Vous pouvez aussi lire le billet sur mon blog à ce sujet
Une quinzaine de députés et sénateurs veulent mesurer l’impact de la politique d’immigration, jusque dans ses coûts économiques. La facture des expulsions serait de 230 millions à 2 milliards d’euros.
Le Parisien, Pascale Égré et Élisabeth Fleury | 06.04.2010
Ils analysent à la loupe, depuis deux ans, la politique française d’immigration. Réunis dans un collectif baptisé Cette France-là, dont le second ouvrage est sur le point de paraître*, une trentaine de chercheurs, journalistes et militants associatifs viennent de trouver un relais parlementaire à leur travail de contre-expertise. Ce matin à l’Assemblée nationale, à l’initiative de députés de gauche et avec l’appui de deux représentants de la majorité, une quinzaine d’élus lancent un audit de la politique de l’immigration.
Dans le cadre d’une « commission informelle », ils souhaitent auditionner de hauts fonctionnaires, responsables politiques, syndicalistes, patrons ou chercheurs afin de décortiquer notamment l’effet de l’immigration sur la démographie, les comptes de l’Etat, le chômage et les salaires, la cohésion sociale ou l’Etat de droit. L’objectif est, selon les instigateurs, « de bien apprécier ce qui fait problème : l’immigration elle-même ou la politique qui la prend pour cible ? » Le ministère de l’Immigration n’a pas souhaité commenter cette initiative.
Parmi les points soulevés, celui de la controverse sur le coût de l’expulsion d’un étranger en situation irrégulière. Celle-ci court depuis le calcul élaboré pour le budget 2009 par un sénateur UMP, Pierre Bernard-Reymond, qui l’évaluait à plus de 20 000 € par personne reconduite. Un député UMP, Bernard Carayon, a de nouveau questionné le ministre de l’Immigration sur ce sujet en novembre. Usant des calculs proposés par l’inspection générale de l’administration (IGA), Eric Besson, ministre de l’Immigration, mentionne des chiffres allant de 5 000 € (sans escorte policière) à 12 000 € (avec). Dans son premier recueil, Cette France-là avance que la politique d’éloignement a coûté au total 2 milliards d’euros en 2008. « Un chiffre infondé », selon le ministère, qui parle de 230 millions par an. « L’audit vise justement à parvenir, sur ce sujet comme sur d’autres, à un chiffrage précis et incontesté », explique le philosophe Michel Feher, président du collectif.
Les députés initiateurs du projet d’audit, Sandrine Mazetier (PS) et Noël Mamère (Verts), ont depuis été rejoints par une douzaine de représentants de gauche comme les députées Martine Billard (PG) et George Pau-Langevin (PS), les sénateurs Eliane Assassi (PC) et Richard Yung (PS) ou les députées européennes (Europe Ecologie) Eva Joly et Helène Flautre. Jean-Luc Benhamias (MoDem) et deux députés UMP, Françoise Hostalier et Etienne Pinte , s’associent à la démarche. L’annonce d’un nouveau projet de loi visant à durcir le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) motive nombre de ces premiers signataires. « C’est la cinquième fois qu’on modifie les lois en sept ans sans en avoir fait le bilan », souligne Françoise Hostalier. « Il faut poser différemment les questions d’immigration », martèle Jean-Luc Benhamias, qui juge par exemple « ahurissant » que « l’objectif des 29 000 expulsions par an oblige les préfets à renvoyer en Roumanie, pays membre de l’Union européenne, 6 000 à 7 000 de ses ressortissants. »
* En librairie jeudi. Voir le site cettefrancela.net.
« Une enquête est nécessaire »
Sandrine Mazetier, députée (PS) de Paris
Pourquoi un audit de la politique d’immigration ?
Parce qu’il y a un fossé très important entre les données des chercheurs, des scientifiques et des spécialistes de l’immigration et les a priori et les fantasmes qui fondent les politiques européenne et française conduites en la matière. Une enquête permettrait de mettre cela en lumière. En tant que parlementaire, sur la question budgétaire par exemple, j’ai ainsi eu l’occasion de constater l’impasse faite sur certains chiffres.
Par exemple ?
Concernant le coût de l’expulsion d’un étranger en situation irrégulière par exemple, les documents d’élaboration budgétaire fournis par le ministère de l’Immigration pour le vote du budget 2010 restaient en deçà de l’évaluation élaborée par la Cour des comptes soit au moins 20 000 € par expulsé. Dans le même cadre, lors de son audition par la commission des Finances en juillet 2009, le ministre de l’Immigration, Eric Besson, a soutenu ne pas être en mesure de donner le nombre de régularisations annuelles, arguant que seuls les préfets connaissaient ces chiffres.
Pourquoi, selon vous, ce genre d’impasse ?
Parce que certaines données viendraient faire s’effondrer l’actuel édifice de stigmatisation des personnes en situation irrégulière. Elles contrediraient la construction, à coups de lois, d’une image de l’étranger « forcément » clandestin, fraudeur ou menaçant. Elles démontreraient le caractère inhumain de la chasse aux sans-papiers. Elles montreraient qu’on finit par régulariser ces gens qui vivent et travaillent ici parce qu’on a besoin de cette main-d’oeuvre.