Le 21 mai, le Sénat a adopté le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (181 voix pour, 4 voix contre, 158 abstentions).
Ce texte vise à concrétiser un engagement du Président de la République. Il a été déposé suite à l’échec des négociations sur la proposition de directive que la Commission européenne a présentée en mars 2018. Cette proposition de directive a été adoptée par le Parlement européen en décembre dernier. Cependant, la règle de l’unanimité a rendu impossible son adoption par le Conseil de l’UE, quatre États membres (Danemark, Finlande, Irlande, Suède) ayant maintenu leur opposition au projet de texte malgré le travail de conviction mené par le ministre de l’économie et des finances (vingt-trois États membres soutiennent désormais le projet de texte, contre seulement dix-sept à la fin de l’année 2017).
Le dispositif proposé par le Gouvernement s’inspire très largement de celui conçu par la Commission européenne. La taxe sur les services numériques (TSN) sera assise sur le chiffre d’affaires que réalisent les entreprises à raison de la participation des internautes situés en France à certains services numériques, à savoir les services d’intermédiation numériques (places de marché numériques, etc.) et les services de ciblage publicitaire (vente de données en vue de la mise en adéquation des publicités avec les préférences des internautes). En revanche, le commerce en ligne, la fourniture de services numériques, les services de communication, les services de paiement et les services financiers réglementés ne seront pas soumis à la TSN.
Les entreprises redevables de la TSN seront celles qui ont « une forte empreinte numérique au niveau mondial (montant annuel mondial des produits tirés des services taxés supérieur à 750 millions d’euros) et au niveau national (montant annuel des produits rattachés à la France tirés des services taxés supérieur à 25 millions d’euros) ». Une trentaine de groupes devraient être assujettis à la TSN.
Le montant, hors TVA, des sommes encaissées en contrepartie de la fourniture en France des services susmentionnés sera taxé à hauteur de 3%. Le rendement de la TSN devrait ainsi s’élever à 400 millions d’euros en 2019 et 650 millions d’euros en 2020.
La TSN revêtira un caractère temporaire. Elle « s’appliquera tant que les règles de la fiscalité internationale n’auront pas été adaptées » dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
La majorité sénatoriale a apporté plusieurs modifications au dispositif adopté par l’Assemblée nationale.
En vue d’éviter la double imposition des entreprises qui sont déjà soumises à l’impôt sur les sociétés en France, elle a introduit un mécanisme permettant d’imputer le montant de la TSN sur celui de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui est aussi assise sur le chiffre d’affaires. Ce mécanisme n’est pas satisfaisant car il risquerait de conférer à la taxe le caractère d’une aide d’État, prohibée par le droit européen.
La majorité sénatoriale a également limité l’application de la TSN à trois ans (2019, 2020 et 2021).
Elle a par ailleurs prévu l’obligation, pour le Gouvernement, d’expliquer au Parlement « les raisons pour lesquelles la [TSN] n’a pas été notifiée à la Commission européenne ».
Outre la création de la TSN, le projet de loi prévoit une modification, pour la seule année 2019, de la trajectoire de baisse du taux normal de l’impôt sur les sociétés. Pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, le taux appliqué à la fraction de bénéfices supérieure à 500.000 euros sera, cette année, identique à celui appliqué en 2018, soit 33,33%. En revanche, la fraction de bénéfices inférieure ou égale à 500.000 euros sera taxée à 28%.
En dépit des modifications apportées au texte adopté par l’Assemblée nationale, le groupe La République en marche a voté pour le projet de loi, qui doit désormais faire l’objet d’une commission mixte paritaire (CMP).
À l’instar de Bruno Le Maire, je considère que la création de la TSN servira de « levier » dans les négociations internationales. Ces dernières se sont récemment accélérées. Le 29 mai, l’OCDE doit transmettre aux ministres des finances du G20 et du G7 un document listant les différentes options envisageables. L’objectif est de parvenir à un accord d’ici à la fin de cette année. Pour atteindre cet objectif, il importe que les États membres de l’UE représentés à l’OCDE parlent d’une seule voix.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon intervention. Vous pouvez visualiser la vidéo du débat en cliquant ici.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Cela fait deux ans, monsieur le ministre, que vous bataillez sur cette question, et vous avez plutôt bien progressé, puisque vous en êtes à vingt-quatre pays en faveur de ce dispositif.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Pourquoi ne le mettent-ils pas en place, s’ils y sont favorables ?
M. Richard Yung. Malheureusement, c’est insuffisant et, en raison de la règle de l’unanimité, nous ne pouvons pas le faire passer à l’échelon européen.
Le texte qui nous est soumis est une bonne réponse, je crois, à la demande de justice fiscale. Il n’est pas acceptable que les entreprises multinationales du secteur numérique soient en moyenne taxées à 9,5 %, alors que les autres, vous l’avez dit, le sont à 23 %. J’ai quelques chiffres : Apple a réalisé, en 2017, un chiffre d’affaires en France de 4 milliards d’euros, mais son chiffre d’affaires déclaré s’est élevé à 700 millions d’euros, Netflix n’a déclaré aucun bénéfice, et Google contrôle 90 % du marché de la publicité sur internet. On le voit bien, au travers de toutes les techniques que vous connaissez, dont le fameux sandwich irlandais, …
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le double Irish sandwich !
M. Richard Yung. … ou hollandais, tous les bénéfices s’évadent d’abord vers les Pays-Bas, puis vers l’Irlande, et enfin disparaissent aux Bahamas.
Le dispositif prévu à l’article 1er s’inspire très largement de celui de la Commission européenne. Il n’est pas parfait, et nous avons à l’esprit qu’il a un caractère provisoire, l’objectif étant d’aboutir très rapidement à une solution multilatérale ; toutefois, à titre personnel, j’ai des doutes ou des réserves quant au fait que les États-Unis, dans le cadre de l’OCDE, soient absolument débordants de joie pour adopter une législation qui vise principalement leurs propres entreprises.
M. Vincent Éblé, président de la commission. Quel scepticisme, monsieur Yung…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils ne feront rien !
M. Richard Yung. Le Gouvernement a retenu comme assiette le chiffre d’affaires et non les bénéfices ; je pense que c’est un choix judicieux, car cela évite la neutralisation du dispositif par les conventions fiscales.
Certains de nos collègues veulent étendre le champ d’application de la taxe au-delà du seul secteur des services, quand d’autres proposent, à l’inverse, de le restreindre. Pour ma part, je pense que le dispositif actuel est équilibré.
Le taux retenu est raisonnable ; il est calqué sur celui qui figure dans la directive européenne. Je ne suis pas favorable aux différents amendements ayant pour objet de le porter à 3,5 %, à 4 %, voire à 4,5 %.
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Richard Yung. D’autres ont largement débordé, madame la présidente !
Mme la présidente. Largement, non, certainement pas !
M. Richard Yung. Enfin, nul ne peut se prévaloir de la turpitude d’autrui… (Sourires.)
Mme la présidente. Absolument.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Ni de la sienne !
M. Richard Yung. Je conclus, madame la présidente.
Certains craignaient que la taxe sur les services numériques ne constitue une aide d’État ; c’est au contraire la possibilité d’imputer le montant de la taxe sur la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, qui risquerait de conférer à cette taxe le caractère d’une aide d’État.
Mme la présidente. J’ai fait preuve de beaucoup de générosité à votre égard, cher collègue…
M. Richard Yung. Je vous en remercie, madame la présidente.