Depuis plusieurs mois, la presse se fait régulièrement l’écho de la situation kafkaïenne dans laquelle se trouvent les Américains dits « accidentels ». Ces derniers sont les victimes collatérales d’une loi américaine (Foreign Account Tax Compliance Act) dont l’application extraterritoriale est permise par des accords intergouvernementaux que les États-Unis ont conclus avec 113 pays.
Adoptée en 2010 suite à plusieurs scandales impliquant des institutions financières non américaines (UBS, etc.), la loi dite « FATCA » vise à renforcer la lutte contre l’évasion fiscale des contribuables américains. Elle impose à toute institution financière située hors des États-Unis de transmettre de façon automatique à l’administration fiscale américaine (Internal Revenue Service) des informations relatives aux comptes financiers détenus directement ou indirectement par les personnes ayant le statut de contribuable des États-Unis (US Person), dont les citoyens américains et les personnes fiscalement domiciliées aux États-Unis. Le non-respect de cette obligation est sanctionné par l’application d’un prélèvement de 30% sur tout paiement de source américaine.
Pour ce qui concerne la France, l’échange automatique d’informations est prévu par un accord bilatéral signé le 14 novembre 2013, en vertu duquel les institutions financières françaises [1] ont l’obligation de recenser les « comptes déclarables américains ». Avant le 31 juillet de chaque année, elles doivent communiquer à l’administration fiscale française plusieurs données à caractère personnel, à savoir des données d’identification [2] et des données à caractère économique et financier [3]. Ces dernières sont stockées dans un traitement automatisé dénommé « EAI », qui permet leur transmission à l’IRS.
En vue d’identifier les clients – nouveaux et existants – susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la loi dite « FATCA », les institutions financières doivent rechercher des « indices américains » [4]. Parmi ces indices figure notamment « un lieu de naissance situé aux États-Unis ». Or, la nationalité américaine s’acquiert automatiquement par le droit du sol. De plus, le système d’imposition américain repose sur la nationalité (citizen-based taxation) [5]. Résultat : les binationaux franco-américains qui n’ont pas d’autre lien avec les États-Unis qu’une naissance sur le sol américain sont tombés sous le coup de la loi dite « FATCA » [6].
Pour se conformer à cette dernière, les Américains dits « accidentels » doivent effectuer des démarches longues, contraignantes et coûteuses. Ceux d’entre eux qui souhaitent conserver la nationalité américaine doivent, d’une part, obtenir un numéro d’identification fiscale (Taxpayer Identification Number) – démarche pouvant durer de six à neuf mois – et, d’autre part, régulariser leur situation fiscale auprès de l’IRS (application de pénalités souvent conséquentes, double imposition éventuelle de certains revenus de source française, etc.). Pour leur part, les personnes souhaitant renoncer à la nationalité américaine [7] doivent non seulement débourser 2.350 dollars, mais aussi se mettre en conformité avec leurs obligations fiscales américaines sur les cinq années précédentes. La réalisation de toutes ces démarches nécessite le plus souvent l’assistance de spécialistes du droit fiscal américain.
Les Américains dits « accidentels » qui ne veulent pas se conformer au FATCA sont quant à eux considérés comme des « titulaires récalcitrants ». Partant, ils peuvent éventuellement être soumis à une retenue à la source de 30% sur certains paiements de source américaine (intérêts, dividendes, loyers, salaires, etc.), et cela bien que les « États-Unis n’exigent pas d’une institution financière déclarante française d’effectuer une retenue à la source de l’impôt […] pour un compte détenu par un titulaire récalcitrant » (paragraphe 2 de l’article 4 de l’accord). Par ailleurs, certains établissements bancaires – dont la Société générale – refusent de conserver des relations commerciales avec ces personnes alors même que les États-Unis n’exigent pas la clôture des comptes détenus par les clients récalcitrants.
La réaction de ces banques s’explique par la crainte de perdre tout accès au marché américain et aux transactions en dollars. C’est cette même crainte qui conduit actuellement des établissements à exclure de l’accès aux services financiers toute personne présentant un ou plusieurs indice(s) d’américanité (AXA Banque, Hello Bank !, ING Direct, etc.). Les Français ayant le statut de résident fiscal aux États-Unis (titulaires d’une carte verte, etc.) peuvent ainsi se retrouver dans l’impossibilité d’ouvrir un compte bancaire en France. D’autres effets pervers sont observables tels que l’impossibilité, pour une personne présentant des indices d’américanité, de partager un compte commun avec son conjoint ou d’obtenir un pouvoir sur les comptes bancaires de son entreprise.
Face à ces situations surréalistes, la France a engagé une action diplomatique auprès des autorités américaines en vue d’« obtenir que, dans les situations où, comme c’est le cas pour les "Américains accidentels", les liens avec les États-Unis sont ténus, la procédure de renonciation à la nationalité soit rendue plus simple et moins coûteuse ».
Pour sa part, la présidence du Conseil européen a adressé, le 8 mai 2017, une lettre au secrétaire d’État américain au Trésor en vue d’appeler son attention sur les difficultés concrètes rencontrées par certains citoyens européens ayant également la nationalité américaine.
Par ailleurs, le Gouvernement veille au « respect par les banques de leurs obligations à l’égard des personnes de nationalité américaine, afin que le droit au compte leur soit reconnu et soit appliqué de manière effective ». À cet égard, il convient de rappeler que les personnes dont le compte a été fermé ont la possibilité de saisir le médiateur de leur banque. Elles peuvent aussi saisir la succursale de Paris Bastille de la Banque de France, qui a mis en place une procédure d’urgence (01.44.61.15.00/Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
Il est également à noter qu’un arrêté du 25 juillet 2017 relatif au traitement automatisé « EAI » fait actuellement l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Les moyens soulevés par les requérants sont l’« absence de réciprocité » et l’« atteinte à la vie privée des personnes ».
Force est de constater, en effet, que la réciprocité des transferts d’informations n’est pas complète. Les autorités américaines se sont pourtant engagées à soutenir « l’adoption de lois appropriées » en vue de « parvenir à des niveaux équivalents d’échanges automatiques de renseignements avec la France » [8].
Trois ans après l’entrée en vigueur de l’accord dit « FATCA », le droit national américain ne permet toujours pas aux États-Unis de fournir à la France certains renseignements relatifs aux comptes financiers détenus outre-Atlantique par des personnes fiscalement domiciliées en France (solde des comptes bancaires, valeur de rachat des contrats d’assurance sur la vie). Les réformes destinées à élargir le champ des informations susceptibles d’être communiquées par les États-Unis ont jusqu’alors toutes été rejetées par le Congrès.
En l’absence de réciprocité complète de l’accord, la France peut éventuellement recourir à l’échange de renseignements sur demande, qui est prévu à l’article 27 de la convention fiscale franco-américaine.
Lors de la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l’accord, la rapporteure de la commission des finances du Sénat, mon ancienne collègue Michèle André avait opportunément appelé à « une nécessaire vigilance sur la réciprocité », considérant que cette dernière est « une question de principe » et qu’elle représente « un enjeu fiscal réel » (plus de 160.000 Français sont établis aux États-Unis).
Les États-Unis doivent impérativement tenir leur engagement. À défaut, il conviendrait que la France suspende l’application de ses obligations conventionnelles ou, à tout le moins, limite la communication d’informations à ce qui est symétriquement communiqué par les États-Unis.
Pour ce qui concerne l’atteinte à la vie privée des personnes, Régis Bismuth, professeur à l’école de droit de Sciences Po Paris, considère que la collecte de renseignements réalisée au titre de l’accord dit « FATCA » « (1) ne repose pas en partie sur une base légale, (2) ne répond pas à un objectif d’intérêt général de la France ou de l’UE et (3) ne respecte pas la condition de proportionnalité exigée par les droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Par ailleurs, (4) les dispositifs encadrant le transfert de données vers les États-Unis présentent de trop nombreuses lacunes pour être en conformité avec les exigences posées par le droit de l’UE » [9].
Le 17 mai, le Sénat examinera une proposition de résolution déposée par ma collègue Jacky Deromedi. Ce texte, dont je suis signataire, encourage notamment le Gouvernement à poursuivre son action diplomatique auprès des autorités américaines en vue d’obtenir la « réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral relatif au FATCA » et de permettre aux Américains dits « accidentels » « d’être exonérés d’obligations fiscales américaines ».
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[1] Les institutions financières entrant dans le champ de l’accord sont les établissements gérant des dépôts de titres, les établissements de dépôt, les entités d’investissement et les organismes d’assurance.
[2] Identification du déclarant, identification du mandataire, identification de l’intermédiaire le cas échéant, identification du titulaire du compte.
[3] Numéro de compte, solde du compte ou de la valeur portée sur le compte, valeur de rachat d’un contrat d’assurance vie, d’un contrat ou bon de capitalisation, valeur de capitalisation d’un contrat de rente, intérêts, dividendes, produits bruts et rachat sur contrat d’assurance vie, contrats ou bons de capitalisation, autres revenus de capitaux mobiliers, montant de la cession ou du rachat d’un bien inscrit sur le compte conservateur.
[4] Selon Régis Bismuth, professeur à l’école de droit de Sciences Po Paris, ces indices « ne permettent pas de déceler des personnes américaines ayant acquis la nationalité américaine par filiation sans être nées sur le territoire américain et bénéficiant d’une autre nationalité qui peut être seule déclarée aux institutions financières ».
[5] Les États-Unis et l’Érythrée sont les deux seuls États à avoir retenu la nationalité comme critère de rattachement fiscal.
[6] Selon M. Bismuth, les Américains dits « accidentels » sont des « personnes qui (1) ont acquis la nationalité américaine à la naissance par jus soli compte tenu de leur naissance sur le territoire des États-Unis ; (2) ont bénéficié dès la naissance d’une autre nationalité transmise par l’un des deux (ou les deux) parents qui n’est pas (ou ne sont pas) citoyen(s) américain(s) et à laquelle il n’a jamais été renoncée depuis la naissance ; (3) ont quitté les États-Unis au cours de leur enfance (parfois quelques semaines après leur naissance) et (4) qui n’ont jamais travaillé ou, plus largement, résidé de façon permanente aux États-Unis après leur majorité ».
[7] Après l’entrée en vigueur du FACTA, le nombre de demandes de renonciation à la nationalité américaine a fortement crû. Il est à noter que les personnes ayant renoncé à la nationalité américaine pour un motif lié à la fiscalité peuvent se voir interdire l’accès au territoire des États-Unis.
[8] Le paragraphe 1 de l’article 6 de l’accord dispose que le « Gouvernement des États-Unis convient de la nécessité de parvenir à des niveaux équivalents d’échanges automatiques de renseignements avec la France. Le Gouvernement des États-Unis s’engage à améliorer davantage la transparence et à renforcer la relation d’échange avec la France en continuant à adopter des mesures de nature réglementaire et en défendant et en soutenant l’adoption de lois appropriées afin d’atteindre ces niveaux équivalents d’échanges automatiques réciproques de renseignements ». Il est également à noter que la réciprocité est soumise à la « clause de la nation la plus favorisée », prévue à l’article 7 de l’accord. En d’autres termes, si les États-Unis venaient à accorder la réciprocité à un autre pays, la France serait en droit d’en réclamer le bénéfice pour elle-même – et réciproquement.
[9] Régis Bismuth, L’extraterritorialité du FATCA et le problème des « Américains accidentels », LexisNexis, Octobre-Novembre-Décembre 2017.