Le 8 juin dernier, le tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny a fait application, pour la première fois, de l'article 515-7-1 du code civil, issu de la loi n°2009-526 du 12 mai 2009.
Cette disposition, qui permet aux partenariats civils régulièrement enregistrés à l’étranger de produire des effets en France, est le fruit d'un amendement que j'avais présenté et fait adopter en mars 2009 lors de l'examen au Sénat du projet de loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.
Vous trouverez, ci-dessous, les termes de ce jugement, qui montre la réticence de l'administration à appliquer les instructions ministérielles.
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EXPOSE DU LITIGE
Monsieur J.L. a conclu, le XXXXXX2006, un « civil partnership » de droit anglais avec Monsieur F. P., enregistré à Southampton (Royaume-Uni).
Par testament en date du XXXX 2006 enregistré devant la High Court of Justice de Winchester au Royaume-Uni, Monsieur P. a légué à Monsieur L. tout le reliquat de ses biens meubles et immeubles.
Monsieur P. est décédé le XXXX 2008 à XXXX en France.
Maître M., notaire à Selles-sur-Cher, a déposé, le XXXXX 2008, pour le compte de Monsieur P., une déclaration de succession ainsi qu'une demande de paiement fractionné auprès de l'administration fiscale. La déclaration de succession mentionne que l'actif successoral se compose de la moitié indivise d'un immeuble sis XXXX à XXXXX estimé à X euro; et que le passif successoral est inexistant. La déclaration calcule les droits payables par Monsieur L. à la somme de X euro (60% de la valeur) ; dont Monsieur L. a demandé le paiement fractionné, demande qui a été acceptée par l'administration fiscale le 21 novembre 2008 selon un échéancier déterminé.
Monsieur P. a effectué plusieurs règlements suivant cet échéancier.
Le 17 novembre 2008, Monsieur P. a, par l'intermédiaire de son conseil, déposé une réclamation auprès de l'administration fiscale demandant la reconnaissance, en France, de son « civil partnership » anglais et, de ce fait, l'exonération de droits de mutation en sa qualité de partenaire lié au défunt.
L'administration fiscale a rejeté cette demande le 23 décembre 2008.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande principale en remboursement des sommes versées au titre des droits de succession
L'article 796-O bis du Code général des impôts issu de la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 publiée au Journal officiel le 22 août 2007 dispose que « sont exonérés de droits de mutation par décès le conjoint survivant et le partenaire lié au défunt par un pacte civil de solidarité ».
L'article 8.XXII de ladite loi dispose que cette disposition s'applique « aux successions ouvertes et aux donations consenties à compter de la date de publication de la présente loi ».
L'article 515-7-1 du Code civil issu de la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 dispose que « les conditions de formation et les effets d'un partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution sont soumis aux dispositions matérielles de l'Etat de l'autorité qui a procédé son enregistrement ». Ladite loi a été publiée au Journal officiel du 13 mai 2009 ; elle est entrée en vigueur le 14 mai 2009.
En l'espèce, il est constant entre les parties que le « civil partnership » entre Monsieur L. et Monsieur P. a été conclu le XXXX 2006 au Royaume-Uni par Monsieur P. et Monsieur L.
L'acte de décès versé aux débats démontre que Monsieur P. est décédé en France le XXXX 2008 à XXX, de sorte que, par application de l'article 720 du Code civil, sa succession s'est ouverte à cette date, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 796-O bis du Code général des impôts. De plus, par application des règles de droit international privé en matière de succession, une succession immobilière relève de la loi de situation de bien. Il est constant entre les parties que la succession litigieuse porte sur un immeuble à Châtillon-sur-Cher (41130), de sorte que la loi française a également vocation à s'appliquer en l'espèce.
L'article 515-7-1 du Code civil issu de la loi du 12 mai 2009 s'applique immédiatement aux effets à venir des situations en cours au moment où elle est entrée en vigueur, soit le 14 mai 2009 ; en effet, une disposition législative relative au partenariat touche à l'état des personnes, le partenariat - au sens d'un équivalent du PACS - ne relevant pas d'une situation exclusivement contractuelle, ce que l'administration fiscale reconnaît expressément dans son instruction publiée au Bulletin officiel impôt du 13 janvier 2010 : « il est admis que le partenariat civil conclu à l'étranger soit assimilé au PACS à compter du 22 août 2007, date d'entrée en vigueur de la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 (...) En conséquence, le dispositif décrit ci-dessus s'applique aux successions ouvertes et aux donations consenties à compter du 22 août 2007 » (article 10).
Il résulte d'une consultation d'un professeur de droit britannique de l'Université de Londres, King's College, versée aux débats qu'un « civil partnership » de droit anglais est soumis aux mêmes obligations qu'un couple de sexe différent qui a contracté un mariage civil ; il inclut l'exemption des droits de succession suite à la mort du partenaire civil. L'administration fiscale ne conteste pas les conclusions de cette consultation. Au contraire, elle indique, dans le cadre de l'instruction précitée, que « les personnes liées par un partenariat civil conclu régulièrement à l'étranger bénéficient désormais en matière de droits de succession du régime applicable aux personnes liées par un PACS. Elles sont donc exonérées de ces droits en application de l'article 796-O bis » (article 2).
Il n'est pas allégué que les effets en France du « civil partnership » anglais soient contraires à l'ordre public. Il résulte des documents versés aux débats que Monsieur L. a valablement fourni à l'administration fiscale les justificatifs - dûment traduits - de son « civil partnership » anglais avec Monsieur P. et de son enregistrement du XXXX 2006, du testament de Monsieur P. du 19 mars 2006 lequel a été enregistré près la High Court of Justice de Winchester au Royaume-Uni et de l'acte de décès de Monsieur P. du 4 avril 2008.
En conséquence, par l'application combinée des articles 796-O bis du Code général des impôts et de l'article 515-7-1 du Code civil, il est jugé que le « civil partnership » de droit anglais conclu entre Monsieur J.L. et feu Monsieur F.P. produit pleinement ses effets juridiques et fiscaux en France. L'administration fiscale est donc condamnée à rembourser à Monsieur L. les sommes déjà perçues au titre des droits de mutation afférents à la succession de Monsieur P., outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision par application de l'article 1153-1 du Code civil.
Sur les demandes accessoires
L'importance et l'ancienneté du préjudice subi justifient le prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision, cette mesure étant compatible avec la nature de l'affaire.
L'article 700 du Code de procédure civile s'applique même si la représentation n'est pas obligatoire. Il résulte des pièces versées aux débats que le demandeur a engagé de nombreux frais (consultation juridique de droit étranger et traductions notamment) ; de plus, le litige a nécessité des recherches juridiques précises en matière fiscale. En conséquence, l'équité commande de condamner l'administration fiscale à payer à Monsieur L. la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
S'agissant des dépens, il résulte de l'article R.202-2 du Livre des procédures fiscales que les parties ne sont pas tenues de constituer avocat. L'emploi du ministère des avocats étant facultatif, les frais extraordinaires qui en sont la conséquence demeurent à la charge de ceux qui les ont faits. Ainsi, il y a lieu de condamner l'administration fiscale aux dépens, qui ne comprendront pas les frais relatifs au ministère d'avocat engagés par le demandeur et qui ne pourront pas être recouvrés par son conseil en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort
DIT que le « civil partnership » de droit anglais conclu par Monsieur J. L. et feu Monsieur F.P. produit pleinement ses effets juridiques et fiscaux en France,
En conséquence,
CONDAMNE l'Administration des impôts représentée par le Directeur des services fiscaux chargé de la Direction des Résidents à l'étranger et des Services Généraux à payer à Monsieur J. L. la somme de XXXXX euros, outre les sommes déjà versées par ce dernier en paiement des droits de mutation par décès afférents à la succession de Monsieur F. P. et les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement,
CONDAMNE l'Administration des impôts représentée par le Directeur des services fiscaux chargé de la Direction des Résidents à l'étranger et des Services Généraux à payer à Monsieur J.L. la somme de 1.500 euros; en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE l'Administration des impôts représentée par le Directeur des services fiscaux chargé de la Direction des Résidents à l'étranger et des Services Généraux aux dépens qui ne comprendront pas les frais relatifs au ministère d'avocat engagés par Monsieur J.L. et qui ne pourront être recouvrés par son conseil.