Après six jours de débat, le Sénat a rejeté à l’unanimité le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites. Ce vote quelque peu surprenant est la conséquence directe du détricotage de la réforme par les sénateurs communistes, centristes et UMP. Ces derniers ayant réussi à supprimer ou à vider de leur substance les dispositions phares du projet de loi, les sénateurs socialistes ne pouvaient pas ne pas voter contre le texte issu des débats. La balle est désormais dans le camp des députés, qui auront le dernier mot.
Un tel scénario était prévisible compte tenu de la complexité de la majorité sénatoriale. Le Gouvernement a en effet besoin de toutes les voix de gauche pour faire adopter ses projets de loi au Sénat.
Pour autant, je déplore l’attitude de mes collègues communistes, qui ont préféré l’idéologie au devoir de responsabilité et à l’impératif de justice sociale. Leur alliance de circonstance avec les sénateurs du centre et de la droite a pour effet de rayer d’un trait de plume les apports de la Haute assemblée (17 amendements adoptés à l’initiative de la rapporteure et du groupe socialiste), dont une disposition importante adoptée à l’initiative de Jean-Yves LECONTE, Claudine LEPAGE et moi-même (voir infra).
Je regrette qu’ils aient refusé d’apporter leur soutien à une réforme « porteuse de progrès social » qui vise principalement à préserver le système de retraite par répartition – qui est « au cœur du pacte républicain qui lie les différentes générations » – et à ouvrir de nouveaux droits pour nos concitoyens qui sont actuellement défavorisés en matière de retraite (femmes, agriculteurs, handicapés, etc.) – droits que la précédente majorité avait toujours refusé d’accorder.
Traduction de l’engagement n°18 du candidat François HOLLANDE, le projet de loi élaboré par la ministre des affaires sociales et de la santé tend à assurer l’équilibre financier des régimes de retraite à l’horizon 2040 sur la base d’efforts équitablement répartis entre les actifs, les employeurs et les retraités.
Ainsi, entre 2014 et 2017, les cotisations des actifs et des entreprises aux différents régimes de retraite de base connaîtront une hausse modérée et progressive (0,15 point en 2014 puis 0,05 pour les trois années suivantes).
Le Gouvernement a fait le choix judicieux de ne pas baisser le niveau des retraites, ni de geler la revalorisation des pensions. Néanmoins, les retraités seront appelés à contribuer à la solidarité. Ainsi, la revalorisation annuelle des pensions de retraite en fonction de l’inflation interviendra au 1er octobre au lieu du 1er avril actuellement. Les personnes qui perçoivent le minimum vieillesse (moins de 800 euros) seront épargnées.
Partant du constat que l’espérance de vie s’accroît, le Gouvernement propose d’allonger progressivement la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein. Cette durée augmentera d’un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035, date à laquelle elle atteindra 43 ans (172 trimestres) pour la génération née en 1973 et les suivantes. Cette mesure est plus juste qu’un report de l’âge légal de départ à la retraite – repoussé à 62 ans en 2010 – car elle évite de faire reposer l’effort uniquement sur les assurés ayant commencé à travailler tôt.
Le deuxième objectif poursuivi par le projet de loi consiste à corriger certaines inégalités face à la retraite.
À cet égard, la création, en 2015, d’un compte personnel de prévention de la pénibilité est sans nul doute la mesure la plus innovante. Là où la droite abordait la question de la pénibilité sous le seul angle de l’incapacité physique (maladie professionnelle ou invalidité), le gouvernement de Jean-Marc AYRAULT apporte une réponse plus juste et plus adaptée en permettant aux salariés exposés à un ou plusieurs facteur(s) de risques professionnels (manutentions manuelles de charges lourdes ; agents chimiques dangereux ; températures extrêmes ; bruit ; travail de nuit ; travail répétitif ; etc.) de cumuler des points qui leur permettront de bénéficier d’une formation, d’un complément de revenu en cas de passage à temps partiel ou d’un départ anticipé à la retraite. Financé par deux cotisations acquittées par les employeurs, ce dispositif incitera les entreprises à réduire le nombre de postes de travaux pénibles. Signalons que pour les salariés aujourd’hui proches de l’âge de la retraite qui ne pourraient accumuler suffisamment de points sur leur compte, les points acquis seront doublés.
La réforme défendue par Marisol TOURAINE comprend également des mesures en direction de populations fragilisées face au marché du travail, à commencer par les femmes, dont les pensions sont inférieures à celles des hommes.
À partir du 1er janvier 2014, tous les trimestres acquis au titre de la maternité (au lieu de deux actuellement) seront pris en considération dans le cadre du dispositif de retraite anticipée pour carrières longues.
Les salariés à temps très partiel ou faiblement rémunérés auront, quant à eux, la possibilité de valider un trimestre sur la base de 150 heures rémunérées au Smic (au lieu de 200 actuellement). Rappelons que le temps partiel subi concerne à plus de 80% les femmes !
De plus, les majorations de pension pour enfants seront refondues à compter de 2020 pour bénéficier principalement aux femmes et pour intervenir dès le premier enfant.
Les jeunes actifs bénéficieront également de plusieurs avancées. Ils auront ainsi la possibilité de valider les trimestres acquis au titre de l’apprentissage. Ils pourront également bénéficier d’un tarif préférentiel pour les rachats de trimestres d’études supérieures effectués dans un délai de dix ans suivant la fin des études et dans la limite de quatre trimestres. La validation de deux trimestres de stage sera aussi possible moyennant le versement de cotisations. Par ailleurs, afin de mieux prendre en considération l’entrée de plus en plus tardive et souvent difficile des jeunes sur le marché du travail, le Gouvernement devra remettre au Parlement, avant le 15 juillet 2015, un rapport sur l’ouverture de droits à la retraite au titre des études.
D’autres mesures de justice sociale concernent les personnes ayant eu un parcours professionnel non linéaire (validation de périodes de chômage non indemnisées ; harmonisation des règles de calcul des pensions pour les poly-pensionnés ; etc.), les retraités agricoles (mise en place progressive, d’ici à 2017, pour les exploitants agricoles de la garantie d’une pension égale à 75% du SMIC ; etc.), les retraités les plus modestes (amélioration du minimum contributif) ainsi que les travailleurs handicapés (facilitation de l’accès à la retraite anticipée ; remise au Parlement d’un rapport permettant d’explorer la mise en place d’un compte handicap travail ; etc.).
Toutes ces dispositions s’inscrivent dans le prolongement du décret du 2 juillet 2012, qui a rétabli la possibilité de partir à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes.
Troisième et dernier objectif de la réforme : l’amélioration de la lisibilité et de la gouvernance du système des retraites.
À cette fin, le Gouvernement propose notamment la création d’un compte individuel retraite d’ici au 1er janvier 2017. Ce service en ligne permettra aux assurés d’accéder à tout moment aux informations les concernant (droits acquis au titre de la retraite, simulation du calcul de la pension). De plus, au moment de la liquidation, ils n’auront plus qu’à effectuer une seule demande à partir d’une déclaration en ligne pré-remplie.
Pour ce qui concerne la réforme de la gouvernance, il est prévu la mise en place d’un dispositif de pilotage. Chaque année, un Comité de surveillance des retraites rendra un avis sur l’évolution du système et formulera des recommandations, sur la base des travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR). Le Gouvernement, après consultation des partenaires sociaux, présentera au Parlement les suites qu’il entend donner à ces recommandations. Enfin, le Comité de surveillance des retraites sera chargé de rendre un avis sur le suivi de ces recommandations.
Je me réjouis que le projet de loi comprenne plusieurs dispositions concernant spécifiquement les Français établis hors de France ou ayant résidé à l’étranger au cours de leur vie professionnelle.
Dans le cadre du renforcement du droit à l’information, il est prévu que les assurés ayant un projet d’expatriation bénéficieront sur demande d’un entretien sur les règles d’acquisition de droits à pension, sur l’incidence sur ces derniers de l’exercice d’une activité à l’étranger et sur les dispositifs permettant d’améliorer le montant futur de leurs pensions de retraite. Une information sera également apportée au conjoint du futur expatrié.
Par ailleurs, le Gouvernement devra remettre au Parlement, avant le 31 décembre 2014, un rapport sur les conditions d’application des conventions bilatérales existantes en matière de retraite et sur les difficultés liées à la perception d’une pension de retraite à l’étranger. Cette disposition est le fruit d’un amendement du rapporteur pour avis de la commission des finances de l’Assemblée nationale.
Afin de renforcer les droits des assurés établis hors de France ou ayant effectué tout ou partie de leur carrière professionnelle à l’étranger, Jean-Yves LECONTE, Claudine LEPAGE et moi-même avons déposé cinq amendements tendant à :
- permettre aux salariés du secteur privé exerçant leur activité hors de France et affiliés à la Caisse des Français de l’étranger (CFE) d’acquérir des droits au titre d’un compte personnel de prévention de la pénibilité ;
- offrir aux personnes ayant adhéré à l'assurance vieillesse proposée par la CFE la possibilité de bénéficier de la majoration de durée d’assurance attribuée au titre de l’éducation d'un ou plusieurs enfant(s) ;
- accorder la faculté de s’assurer volontairement pour le risque vieillesse aux salariés qui contribuent au rayonnement de la France à l’étranger (personnels des postes diplomatiques et consulaires, des établissements culturels à autonomie financière, des établissements d’enseignement français, etc.) et qui n’ont pas été affiliés à un régime obligatoire français d’assurance maladie pendant une durée minimale de cinq ans ;
- prendre en considération la situation des polypensionnés lors du calcul du montant des pensions ;
- permettre la totalisation des périodes d’assurance accomplies dans plusieurs pays liés à la France par un accord de sécurité sociale. À l’heure actuelle, des personnes ayant travaillé dans plusieurs pays liés à la France par un accord de sécurité sociale se voient refuser par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) la possibilité de faire valoir toutes les périodes d’activité accomplies à l’étranger pour le calcul de leur pension. Ces personnes sont contraintes de choisir la période qu’elles souhaitent faire valoir. En 2003, la Cour d’appel de Caen a censuré cette approche, considérant qu’aucune règle issue du droit national, communautaire ou international ne s’oppose à l’application conjointe de deux accords liant la France. Saisie par la Caisse régionale d’assurance maladie (CRAM) de Normandie, la Cour de cassation n’a pas remis en cause le raisonnement de la juridiction caennaise. Cependant, le 30 mai dernier, le cabinet de Marisol TOURAINE m’a indiqué qu’une convention bilatérale ne peut inclure un pays tiers qu’avec l’accord des deux pays signataires, et non uniquement celui de la France. Pour remédier à l’absence de prise en considération simultanée des périodes acquises sous l’empire de deux ou plusieurs conventions bilatérales, les conventions de sécurité sociale signées ou modifiées récemment, dites « de seconde génération », incluent les pays tiers dès lors qu’ils sont liés par convention aux deux autres pays signataires (Uruguay, Inde, Tunisie Maroc, Brésil, etc.). Les personnes qui sont établies dans un pays lié à la France par un accord de première génération sont, elles, encouragées à souscrire une assurance complémentaire. En d’autres termes, elles sont incitées à cotiser deux fois ! Considérant que cette solution n’est absolument pas satisfaisante, mes collègues et moi-même avons proposé de prévoir l’application cumulative des accords de sécurité sociale signés par la France pour le calcul de la retraite.
Les quatre premiers amendements ont malheureusement été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires de créer ou d’aggraver une charge publique.
Quant à l’amendement relatif à la coordination des conventions de sécurité sociale, il a été adopté en séance publique. Je m'en félicite. Il faut désormais espérer que les députés le reprendront lors de la nouvelle lecture qui aura lieu après l’échec très probable de la commission mixte paritaire (CMP).