Le 4 février, le Sénat a adopté, en première lecture, une proposition de loi organique et une proposition de loi simple relatives aux autorités administratives indépendantes (AAI) et autorités publiques indépendantes (API).
Partant du constat que « la prolifération et le fonctionnement des autorités administratives indépendantes sont devenus un réel problème institutionnel », les auteurs de ces deux textes proposent de traduire dans la loi les onze propositions qu’une commission d'enquête sénatoriale avait formulées dans un rapport publié en octobre 2015.
La proposition de loi organique a pour objet d’attribuer au législateur la compétence exclusive pour créer une AAI ou une API. Elle prévoit également que la loi fixe les règles relatives à la composition et aux attributions ainsi qu’aux principes fondamentaux de l’organisation et du fonctionnement de ces autorités.
La proposition de loi simple vise, quant à elle, à créer un statut général qui, « sauf disposition contraire », s’appliquerait à l’ensemble des AAI et API, dont le nombre serait limité à vingt-trois (*). Ce statut général comprendrait l’ensemble des règles relatives à l'organisation des autorités, à la déontologie des membres et du personnel, aux règles de fonctionnement des autorités ainsi qu’aux modalités du contrôle parlementaire.
Selon la proposition de loi simple, l’Autorité des marchés financiers (AMF) conserverait son statut d’AAI. Son collège serait ainsi renouvelé par moitié tous les trois ans. De plus, les attributions actuelles du secrétaire général à l’égard des services de l’AMF seraient confiées au président. Considérant que ces dispositions sont incompatibles avec le respect de la parité entre hommes et femmes et craignant qu'elles ne remettent en cause la double gouvernance actuelle de l’AMF, répartie entre le président et le secrétaire général, j’ai déposé deux amendements, qui, malgré le soutien du Gouvernement, n’ont pas été adoptés.
Je me réjouis que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ne figure pas dans la liste des AAI et API. Il importe en effet que cette autorité - chargée de la surveillance des établissements bancaires et d'assurance - reste adossée à la Banque de France, entité sui generis en vertu de la loi. Il convient également de maintenir la « participation croisée » entre l’ACPR et l’AMF, qui est très utile en matière de stabilité financière et facilite la coopération entre ces deux autorités. Enfin, le caractère renouvelable du mandat des membres de l’ACPR doit être préservé car il permet le développement d’une véritable jurisprudence.
Les deux propositions de loi ont été transmises à l’Assemblée nationale.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mes interventions en séance publique.
(*) Agence française de lutte contre le dopage ; Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires ; Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ; Autorité de la concurrence ; Autorité de régulation de la distribution de la presse ; Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières ; Autorité de régulation des jeux en ligne ; Autorité des marchés financiers ; Autorité de sûreté nucléaire ; Commission d'accès aux documents administratifs ; Commission du secret de la défense nationale ; Contrôleur général des lieux de privation de liberté ; Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ; Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ; Commission nationale de l'informatique et des libertés ; Commission de régulation de l'énergie ; Conseil supérieur de l'audiovisuel ; Défenseur des droits ; Haute autorité de santé ; Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur ; Haut conseil du commissariat aux comptes ; Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet ; Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par MM. Yung et Vincent, est ainsi libellé :
Alinéas 8 et 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai dans le même temps l’amendement n° 14 rectifié, qui traite également de l’Autorité des marchés financiers.
M. le président. J’accède bien volontiers à votre demande, mon cher collègue.
L’amendement n° 14 rectifié, présenté par MM. Yung et Vincent, est ainsi libellé :
Alinéas 18 à 22
Supprimer ces alinéas.
Veuillez poursuivre, monsieur Yung.
M. Richard Yung. L’amendement n° 13 rectifié vise notamment l’alinéa 9 de l’article 33 relatif aux modalités de renouvellement du collège de l’AMF. Aujourd’hui, nous avons un système bien établi et équilibré, qui suit les instructions de l’ordonnance du 31 juillet 2015 relative à l’égal accès des hommes et des femmes au sein des ordres professionnels. Malheureusement, les alinéas 8 et 9 de l’article 33 remettraient en cause ce fonctionnement et conduiraient à un déséquilibre du système dans son ensemble.
Il est donc préférable de ne pas rétablir le renouvellement partiel du collège de l’AMF par moitié tous les trois ans qui n’est pas compatible avec le respect de la parité, en raison de la diversité des neuf autorités de nomination. Si, tous les trois ans, celles-ci doivent nommer des personnalités différentes, la parité ne sera jamais respectée, et ce serait un recul par rapport à la situation actuelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission émet des avis défavorables sur ces deux amendements, mais tient à préciser que sa position ne remet nullement en cause la parité.
S’agissant de l’amendement n° 13 rectifié, les règles de parité relatives aux autorités administratives indépendantes, dont l’AMF, ont été introduites par l’ordonnance du 31 juillet 2015. Le principe de parité n’est nullement incompatible avec celui du renouvellement partiel : c’est d’ailleurs le cas pour la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, ou l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD. J’ajoute que le treizième alinéa de l’article L. 621-2 du code monétaire et financier applicable au collège de l’AMF prend déjà en compte la diversité des autorités de nomination pour arriver à l’objectif de parité. Je rassure donc Mme Bouchoux avant qu’elle ne décide d’intervenir : il n’y a strictement aucun problème au regard de la parité ! (Sourires.)
Quant à l’amendement n° 14 rectifié bis, il tend à maintenir une dyarchie au sein de l’AMF. Actuellement, les services sont placés sous l’autorité du secrétaire général, qui est nommé après agrément du ministre chargé de l’économie.
Ces conditions ne sont pas satisfaisantes au regard de l’indépendance de l’AMF. L’adoption de cet amendement balaierait donc tout l’esprit du travail que nous avons accompli.
Cette organisation ne donne pas au président, pourtant nommé selon les modalités prévues au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, les moyens de diriger l’AMF, alors qu’il est responsable de son action devant le collège et, plus fondamentalement, devant le Parlement. C’est un cas très particulier, qui se situe à la limite de la notion d’indépendance, mon cher collègue, pour dire les choses telles qu’elles sont. La commission ne peut par conséquent souscrire à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. L’amendement n° 13 rectifié vise à rétablir certaines règles de nomination des membres de l’AMF que la présente proposition de loi entend modifier.
En prévoyant un renouvellement des membres de l’AMF par moitié tous les trois ans, la proposition de loi rend difficile le respect de la règle introduite par l’ordonnance du 31 juillet 2015 relative à l’égal accès des hommes et des femmes au sein des AAI et des API, selon laquelle l’écart entre le nombre d’hommes et de femmes de deux catégories de membres, en l’occurrence les personnalités qualifiées en raison de leurs compétences financières et les représentants des salariés actionnaires, ne peut être supérieur à un. Le Gouvernement est favorable à la conservation des règles actuelles s’agissant des mandats des membres de l’AMF, et s’en remet à la sagesse du Sénat.
Quant à l’amendement n° 14 rectifié, le fonctionnement de l’Autorité des marchés financiers repose depuis 2003 sur le partage des attributions entre le président et le secrétaire général. Le président joue un rôle international majeur et assume la mission essentielle de veiller au bon exercice de la collégialité de l’Autorité ; le secrétaire général, de son côté, assure la direction des services de l’AMF.
La suppression du secrétaire général, prévue par la proposition de loi, aurait pour conséquence de concentrer l’ensemble de ses lourdes attributions sur le seul président, ce qui risque fort de s’effectuer au détriment de la capacité de celui-ci à représenter l’AMF, en particulier aux échelons européen et international. Je peux témoigner personnellement du fait que les présidents de l’AMF et des autorités équivalentes en Europe se réunissent très régulièrement, souvent à Paris d’ailleurs, et cette fonction de coordination européenne est très importante. Il me semble donc que l’on ne peut pas fusionner les rôles de président et de secrétaire général.
En conséquence, le Gouvernement s’en remet également à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Mézard, rapporteur. Cette question est extrêmement intéressante et elle peut quasiment servir de conclusion à notre débat. Voilà en effet la démonstration du pouvoir excessif de la haute fonction publique dans certains cas.
Nous parlons en l’occurrence d’une curieuse autorité administrative « indépendante », monsieur le secrétaire d’État, qui pourrait se voir imposer le choix de son secrétaire général, dont la nomination est soumise à l’agrément du ministre.
Nous apercevons, derrière ces dispositions, la toute-puissance de Bercy, mais il est bon que le Parlement, de temps en temps, rappelle qu’il y a certaines limites à ne point franchir ! (Mme Marie-Annick Duchêne et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. S’agissant de la parité, nous comprenons bien que, s’il y a neuf autorités de nomination, elles devront se coordonner entre elles pour décider des candidatures à proposer afin que la parité soit respectée. Il s’agit là d’une difficulté supplémentaire considérable.
Sur ce que vous avez appelé la « dyarchie », monsieur le rapporteur, une appellation que je trouve d’ailleurs assez désagréable, le droit actuel prévoit que le secrétaire général est nommé par le président de l’AMF après vote du collège, c’est-à-dire de ceux qui décident et, effectivement, agrément du ministre. Ce n’est donc pas tout à fait le scandale de la République que vous décrivez.
Preuve en est que l’AMF fonctionne depuis plus d’une dizaine d’années de façon tout à fait satisfaisante au moyen d’un partage de pouvoirs entre le président, qui exerce les fonctions précédemment décrites par M. le secrétaire d’État, et le secrétaire général, qui non seulement fait fonctionner l’Autorité, mais détient aussi le pouvoir de diligenter les enquêtes. Ce dernier a donc un rôle important, mais distinct de celui du président. Pourquoi changer, quand ça marche ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.
(L'amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié.
(L'amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 33.
(L'article 33 est adopté.)