Actions de groupe : les sénateurs reviennent à la charge
MARIE BELLAN, Les Echos, 27/05/2010
Le groupe de travail transpartisan du Sénat sur les actions de groupe a rendu ses conclusions hier. Il défend fermement le dispositif, mais avec un champ d'application limité.
Le sujet revient avec régularité sur le devant de la scène. L'action de groupe à la française est pourtant loin d'être une réalité. Cette procédure, qui permet à une personne d'exercer une action en justice au nom d'un groupe d'individus ayant subi un préjudice similaire, avait été promise par Jacques Chirac en 2005, puis reprise en 2008 dans le rapport de Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires. Elle avait alors donné lieu à un avant-projet de loi qui n'a cessé de naviguer entre la chancellerie et Bercy, sans que le débat soit tranché. L'action de groupe revient cette fois sous la plume des sénateurs, dont le groupe de travail, constitué en octobre 2009, a rendu hier ses conclusions.
Recours à l'action limité
Rédigé par Laurent Béteille (UMP) et Richard Yung (socialiste), ce rapport d'information prend fait et cause pour la mise en place d'une action de groupe. Elle permet en effet une mutualisation des moyens et une économie des coûts procéduraux qui la rendent bien plus attractive, pour les particuliers, qu'une action individuelle. Mais les sénateurs, conscients des risques de dérives, comme le chantage au procès que peuvent subir certaines entreprises américaines, et attentifs à l'impact négatif que l'action de groupe peut avoir sur l'économie, ont bien pris soin d'encadrer le dispositif.
La première recommandation du rapport limite le recours à l'action de groupe à certains types de litiges, liés à la consommation au sens large, au droit de la concurrence et à « certains manquements au droit financier et boursier ». Les auteurs ont prévu une évaluation du dispositif trois ans après son entrée en vigueur pour faire évoluer, si nécessaire, le champ d'application. Pour limiter le risque financier auquel les entreprises sont exposées, le texte recommande aussi de s'en tenir aux dommages matériels, en excluant les préjudices corporels, mais sans fixer un montant limite, comme le souhaite le Medef. Autre dérive à éviter : la multiplication des actions de groupe. Pour ce faire, seules des associations de défense des consommateurs, dont l'agrément devrait être en outre mieux encadré, pourraient recourir à cette procédure. Une proposition qui fait la quasi-unanimité des acteurs concernés.
Quant à l'épineuse question de l'adhésion présumée ou volontaire au groupe (« opt in » ou « opt out »), les sénateurs tranchent en faveur de la seconde option qui stipule que seules les personnes qui ont expressément manifesté leur accord font partie de l'action de groupe : « Cette solution présente un double mérite. D'une part, elle garantit qu'aucun justiciable n'est engagé contre sa volonté ou sans le savoir dans une action en justice, d'autre part, elle permet au professionnel attaqué de connaître l'ensemble des plaignants et de construire sa défense en conséquence. C'est la solution la plus compatible avec les principes français du procès. » Une prise de position qui devrait, en partie, rassurer les entreprises. En revanche, les sénateurs n'ont pas retenu la proposition, émanant du patronat, consistant à faire de la médiation un préalable à toute action de groupe.
Action de groupe - Le Sénat favorable
Que Choisir, 30 mai 2010
C'est l'une des revendications fortes de l'UFC-Que Choisir : l'introduction dans notre droit de l'action de groupe. Une procédure qui permet aux consommateurs confrontés à des litiges de se regrouper pour agir en justice et être indemnisés individuellement du préjudice subi. Dans un récent rapport, le Sénat estime à son tour que l'action de groupe est « nécessaire pour la protection du consommateur ».
Coucou, la revoilà ! Enterrée depuis quelques mois, l'action de groupe refait son apparition sur le devant de la scène à la faveur d'un rapport du Sénat. Constatant que « notre droit n'offre aucun mécanisme pour assurer une réparation » aux consommateurs victimes chaque année « de milliers voire de millions » de petits litiges, il se déclare favorable à l'introduction d'un tel mécanisme dans notre droit. De la sorte, tous les dossiers seraient regroupés en une même procédure. En cas de condamnation de l'entreprise fautive, celle-ci serait alors obligée d'indemniser individuellement les consommateurs lésés.
Ardemment réclamée par l'UFC-Que Choisir, l'action de groupe joue cependant les Arlésiennes. Le débat avait en fait été réellement ouvert par Jacques Chirac. Alors président de la République, il s'était engagé à l'instituer dans notre droit. Un projet puis des propositions de loi avaient même été rédigés. Mais l'arrivée dans notre droit d'un tel dispositif s'est heurté à de nombreuses résistances, à commencer par celle du Medef.
L'organisme patronal ne veut en effet pas en entendre parler en raison des coûts et des atteintes à l'image que des actions de ce type pourraient occasionner aux entreprises. Ses arguments semblent avoir fait mouche. Ainsi, selon un confidentiel publié dans « Le Figaro » du 15 avril dernier, Christine Lagarde, ministre de l'Économie et des Finances, s'est déclarée tout à fait « défavorable » à la mise en place d'une action de groupe en France.
Frilosité du gouvernement
En termes plus mesurés, le sénateur Laurent Béteille (UMP), co-auteur du rapport au côté de Richard Yung (PS), a reconnu que le gouvernement était « frileux » sur le sujet. Les deux parlementaires proposent que cette action ne puisse être initiée que par une association de consommateurs agréée. L'objectif étant d'éviter les excès qu'une telle procédure pourrait produire... et que ses opposants agitent habilement en se référant aux dérives de la « class action » américaine. Le tribunal statuerait ensuite en deux temps. Il aurait d'abord à statuer sur la responsabilité de l'entreprise afin d' « écarter rapidement les actions abusives ». Après, seulement, les juges évalueraient les montants à verser aux consommateurs parties à l'affaire en réparation du préjudice subi (à l'exclusion des préjudices moraux et corporels). Entre les deux phases, l'entreprise mise en cause devrait financer une campagne institutionnelle pour informer les personnes lésées de leur possibilité de se joindre à l'action.
Le rapport peut être consulté ici.
La proposition de loi que j'ai déposée avec Nicole Bricq peut être lue ici.