lancée par le Gouvernement.
Un motif de satisfaction cependant : aucun sénateur ou groupe politique n’a remis en cause la mesure prévoyant l’extension du champ de l’exonération des plus-values de cessions immobilières réalisées à l’occasion de la première cession de l’habitation en France des non-résidents fiscaux. Prévue à l’article 150 U du code général des impôts et limitée à une résidence par contribuable, cette exonération est actuellement soumise à une double condition. Le cédant doit avoir été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession. Il doit également avoir la libre disposition du bien au moins depuis le 1er janvier de l’année précédant celle de la cession.
Partant du constat que ce dispositif avantage les non-résidents qui ont des moyens financiers suffisants pour avoir la libre disposition de leur habitation en France, les députés socialistes élus par les Français établis hors de France avaient fait adopter un amendement élaboré en étroite concertation avec le Gouvernement et avec l’aide précieuse de Corinne NARASSIGUIN.
Il prévoit, d’une part, la levée de la condition tenant à la libre disposition du bien cédé dès lors que la cession intervient dans les cinq années suivant celle du départ et, d’autre part, le plafonnement du montant de la plus-value exonérée (150.000 euros de plus-value nette imposable). L’exonération actuellement applicable aux habitations pour lesquelles les cédants ont la libre disposition du bien est également maintenue, sans condition de délai.
Cette mesure de justice fiscale répond à une demande exprimée par de nombreux Français établis hors de France. Elle entrera en vigueur à compter du 1er janvier prochain.
Conséquence du rejet de la première partie du projet de loi de finances, le Sénat n’a pas pu débattre des crédits alloués aux politiques publiques. Ainsi, je n’ai pas pu présenter mon rapport sur la mission « Action extérieure de l’État », ni soumettre au vote mon amendement tendant à abonder les crédits l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) à hauteur de 150.000 euros via une réduction du budget consacré aux ambassadeurs thématiques.
À l’issue du débat, le président du Sénat, Jean-Pierre BEL, a évoqué « la nécessité de réfléchir à une rénovation de la procédure budgétaire dans la perspective d’une revalorisation du rôle du Parlement dans l’élaboration des lois de finances publiques et sociales ». Je partage pleinement ces propos.
Après un probable échec de la commission mixte paritaire (CMP), le projet de loi de finances pour 2014 repartira pour une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Les députés auront le dernier mot. Gageons qu’ils reprendront à leur compte certains des amendements votés par la Haute assemblée.
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