OPINION. Le « guide pratique » des primes mis en ligne par le syndicat SUD pour la SNCF comporte 18 pages. Celui de la RATP s'étale sur 93 pages...
Par Jean Nouailhac,
Modifié le 26/12/2019 à 10:23 - Publié le 26/03/2018 à 11:09 | Le Point.fr
Si l'on met de côté les régimes spéciaux des « travailleurs » de l'Opéra ou de la Banque de France, et pour ne considérer que les grandes entreprises publiques, la RATP est celle qui bat tous les records, qu'il s'agisse de primes, de temps de travail, de retraites ou autres avantages. Les deux châteaux forts de la SNCF et d'EDF, pourtant richement dotés, le sont moins que le bunker de la RATP, dont le régime spécial, à force d'excès, est entré dans la catégorie des régimes « très spéciaux », comme l'a montré l'iFRAP dans ses études successives depuis plus de 20 ans.
L'iFRAP en effet, une fondation privée créée en 1985 pour étudier les administrations et les politiques publiques, surveille de près et depuis longtemps cette entreprise à tous égards très souterraine. Elle avait publié en septembre 2000 un dossier explosif intitulé « RATP : vive l'État providence ! » qui avait fait beaucoup de bruit à l'époque. Ses auteurs y dénonçaient les « gaspillages » de l'entreprise publique et les avantages dont bénéficiaient ses agents : « moins de 30 heures de travail par semaine, des salaires 20 % plus élevés que dans le privé, des retraites à 53,5 ans et deux fois plus élevées que dans le privé »… Cinq ans plus tard, en octobre 2005, c'est le président fondateur de l'iFRAP en personne, Bernard Zimmern, qui prend la plume pour constater que leurs privilèges s'étaient encore accrus au détriment des comptes de l'entreprise. Jacques Chirac est alors président et Jean-Pierre Raffarin Premier ministre.
4 mois de « repos obligatoire »
Les dépenses annuelles de la RATP s'élèvent alors à 4,3 milliards d'euros, dont 2,2 pour le personnel, face à 1,5 milliard seulement de recettes de trafic, le différentiel étant comblé par les contributions des entreprises et des subventions publiques massives. Les salariés avaient obtenu dès 2003 que l'âge de la retraite, fixé à 60 ans pour les « tertiaires » et 55 ans pour le personnel de maintenance, soit ramené à 50 ans pour les « roulants » à condition qu'ils totalisent 25 ans de service, ce qui leur permettait de bénéficier d'un bonus de 5 années supplémentaires d'ancienneté.
À cela s'ajoutent plusieurs types de bonifications, d'abord pour « raisons familiales » : une augmentation de la retraite de 10 % pour trois enfants, 15 % pour quatre et 20 % pour cinq enfants. Ensuite, des bonifications « d'activité » : 1 année de bonus pour 5 ans d'ancienneté, 2 années pour 10 ans, et jusqu'à 5 années, donc, pour 25 ans de service. Bernard Zimmern précise que les syndicats ont aussi obtenu un privilège inouï : 4 mois de « repos obligatoire » chaque année (121 jours exactement) pour tous les agents, quelle que soit leur fonction, secrétaires, femmes de ménage, comptables, informaticiens ou conducteurs de rames, les agents travaillant la nuit bénéficiant de 8 jours supplémentaires. Ceux qui veulent travailler pendant ces 4 mois de repos obligatoire le peuvent sous certaines conditions et sont alors payés à un tarif très majoré puisqu'il s'agit d'une période de vacances. On peut aisément imaginer les abus potentiels…
En 2011, une nouvelle étude de l'iFRAP fait état d'un audit interne non publié et donc resté secret, comme le sera un an plus tard le rapport Perruchot sur le financement des syndicats. Cet audit, réalisé par l'Inspection générale de la RATP, révèle un phénomène devenu systématique : « l'achat » par l'entreprise de la paix sociale « par de multiples moyens : subventions aux organes représentatifs, attribution de chèques syndicaux suivant des pratiques opaques […] et pour un coût total astronomique […] avec un dispositif dont la générosité et la sophistication sont apparemment sans égales ». La seule subvention officielle de fonctionnement du comité d'entreprise est alors de 113 euros par salarié, deux fois plus qu'à la SNCF.
« Pénibilité »
Six ans plus tard, dernière étude de la fondation iFRAP, datée du 21 décembre 2017 : il s'agit cette fois d'une étude comparative directe entre les régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP. Le constat général de ce comparatif inédit est sans appel : la subvention d'équilibre (l'intervention financière de l'État pour équilibrer les comptes) prévue pour l'année 2018 est de 12 856 euros pour chaque retraité de la SNCF tandis qu'elle est de 14 551 euros pour la RATP. Au total, 3,3 milliards pour la SNCF (264 314 bénéficiaires) et 709 millions pour la RATP (49 601 bénéficiaires). Mais ce n'est pas tout.
Dans leurs négociations quasi permanentes, les syndicalistes de la RATP utilisent toujours le même argument massue, celui de la « pénibilité ». Or, l'iFRAP constate que la durée moyenne de leurs pensions de retraite s'établit à 40,63 années face à une durée d'activité moyenne qui n'est que de 34,82 années, ce qui laisse à penser, écrit la fondation, que « cette pénibilité n'est pas synonyme de surmortalité ». 34,82 ans d'activité, s'agissant d'une moyenne, cela veut dire aussi que si la moitié du personnel a travaillé pendant 40 ans, l'autre moitié s'est contentée de 29 ans, ce qui donne sérieusement à réfléchir. Enfin, si les employés de la RATP étaient déjà à moins de 30 heures de travail par semaine en 2000, où en sont-ils actuellement ? À 28 heures ? 25 heures ? C'est une vraie question, sans réponse pour le moment.
Un guide déraisonnable et extravagant
En attendant des éclaircissements qui seraient bienvenus, on peut toujours rêver en consultant le catalogue insensé des « primes, indemnités, allocations et gratifications » de la RATP. Si le « guide pratique » de SUD-Rail pour la SNCF comporte 18 pages, celui de SUD-RATP s'étale sur 93 pages. Sa dernière édition en date de janvier 2015 est bien cachée, mais visible et téléchargable. Nichée dans les interstices du méga site de l'entreprise sous le code IG436N, elle s'étale sur 93 pages et développe 189 articles extrêmement détaillés. Ce n'est plus un guide pratique ou une brochure, c'est un bottin qui a de plus une particularité : il n'y est pas question d'argent mais d'une unité de valeur, une sorte de monnaie interne définie selon la formule cabalistique suivante : P = p × a × 152 × 1,0127
Pour tenter de comprendre cet étrange sésame qu'on peut trouver dans le chapitre 5 consacré aux « modalités de paiement », en voici la définition telle qu'elle est donnée mot après mot : « p » représente une valeur en euro, indiquée par le barème de rémunération ; « a » est le coefficient horaire défini pour chaque prime ou chaque groupe de primes ; « 152 » est la base horaire mensuelle correspondant à la durée primable mensuelle moyenne, avec une répartition lissée des repos fixes et flottants ; « 1,0127 » est le coefficient de majoration fixe permettant d'assurer le même niveau de prime avant/après la mensualisation ». En somme, devant l'infinie complexité de toutes les « primes, indemnités, allocations et gratifications » qu'elle doit gérer, la RATP a mis au point une monnaie virtuelle qui lui permet de suivre avec ses ordinateurs une multitude de cas particuliers.
Quant au reste, tout est déraisonnable et extravagant dans ce guide, de la première à la dernière page, comme un témoignage de l'exigence sociale illimitée et de la folie procédurière de certains syndicalistes qui, cherchant à créer sur terre un paradis pour prolétaires, finissent par établir un enfer administratif.