Le 3 juillet, le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
Ce texte vise à renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière à l’échelle nationale, en complément des efforts entrepris par la France à l’échelle internationale et au niveau de l’UE.
Plusieurs dispositions ont pour objet d’accroître les moyens alloués à la lutte contre la fraude.
Le Gouvernement propose tout d’abord la création, au sein du ministère chargé du budget, d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale. Cette disposition a été supprimée par la majorité sénatoriale, qui craint que cette police fiscale ne fasse doublon avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui est rattachée au ministère de l’intérieur.
Le projet de loi prévoit également un renforcement des moyens dont disposent les agents des douanes pour lutter contre les logiciels dits « permissifs », qui sont conçus pour permettre et dissimuler la fraude. À l’instar des agents de l’administration fiscale, ils pourront se faire communiquer, par les éditeurs, les concepteurs, les distributeurs ou toute personne susceptible de manipuler ces logiciels, le code-source et la documentation des logiciels qu’ils proposent. Sont également prévues une sanction de 1.500 euros par logiciel vendu en cas d’opposition au droit de communication, ainsi qu’une amende de 15% du chiffre d’affaires en cas de commercialisation de logiciels frauduleux.
Par ailleurs, le Sénat a adopté, avec l’avis favorable du Gouvernement, un amendement visant à obliger les contribuables à déclarer en même temps que leur déclaration de revenus l’ensemble de leurs comptes détenus à l’étranger, et non plus seulement les comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger au cours de l’année au titre de laquelle doit être déposée la déclaration. Les comptes sur lesquels les contribuables n’ont effectué aucune opération de crédit ni de débit durant l’année seraient ainsi concernés par cette obligation de déclaration.
Afin de faciliter l’échange d’informations entre administrations à des fins fiscales, le Gouvernement propose d’autoriser les assistants spécialisés mis à disposition des juridictions judiciaires par l’administration fiscale à accéder à certains fichiers de la direction générale des finances publiques (DGFIP). Ces mêmes fichiers pourront également être consultés par des agents des organismes sociaux (URSAFF et MSA), de l’inspection du travail et de la police judiciaire, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal. L’accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) sera, quant à lui, élargi dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale et contre le travail illégal. Enfin, le dispositif d’échange d’informations entre la douane et la direction générale de la protection des risques (DGPR) sera étendu à la fraude fiscale. À l’initiative du Gouvernement, le Sénat a prévu de nouveaux droits d’accès à l’information pour les agents chargés de la lutte contre la fraude.
Le projet de loi prévoit également des dispositions destinées à préciser, clarifier et réorganiser les obligations déclaratives incombant aux plateformes d’économie collaborative (obligation d’information des utilisateurs depuis 2017, obligation de déclaration automatique à l’administration fiscale des revenus des utilisateurs à compter de 2019). Il est à noter que l’administration fiscale transmettra à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) - chargée du recouvrement des cotisations sociales - les informations relatives aux revenus des utilisateurs.
Contre l’avis du Gouvernement, le Sénat a adopté un amendement visant à instaurer un abattement forfaitaire minimal de 3.000 euros applicable aux revenus perçus par des particuliers via des plateformes en ligne et déclarés automatiquement par celles-ci. Cette disposition a déjà été adoptée à plusieurs reprises par le Sénat, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. L’objectif est d’exonérer d’impôt les petits compléments de revenus occasionnels.
La Haute assemblée a aussi institué un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires qui y exercent leur activité. Cette responsabilité solidaire pourrait être engagée dès lors que les vendeurs indélicats ont été formellement signalés à l’opérateur de plateforme en ligne et que les mesures n’ont pas été prises pour assurer leur mise en conformité ou, à défaut, leur exclusion. Selon le Gouvernement, ce dispositif « irait à rebours » de la directive européenne relative aux obligations en matière de TVA applicables au commerce électronique.
D’autres amendements relatifs aux plateformes d’économie collaborative ont été adoptés (possibilité, pour les plateformes, de prélever la TVA pour le compte du vendeur, au moment de la transaction, via un mécanisme de « paiement scindé » ; interdiction, pour les plateformes, d’effectuer des versements sur des cartes prépayées à leurs utilisateurs redevables de l’impôt en France ; etc.).
Outre le renforcement des moyens alloués à la lutte contre la fraude, le projet de loi comprend plusieurs dispositions visant à alourdir les sanctions encourues en cas de fraude.
Considérant que la publicité des condamnations peut avoir une vertu dissuasive (« name and shame »), le Gouvernement souhaite rendre applicable par défaut la peine complémentaire de publication et de diffusion des décisions de condamnation pour fraude fiscale, qui revêt actuellement un caractère facultatif.
Est également prévue la publication des sanctions administratives appliquées aux personnes morales à raison de manquements fiscaux d’une particulière gravité. Le Sénat a adopté, avec l’avis favorable du Gouvernement, un amendement prévoyant que la publication des sanctions administratives « est effectuée soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, aux frais de la personne sanctionnée ».
Par ailleurs, les personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs seront sanctionnées par une amende, exclusive des sanctions pénales.
Le projet de loi prévoit aussi une aggravation de la répression pénale des délits de fraude fiscale. Le montant des amendes pourra être porté au double du produit tiré de l’infraction pour les personnes physiques et au décuple pour les personnes morales.
Afin d’assurer une réponse pénale plus rapide et plus efficace, le Gouvernement propose d’étendre à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), plus connue sous l’appellation « plaider-coupable ».
Est aussi prévue une aggravation des sanctions douanières applicables en cas de refus de coopérer (injures, maltraitance, troubles à l’exercice des fonctions des agents des douanes, refus de communication des documents demandés). L’amende encourue sera ainsi portée à 3.000 euros. Quant au montant minimal de l’astreinte pécuniaire prononcée par l’autorité judiciaire en cas de refus de communication de documents, il passera de 1,50 euro par jour à 150 euros par jour.
Pour ce qui concerne les paradis fiscaux, le Gouvernement propose d’ajouter à la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) la liste que le Conseil de l’Union européenne a adoptée en décembre 2017. Les transactions effectuées depuis ou vers les ETNC inscrits sur la liste européenne seront ainsi soumises à des mesures fiscales dissuasives ainsi qu’à des obligations et contrôles renforcés.
Le groupe LREM avait déposé un amendement - dont j’étais le premier signataire - visant à obliger le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport répertoriant les mesures fiscales prises par les États membres de l’UE qui engendrent une concurrence fiscale dommageable. Cet amendement a été retiré après que le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald DARMANIN, a indiqué que « la Commission européenne est aujourd’hui à la tâche ».
À l’initiative du rapporteur général de la commission des finances, le Sénat a assoupli le « verrou de Bercy ». Institué en 1920, ce dispositif confère à l’administration fiscale le monopole du dépôt de plainte pour des faits de fraude fiscale. Il a été remplacé par trois critères cumulatifs qui entraînent le dépôt obligatoire par l’administration d’une plainte pour fraude fiscale: les faits sont d’une nature qui justifie l’application de pénalités d’au moins 80% (activités occultes, situations d’abus de droit, manœuvres frauduleuses caractérisées) ; le montant de droits fraudés est supérieur à un certain seuil ; le comportement du contribuable est d’une gravité particulière (réitération d’infractions sur plusieurs années, agissements relevant de la fraude fiscale aggravée, etc.). À l’initiative du Gouvernement, le Sénat a inséré un quatrième critère dans la loi. L’administration fiscale sera également tenue de déposer plainte lorsque le contribuable est soumis, du fait de ses mandats électifs ou de ses fonctions, à une exigence particulière d’exemplarité (sénateurs, députés, personnes titulaires d’un mandat exécutif local, membres du Gouvernement, etc.).
Enfin, sur proposition du Gouvernement, la Haute assemblée a renforcé la lutte contre le trafic de tabac. Le montant minimal de l’amende applicable à la fabrication, à la détention, à la vente et au transport illicites de tabac a été doublé (500 euros au lieu de 250 euros). De plus, les quantités de tabac que les particuliers sont autorisés à transporter sur le territoire national dans leurs véhicules privés ont été limitées (800 cigarettes, 400 cigarillos, 200 cigares, un kilogramme de tabac à fumer). Quant aux fournisseurs d’accès à Internet, ils auront l’obligation de prévoir un dispositif informant de l’illégalité et des risques encourus pour l’achat de tabac sur Internet. Ces mesures visent, d’une part, à dissuader les particuliers de s’approvisionner en tabac dans les pays de l’UE où la fiscalité sur les tabacs est plus faible qu’en France et, d’autre part, à décourager toutes les formes de trafic permettant l’approvisionnement de circuits illicites de vente du tabac manufacturé.
Tout en déplorant la suppression du volet relatif au renforcement de la police fiscale, le groupe LREM considère que plusieurs dispositions intéressantes ont été insérées dans le projet de loi. C’est pourquoi il a voté en faveur du texte modifié, qui sera discuté par l’Assemblée nationale à la rentrée.