Le Sénat a adopté dans la nuit de lundi à mardi la proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l’accompagnement des personnes prostituées. Je me suis abstenu lors du vote final car j’estime que le texte modifié par le Sénat ne respecte pas l’équilibre qui avait été trouvé par la commission spéciale à laquelle j’ai participé.
Cette proposition de loi comporte de nombreuses avancées pour lutter contre les réseaux et protéger les personnes prostituées qui en sont victimes : blocage des sites internet utilisés par les réseaux de traite et de proxénétisme, aide aux personnes prostituées, notamment en matière d’hébergement, création d’un projet d’insertion sociale et professionnelle proposé aux victimes de la prostitution, accès à un titre de séjour provisoire, etc.
À côté de ces dispositions qui ont été unanimement soutenues par les sénateurs, deux sujets ont suscité davantage de débat et divisé notre assemblée : l’abrogation du délit de racolage et la pénalisation du client. La commission spéciale, après des travaux intenses nourris par un très grand nombre d’auditions, avait décidé de conserver l’abrogation du délit de racolage passif mais de revenir sur la pénalisation du client. Cette position me donnait entière satisfaction.
En effet, je me suis toujours opposé au délit de racolage mis en place en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Cette mesure sécuritaire et arbitraire a, de l’avis de toutes les associations venant en aide aux personnes prostituées, contribué à leur stigmatisation et à leur précarisation. Elle est en outre détournée à des fins de politique anti-migratoire.
La pénalisation des clients est selon moi dans la continuité du délit de racolage : elle en reprend le caractère répressif et prohibitionniste ainsi que les effets pervers (précarisation, isolement, risques sanitaires accrus). Je m’étonne d’ailleurs que cet argument n’ait pas été davantage entendu : on ne peut pas d’un côté écouter les associations de terrains quand elles nous disent que le délit de racolage a eu des effets terribles sur la situation sociale des personnes prostituées et de l’autre se boucher les oreilles quand ces mêmes associations mettent en garde contre des effets strictement identiques si la pénalisation du client est adoptée. Par ailleurs, comme l’a souligné Robert Badinter lors de son audition par la commission spéciale, la pénalisation du client est fragile juridiquement parce qu’elle revient à pénaliser le recours à une activité légale (encore plus si le délit de racolage est supprimé) et qu’elle est potentiellement contraire à la jurisprudence de la CEDH qui considère que la prostitution relève de la liberté sexuelle et qu’elle n’est incompatible avec la dignité humaine que si elle est contrainte.
Lors de l’examen de la proposition de loi en séance publique, la pénalisation du client supprimée par la commission spéciale n’a pas été rétablie, ce dont je me félicite, mais la droite a voté le rétablissement du délit de racolage, ce que je déplore car le délit de racolage, au même titre que la pénalisation du client, entre en contradiction avec l’objectif de la loi qui est d’aider les personnes prostituées. Dans ces conditions, je me suis abstenu malgré les nombreuses avancées contenues dans cette proposition de loi.