Le 17 novembre, le Sénat a adopté, en première lecture, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Ce texte revêt, à plusieurs égards, un caractère exceptionnel. Il prévoit plusieurs mesures dictées par la crise sanitaire et économique :
- rectification des prévisions et objectifs pour 2020 (15 milliards d’euros de dépenses exceptionnelles ont été engagées par l’assurance maladie pour répondre à la crise sanitaire : achats de masques, prise en charge des tests, investissement dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux pour la réorganisation des soins, primes pour la reconnaissance des soignants) ;
- fixation de la trajectoire financière de la sécurité sociale pour les quatre années à venir (provision de 4,3 milliards d’euros prévue en 2021 au titre des tests, vaccins et masques) ;
- création d’une contribution exceptionnelle des organismes complémentaires en santé (mutuelles, etc.) aux dépenses liées à la gestion de l’épidémie de COVID-19 au titre des années 2020 et 2021 ;
- prolongation du dispositif d’indemnité en cas d’activité partielle et création d’un dispositif complémentaire d’exonération des bénéfices pour les secteurs fermés totalement ou situés dans les zones de couvre-feu et ayant subi une baisse d’activité.
- Le projet de loi prévoit également la concrétisation des engagements pris dans le cadre des accords du Ségur de la santé, signés le 13 juillet dernier :
- revalorisation des métiers des établissements de santé et des EHPAD et reconnaissance de l’engagement des soignants au service de la santé des Français (8,8 milliards d’euros supplémentaires pour la période 2020-2023) ;
- reprise par l’État de la dette des établissements de santé participant au service public hospitalier (13 milliards d’euros) ;
- déploiement d’un plan massif d’investissement dans le système de santé (6 milliards d’euros seront notamment destinés au numérique et aux établissements médico-sociaux) ;
- soutien au développement des hôtels hospitaliers;
- prise en charge intégrale par l’assurance maladie obligatoire des téléconsultations.
Parmi les autres mesures phares figurent :
- la création de la nouvelle branche de sécurité sociale pour le soutien à l’autonomie, dont l’existence a été consacrée par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie (cette cinquième branche sera gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui sera notamment dotée de 28 milliards d’euros de CSG ; un projet de loi sur le grand âge et l’autonomie sera présenté dans les mois à venir) ;
- le doublement de la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant à compter du 1er juillet 2021 (28 jours, dont 7 jours obligatoires ; le coût de cette mesure est estimé à 520 millions d’euros par an) ;
- la poursuite de la réforme de la tarification hospitalière (création d’une participation forfaitaire – 18 euros – pour les patients en cas de passage aux urgences non suivi d’hospitalisation ; expérimentation d’un modèle mixte de financement destiné à réduire la part de la tarification à l’activité) ;
- la création d’une mission d’intérêt général dédiée à la prise en charge des femmes victimes de violences;
- la pérennisation et le développement des maisons de naissance;
- la généralisation du tiers payant intégral sur les équipements et les soins du panier « 100% santé »;
- l’extension du bénéfice du tiers payant à toutes les assurées au titre des frais relatifs à une interruption volontaire de grossesse (la prise en charge d’une IVG serait protégée par le secret).
Le projet de loi comprend par ailleurs des dispositions relatives à la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Pour ce qui concerne le contrôle de l’existence des retraités établis hors de France, il ouvre la possibilité de recourir à la biométrie (les moyens pouvant être utilisés et les garanties apportées à la protection des données personnelles devront être précisés par un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés; l’Union Retraite travaille actuellement à la mise en place d’un dispositif de reconnaissance faciale, sur le modèle de l’application Alicem).
À l’occasion de la discussion du texte en séance publique, j’ai présenté un amendement visant à exonérer de CSG et de CRDS sur les revenus immobiliers (revenus fonciers, plus-values immobilières) tous les non-résidents qui ne sont pas à la charge, à quelque titre que ce soit, d’un régime obligatoire de sécurité sociale français. La loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 a exonéré de CSG et de CRDS sur les revenus du patrimoine et de placement les personnes qui relèvent du régime obligatoire de sécurité sociale d’un pays de l’Union européenne, d’un pays de l’Espace économique européen ou de la Suisse. Ce dispositif est conforme au droit européen et tire pleinement les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire dite « de Ruyter ». Cependant, il instaure une différence de traitement entre les non-résidents, selon qu’ils sont ou non affiliés au régime obligatoire de sécurité sociale d’un pays de l’UE/EEE ou de la Suisse. J’ai proposé de mettre fin à cette différence de traitement en appliquant aux revenus du patrimoine et de placement le critère de l’affiliation à un régime obligatoire de sécurité sociale français. Ce critère s’applique, depuis 2001, aux prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement.
Mon amendement n’a malheureusement pas été adopté, la majorité sénatoriale ayant préféré adopter un amendement maximaliste prévoyant l’exonération de tous les non-résidents, y compris ceux qui relèvent d’un régime obligatoire de sécurité sociale français.
Mes autres amendements n’ont pas non plus été adoptés. Ils avaient pour objet :
- d’introduire de la progressivité dans l’application de la cotisation d’assurance maladie (COTAM) qui est acquittée par les retraités qui sont à la fois fiscalement domiciliés à l’étranger et affiliés à un régime obligatoire de sécurité sociale français ;
- de garantir que les retraités établis hors de France doivent apporter la preuve de leur existence une seule fois par an (cet amendement a reçu un avis favorable du Gouvernement ; il visait à faire en sorte que le retraité justifie « une fois par an au plus » de son existence ; le texte adopté par le Sénat prévoit que le retraité « justifie chaque année de son existence ») ;
- de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport relatif à la protection sociale des conjoints inactifs des retraités établis hors de France (évaluation de la possibilité de prendre en charge les frais de santé engagés par les conjoints qui ne sont pas couverts par le droit européen ou international) ;
- de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport relatif à la situation, au regard de la protection sociale, des journalistes pigistes établis dans les États tiers à l’UE, autres que les États membres de l’Espace économique européen ou la Suisse (évaluation de la possibilité de faire de la Caisse des Français de l’étranger l’organisme d’assurance maladie des pigistes).
Bien que la majorité conservatrice du Sénat ait adopté sans modification de nombreuses dispositions, le groupe RDPI – dont je suis membre – s’est abstenu sur l’ensemble du texte, en vue de marquer son profond désaccord avec certains choix politiques opérés par la droite sénatoriale. Cette dernière a en effet introduit des mesures paramétriques de redressement des comptes du système de retraite (report progressif de l’âge d’ouverture des droits jusqu’à 63 ans en 2025 et accélération de l’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour l’accès à une pension au taux plein [43 annuités dès la génération 1965]). Elle a par ailleurs supprimé la disposition visant à organiser la reprise de la dette hospitalière. Le texte modifié par la majorité sénatoriale a été adopté par 190 voix pour, 106 voix contre et 50 abstentions.
La commission mixte paritaire – composée de sept députés et sept sénateurs – n’est pas parvenue à établir un texte de compromis sur les dispositions n’ayant pas été adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Aussi une nouvelle lecture aura-t-elle lieu à l’Assemblée nationale (23 et 24 novembre) et au Sénat (26 novembre). Le dernier mot reviendra aux députés (30 novembre).