Afin de faire face à la crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie de COVID-19, le Parlement a adopté, dans des conditions inédites, trois projets de loi sans précédent.
Un projet de loi ordinaire prévoit la création d’un dispositif d’état d’urgence sanitaire pouvant être activé « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Inspiré du dispositif de droit commun prévu par la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, il est applicable jusqu’au 1er avril 2021. Il n’a donc pas vocation à devenir pérenne.
L’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois. Son éventuelle prorogation devra obligatoirement être autorisée par le Parlement, après avis d’un comité de scientifiques. Composé de personnalités qualifiées nommées par l’exécutif et le Parlement, ce comité est chargé de rendre « périodiquement des avis sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, ainsi que sur la durée de leur application ».
Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre peut, « aux seules fins de garantir la santé publique » :
- restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans certains lieux et à certaines heures ;
- interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
- ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées ;
- ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;
- ordonner la fermeture provisoire d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ;
- limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
- ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens ;
- prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits ;
- prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments;
- prendre toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire.
Ces mesures réglementaires devront être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus ». Il y sera mis fin « sans délai » lorsqu’elles ne seront plus nécessaires.
La violation des interdictions ou obligations édictées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (non-respect du confinement, etc.) est punie d’une amende de 135 euros. En cas de récidive dans un délai de quinze jours, le montant de l’amende s’élève à 1.500 euros. Et, en cas de multirécidive (plus de trois verbalisations dans un délai de trente jours), les faits sont punis de six mois d’emprisonnement, de 3.750 euros d’amende et d’une peine complémentaire de travail d’intérêt général (TIG).
Pour ce qui concerne l’indemnisation des arrêts de travail pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, le projet de loi prévoit la suppression du délai de carence dans l’ensemble des régimes de sécurité sociale (régime général, régime agricole, régimes spéciaux dont celui de la fonction publique). L’objectif est d’assurer une égalité de traitement de l’ensemble des assurés (mis en isolement, contraints de garder leurs enfants, malades).
En outre, il importe de noter que les Français expatriés rentrés en France entre le 1er mars 2020 et le 1er juin 2020 et n’exerçant pas d’activité professionnelle sont désormais affiliés à l’assurance maladie et maternité dès leur arrivée sur le sol français. Le délai de carence de trois mois a en effet été suspendu. Les modalités d’application de cette excellente disposition doivent être précisées par décret.
Le Parlement a par ailleurs habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures permettant la poursuite de l’activité économique et du fonctionnement des pouvoirs publics :
- instauration d’un dispositif de soutien à la trésorerie des entreprises et création d’un fonds d’indemnisation des très petites entreprises (TPE), dont le financement sera partagé avec les régions et d’autres collectivités territoriales (voir infra) ;
- facilitation et renforcement du recours à l’activité partielle en vue de limiter les ruptures des contrats de travail et d’atténuer les effets de la baisse d’activité ;
- assouplissement des dérogations à la législation en matière de congés payés (possibilité d’autoriser, par un accord d’entreprise ou de branche, l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables) ;
- assouplissement des dérogations à la législation en matière de durée du travail, de repos hebdomadaire et de repos dominical dans les « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » ;
- adaptation du droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté;
- prolongation de la trêve hivernale en matière d’expulsion locative ;
- report intégral ou étalement du paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité pour les TPE dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ;
- adaptation de délais légaux et de règles de procédure pénale (publicité des audiences, visioconférence, garde à vue, détention provisoire, assignation à résidence sous surveillance électronique, etc.) ;
- assouplissement des règles relatives aux assemblées générales des sociétés et aux assemblées générales de copropriétaires;
- adaptation des modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur, de diplômes et de concours ou examens d’accès à la fonction publique ;
- facilitation de la garde des enfants (extension à tous les assistants maternels de la possibilité d’accueillir jusqu’à six enfants simultanément en cas d’urgence) ;
- continuité des droits des assurés sociaux (prise en charge des frais de santé, prestations familiales, aides personnelles au logement, prime d’activité, etc.) ;
- assouplissement des règles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.
Cette liste est loin d’être exhaustive. Le Gouvernement a prévu de prendre une quarantaine d’ordonnances, dont la moitié sera présentée dès cette semaine en Conseil des ministres.
En vue de sécuriser la situation des ressortissants étrangers présents sur notre territoire, le projet de loi prévoit la prolongation de la durée de validité des titres de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de 180 jours.
Par ailleurs, tirant les conséquences de la fermeture des cinémas, le projet de loi prévoit un allègement temporaire de la chronologie des médias, qui organise des fenêtres d’exploitation des œuvres sur les différents supports (salles de cinéma, vidéo à la demande à l’acte, télévision payante, télévision gratuite, vidéo à la demande par abonnement). Pendant la période d’épidémie, les délais d’exploitation des films qui étaient encore diffusés en salles le 14 mars dernier pourront être réduits par décision du président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). L’objectif est de faciliter l’accès du public à ces œuvres et de permettre aux ayants droit de percevoir des recettes.
Le projet de loi comprend également des dispositions électorales. Il prévoit le report du second tour des élections municipales et communautaires dans les 4.816 communes où le premier tour n’a pas permis d’élire l’ensemble des conseillers municipaux ou communautaires. Il s’agit d’une mesure « sans précédent dans notre histoire politique contemporaine ». Les conseillers municipaux et communautaires en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour, dont la date sera fixée au plus tard le mercredi 27 mai, « au regard, notamment, de l’analyse du comité de scientifiques ». Préalablement, le Gouvernement devra avoir remis un rapport au Parlement avant le 23 mai. Quant aux déclarations de candidature, elles devront être déposées au plus tard le mardi suivant la publication du décret de convocation des électeurs.
Dans l’hypothèse où la situation sanitaire ne permettrait pas l’organisation du second tour au plus tard en juin, le mandat des conseillers municipaux et communautaires serait prolongé pour une durée fixée par le Parlement. Les deux tours de scrutin se tiendraient alors dans les trente jours précédant l’achèvement des mandats ainsi prolongés.
Pour ce qui concerne les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour, leur élection « reste acquise ». La date de leur entrée en fonction sera fixée par décret au plus tard en juin « au regard de l’analyse du comité de scientifiques ». Le mandat des conseillers municipaux et communautaires en exercice avant le premier tour est prorogé jusqu’à cette date.
Le projet de loi prévoit aussi le report des élections consulaires initialement prévues les 16 et 17 mai prochains. Le mandat des conseillers et délégués consulaires est prorogé au plus tard jusqu’au mois de juin prochain. D’ici au 23 mai, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport relatif à l’état de l’épidémie, aux risques sanitaires dans le monde et aux conséquences à en tirer sur la tenue du scrutin et de la campagne électorale. Il convient de noter que les procurations déjà enregistrées sont maintenues.
En vue d’éviter un engorgement du Conseil constitutionnel, un projet de loi organique prévoit que le délai de trois mois de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) par le Conseil d’État et la Cour de cassation ainsi que le délai de trois mois dans lequel le Conseil constitutionnel statue sur une question transmise sont suspendus jusqu’au 30 juin prochain.
Le volet financier des mesures d’urgence figure dans un projet de loi de finances rectificative, qui prévoit notamment :
- l’octroi de la garantie de l’État aux prêts consentis par les banques - entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2020 - aux entreprises françaises dont l’activité subit un choc brutal à la suite de la mise en oeuvre des mesures d’urgence sanitaire (300 milliards d’euros) ;
- l’ouverture de crédits destinés à financer l’activité partielle (5,5 milliards d’euros, auxquels viendront s’ajouter 3 milliards d’euros financés par l’Unedic) ;
- le financement du fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire (un milliard d’euros) ;
- le renforcement du dispositif de garantie publique à l’export, dit « Cap Francexport » (élargissement de la liste des pays vers lesquels les exportations peuvent être couvertes par la réassurance par l’État des engagements pris par les assureurs privés ; doublement de l’encours maximum réassurable par l’État) ;
- une exonération des importations et des livraisons de biens nécessaires au secours aux populations, au rétablissement de la continuité des services de droits de douane, d’octroi de mer, de droits de circulation et de taxes d’accise de l’octroi de mer.
Avec le report des paiements des cotisations sociales et recettes fiscales des entreprises pour les échéances de mars et avril, ce sont pas moins de 45 milliards d’euros qui sont ainsi injectés pour soutenir notre économie et nos entreprises. Ce montant est une estimation « plancher » susceptible d’être dépassée au besoin. Il comporte une provision de 2 milliards d’euros permettant de couvrir les achats de matériel (masques, etc.), les indemnités journalières et la reconnaissance de l’engagement des personnels hospitaliers.
Le Gouvernement anticipe un recul du produit intérieur brut (PIB) de 1% en 2020, alors qu’il tablait initialement sur une croissance de 1,3%. Selon le ministre de l’action et des comptes publics, le déficit public devrait « sans doute » être supérieur à 3,9% du PIB, alors qu’il était attendu à 2,2%. Quant à la dette publique, elle devrait dépasser le seuil de 100% du PIB.
Le président de la République l’a dit, tous les moyens financiers nécessaires pour lutter contre la pandémie et faire face à ses conséquences doivent être mobilisés, et cela « quoi qu’il en coûte ».
Les mesures adoptées par l’Assemblée nationale et le Sénat viennent s’ajouter aux mesures monétaires sans précédent prises par la Banque centrale européenne (BCE). Afin que tous les secteurs de l’économie puissent bénéficier de conditions de financement favorables, l’institut de Francfort a lancé un nouveau programme d’achats d’actifs (obligations d’État, obligations d’entreprise), doté d’une enveloppe totale de 750 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année.
Combiné aux mesures annoncées le 12 mars (120 milliards d’euros) et au programme d’achats d’actifs relancé en septembre dernier (20 milliards d’euros par mois), ce programme porte à 1.050 milliards d’euros les injections de liquidités opérées par la BCE. Cette dernière est prête à « accroître encore la taille de [ses] programmes d’achats d’actifs et à en ajuster la composition, autant que nécessaire et aussi longtemps que cela sera requis ». Elle examinera « toutes les pistes et toutes les éventualités en vue de soutenir l’économie » (achat de plus de 33% de la dette d’un État, etc.). Il faut s’en réjouir.
Les décisions prises par la BCE sont à la hauteur de la sévérité de la crise sanitaire et du choc économique qu’elle provoque.
Il en est de même pour les mesures proposées par la Commission européenne. Pour la première fois dans l’histoire de la zone euro, l’exécutif européen propose d’activer la clause dérogatoire générale prévue par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Les règles budgétaires européennes seraient ainsi considérablement assouplies en vue de permettre aux États membres d’« injecter dans l’économie autant qu’ils en auront besoin ».
La Commission a par ailleurs présenté un encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19. Ce dispositif sera en place jusqu’à la fin du mois de décembre 2020. Il pourra éventuellement être prolongé. Cinq types d’aides sont prévus :
- subventions directes, avantages fiscaux sélectifs et avances remboursables (possibilité, pour les États membres, de mettre en place des régimes accordant jusqu’à 800.000 euros à une entreprise pour lui permettre de faire face à ses besoins de liquidités urgents) ;
- garanties sur les prêts contractés par des entreprises auprès des banques (possibilité, pour les États membres, de fournir des garanties publiques pour faire en sorte que les banques continuent d’accorder des prêts aux clients qui en ont besoin) ;
- prêts publics bonifiés octroyés aux entreprises (possibilité, pour les États membres, d’accorder aux entreprises des prêts à des taux d’intérêt réduits leur permettant de couvrir leurs besoins immédiats en fonds de roulement et en investissements) ;
- garanties pour les banques qui canalisent les aides d’État vers l’économie réelle (ce type d’aide est considéré comme une aide directe aux clients des banques, et non aux banques elles-mêmes) ;
- assurance-crédit à l’exportation à court terme (possibilité, pour les États membres, de fournir une assurance-crédit à l’exportation lorsque cela est nécessaire).
Enfin, il est à noter que des voix s’élèvent pour réclamer la mobilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES). Doté d’une force de frappe de 410 milliards d’euros, le fonds de sauvetage permanent de la zone euro pourrait, par exemple, être chargé d’émettre des obligations communes à tous les pays de la zone euro (« coronabonds »). À cet égard, le groupe Renew Europe du Parlement européen - au sein duquel siègent les eurodéputés LREM - prône la création rapide de titres adossés aux obligations souveraines qui n’impliqueraient pas une mutualisation des risques.