M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 1039, adressée à M. le ministre chargé de l'industrie.
M. Richard Yung. Ma question porte sur l’accord du 17 octobre 2000 sur l’application de l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens, plus communément appelé « accord de Londres », qui traite de la traduction des brevets européens.
Après de longues années de combat, cet accord, dont la France a eu l’initiative, est entré en vigueur en 2008. Il a pour principale caractéristique de réduire très sensiblement les coûts liés à la traduction des brevets européens.
Le texte fondateur dans ce domaine – la convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, dite « convention de Munich » – prévoyait qu’un brevet puisse être traduit dans chacune des langues des vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Cette disposition constitue en fait une sorte d’impôt sur l’innovation que l’Europe s’impose à elle-même. Si l’on considère, mes chers collègues, qu’une traduction coûte de 2 000 euros à 3 000 euros et si l’on multiplie ce coût par le nombre de pays désignés, c’est-à-dire sept ou huit, c’est bien un impôt sur l’innovation avoisinant 20 000 euros que nous nous appliquons à nous-mêmes. Nous nous mettons ainsi en position de faiblesse, en termes de compétitivité, par rapport aux États-Unis, au Japon ou encore à la Corée.
L’accord de Londres vise donc à ne permettre le dépôt et la traduction des brevets que dans une des trois langues officielles de l’Office européen des brevets, c'est-à-dire le français, l’anglais ou l’allemand.
Cet accord étant en vigueur depuis maintenant deux ans et demi, je souhaite interroger le Gouvernement sur sa mise en œuvre. Combien de pays l’ont ratifié ? Quel bilan le Gouvernement tire-t-il de son application ? Quels sont les effets mesurés, s’agissant de la réduction de coûts pour les déposants français et européens ?
Enfin, questions subsidiaires relatives aux préoccupations exprimées quant à l’emploi des traducteurs de brevets, quelles mesures le Gouvernement a-t-il pris par rapport à ces professionnels et comment ce dossier progresse-t-il ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Vous avez raison, monsieur Yung, de souligner l’importance de cet accord de Londres en matière de réduction des coûts et de facilitation de l’activité d’innovation dans les entreprises. Il y a là, nous le savons bien, une clé de la préservation de la compétitivité européenne et française.
Après plus de deux ans d’application de ce dispositif, le ministre chargé de l’industrie a engagé une évaluation complète des économies réalisées et des bénéfices retirés de l’accord. Cette étude est en cours de finalisation et, bien évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, elle vous sera communiquée.
Les premières analyses des résultats de l’enquête menée auprès des entreprises confirment d’ores et déjà que l’accès aux brevets est moins coûteux et donc plus attractif. Selon les États désignés, les nouvelles règles de traduction permettent de réaliser une économie de 25 % à 30 % des coûts. Les entreprises, pour la plupart, utilisent cette dernière pour élargir la couverture géographique de leurs brevets, en demandant une protection dans un plus grand nombre de pays qu’auparavant. Cette évolution est évidemment très positive, puisqu’elle permet une valorisation plus large, sur un marché potentiel plus important, des innovations.
S’agissant des pays signataires, de toute évidence, plus leur nombre augmentera, plus l’effet sera important et bénéfique. À ce jour, quinze États sont parties à l’accord de Londres, le dernier à y avoir adhéré étant la Lituanie, qui l’applique depuis le 1er mai 2009. La prochaine entrée en vigueur de l’accord aura lieu en Hongrie, à la date du 1er janvier 2011.
Parallèlement, comme vous le savez, monsieur le Yung, les instances européennes travaillent à la création du brevet de l’Union européenne, qui sera un titre unique de protection, valable dans l’ensemble des pays européens (Mme Catherine Tasca acquiesce.), et le système en sera d’autant simplifié.
D’importants progrès sont en cours de réalisation sur cette question, notamment grâce aux propositions du commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, Michel Barnier.
Je réponds enfin à votre dernière série de questions. Vous les avez qualifiées de « subsidiaires », mais, comme le prouve d’ailleurs le fait même que vous les ayez posées, elles ont toute leur importance.
S’agissant donc de l’activité des traducteurs de brevets, deux catégories de mesures ont été mises en place : des mesures de formation et de reconversion, d’une part, et des mesures d’accompagnement sociales et fiscales, d’autre part.
Sur le premier point, plusieurs sessions de formation spécifiques ont été organisées par l’Institut européen entreprise et propriété intellectuelle, ou IEEPI.
Des crédits ont également été engagés pour encourager la traduction des normes en français, activité extrêmement importante pour laquelle les traducteurs de brevets disposent de compétences adaptées. L’Association française de normalisation, l’AFNOR, a lancé un appel d’offres pour sélectionner les traducteurs intéressés par ce type de missions et, grâce à ces contrats passés avec l’AFNOR, plusieurs traducteurs de brevets ont pu renouveler leurs activités.
Sur le second point – les mesures d’accompagnement sociales et fiscales –, la situation des traducteurs de brevets est examinée au cas par cas par les URSSAF, les trésoreries et les centres des impôts dont ils relèvent. Les traducteurs peuvent se rapprocher de ces différents services. Des solutions spécifiques à chaque cas particulier ont été recherchées avec les personnes concernées, afin d’assurer, pour elles aussi, la mise en œuvre la plus efficace de l’accord de Londres.
M. Richard Yung. Je souhaiterais faire deux commentaires.
Je vois que quinze pays ont signé l’accord de Londres. Ceux qui ne sont pas signataires de ce dernier vont se trouver progressivement isolés : ils ne seront pas désignés dans la mesure où leur désignation impliquerait une dépense de 2 000 à 3 000 euros supplémentaires. Ils seront donc rapidement conduits à ratifier l’accord.
Par ailleurs, je pense que nous ne sommes pas loin d’aboutir à un accord sur les deux points importants qui sont en cours de discussion : le brevet de l’Union européenne – l’ancien brevet communautaire – et l’accord juridictionnel sur la mise en place d’un tribunal compétent en matière de brevets. De longues discussions ont été menées et les deux dernières présidences du Conseil de l’Union européenne ont été très actives.
Néanmoins, un blocage essentiel demeure sur le problème de la langue, celui de l’Espagne.
Sachant que nous sommes réellement très proches d’un accord, il me semble que la France devrait manifester plus d’énergie sur cette question et faire pression sur le gouvernement espagnol. Elle agit, d’après moi, avec une certaine timidité, alors même qu’elle a été à l’initiative de l’accord de Londres, qu’elle joue et pourra jouer un rôle central sur ces sujets, notamment dans le système juridictionnel.
Tel est le message que je souhaitais transmettre : la France devrait faire savoir à l’Espagne toute l’importance d’une convergence dans ces domaines.
D’ailleurs, pourquoi ne pas envisager des coopérations renforcées, c’est-à-dire des coopérations excluant les pays non signataires ? Après tout, l’accord de Londres, sans entrer dans le système communautaire, est une bonne illustration de cette mécanique…