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Richard Yung
Octobre 2021

L’Hémicycle, 5 octobre 2010

Introduction en droit français de l’action de groupe ou de dommages et intérêts punitifs pour sanctionner les fautes lucratives : le droit de la responsabilité civile doit-il être révisé ? A entendre les entreprises, rien n’est moins sûr, mais les parlementaires plaident pour une meilleure défense des consommateurs.

Le droit de la responsabilité civile, « très performant, protecteur et efficace », expliquait en novembre 2009 le sénateur Laurent Béteille (UMP, Essonne), « manque cependant de cohérence » en raison de « la multiplication des régimes spéciaux on en compte plus de 70 aujourd’hui », ajoutait le sénateur Alain Anziani (Soc, Gironde). Partant des travaux de Pierre Catala, professeur émérite de l’université Paris 2, les deux rapporteurs de la mission d’information sur le sujet proposent d’intégrer la jurisprudence au code civile et de revoir l’organisation du droit de la responsabilité civile, sans pour autant supprimer les régimes spéciaux. Une telle réforme répondrait à la volonté de l’Union européenne de créer un cadre commun de référence en matière contractuelle », soulignaient-ils, conscients que le chemin est encore long avant qu’un texte définitif ne soit voté ».

SANCTIONNER LES FAUTES LUCRATIVE
Par ailleurs, les deux sénateurs pointaient deux améliorations indispensables du droit instaurer des dommages et intérêts punitifs sanctionnant les fautes lucratives (lorsque l’entreprise tire un bénéfice de la faute commise, même après avoir été condamnée) et introduire la procédure de l’action de groupe.
Les sénateurs demandent que les fautes lucratives soient sanctionnées dans trois cas : l’atteinte au droit à l’image, l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle (contrefaçon) et en droit de la concurrence et de la consommation. Les intervenants du petit-déjeuner avaient soulevé deux problèmes liés à cette réforme. Tout d’abord, la question de la destination des sommes versées par les entreprises fautives si les dommages et intérêts sont versés aux victimes, cela représente une atteinte au principe de la réparation intégrale », s’ils sont versés au Trésor, cela représente une atteinte au principe de la légalité des peines », affirmait Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques du Medef. Les sommes seraient versées « par priorité à la victime et, pour une part définie par le juge, à un fonds d’indemnisation ou, à défaut, au Trésor », a précisé Laurent Béteille, ajoutant qu’elles pourraient être prises en charge par l’assurance de l’entreprise, « le coût des primes constituant lui-même un moyen de prévenir la commission des fautes lucratives ».
Ensuite, les intervenants s’inquiétaient d’un risque d’une « double peine » en cas de cumul de sanctions par une Autorité administrative indépendante (AAI), telles que l’Autorité des marchés financiers ou l’Autorité de la concurrence), et par une juridiction pénale et/ou civile.

ACTIONS DE GROUPE : INÉVITABLES OU CONTESTÉE
Second objet de désaccord entre entreprises et parlementaires : l’introduction en droit français de l’action de groupe. Le sujet est récurrent depuis une dizaine d’années et les arguments des uns et des autres varient peu tandis que le statu quo perdure.
En février 2007, le député Philippe Houillon (UMP Val-d’Oise), alors président de la commission des lois, estimait que l’action de groupe était inévitable et qu’elle représentait « une forme de réponse » aux grands principes que le législateur ne cesse d’affirmer dans la loi et même dans la Constitution ». Le député regrettait d’ailleurs que le projet de loi en faveur des consommateurs, qui prévoyait d’introduire l’action de groupe en droit français, ait été retiré de l’ordre du jour. De toute façon, rappelait-il, ce texte proposait une formule « petits-bras » de l’action de groupe. Selon lui, la commission des lois de l’Assemblée l’aurait modifié, supprimant par exemple « certains articles qui limitaient l’initiative de l’action collective à quelques associations de consommateurs ».
En 2009, les sénateurs Alain Anziani et Laurent Béteille revenaient à la charge en proposant d’introduire dans le droit français des « actions collectives en responsabilité en cas de fautes lucratives commises à l’égard d’une pluralité de victimes et générant des dommages individuels de faible montant ». Alain Anziani précisait que cette procédure « ne pourra pas se cumuler avec les dommages et intérêts punitif » et que les dérives constatées outre-atlantiques devront être évitées ».

MEDEF EN TÊTE
Pourtant, déjà en 2007 les opposants à l’action de groupe – Medef en tête – avaient estimé que le projet de loi de Thierry Breton allait trop loin. Michel Rouger, président honoraire du tribunal de commerce de Paris, jugeait ainsi l’action de groupe « totalement inadaptée » dans la mesure où « la justice française déjà submergée par le pénal n’est pas formée à l’économie. [...] L’action de groupe se perdra dans les sables mouvants de l’expertise ». Même son de cloche pour Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques du Medef, pour qui l’action de groupe est une fausse simp4flcation au règlement des litiges collectifs », dont « l’application s’avérerait complexe et extrêmement coûteuse ». Agitant la menace des dérives américaines, elle considérait cette procédure comme « une machine à faire du cash ».
En 2009, elle reprenait ces arguments, présentant ce qu’elle considère comme une alternative à l’action de groupe la médiation. Cette solution n’est pas rejetée par les deux sénateurs, qui estiment cependant qu’elle ne peut à elle seule régler les problèmes « l’action collective serait une sorte de dernier recours, d’épée de Damoclès, un bâton encourageant les entreprises à faire aboutir la médiation ».

CONSENSUS PARLEMENTAIRE?
Finalement, le Gouvernement, par la voix d’Hervé Novelli, a en octobre 2009 renvoyé une fois encore le sujet aux calendes grecques, expliquant que quatre préalables devaient être levés avant l’introduction de l’action de groupe en droit français – sortir de la crise économique, réorganiser le mouvement consumériste, développer la médiation et assurer la cohérence entre les réflexions françaises et les travaux en cours au niveau européen.
Cependant, les parlementaires semblent cette fois prêts à faire mon ter la pression. Pour preuve le 26 mai 2010, les sénateurs Laurent Béteille et Richard Yung (SOC, Français hors de France) ont fait adopter par la commission des lois à la quasi-unanimité (une abstention) leur rapport d’information sur l’action de groupe. « Il est temps de brusquer un peu le mouvement », estime Richard Yung. « Cette procédure permettrait de répondre à un vrai besoin social », ajoute-t-il, comprenant que les consommateurs « soient frustrés ». « Aujourd’hui, les entreprises ne se sentent pas réellement en danger », explique Laurent Béteille, considérant qu’il « vaudrait mieux que la France se dote maintenant d’un système qui corresponde à sa tradition juridique plutôt que de se voir imposer un système concocté au niveau européen ».
Anticipant un certain nombre de critiques sur les dérives à l’américaine des class actions, la mission d’information propose de réserver l’initiative de l’action aux associations de consommateurs agréées, qui soumettront au Tribunal de grande instance (TGI) une demande de reconnaissance en responsabilité de l’entreprise. «Le TGI se prononcerait alors à la fois sur la recevabilité de l’action et sur la responsabilité du professionnel». Le juge fixerait ensuite les modalités de publicité de l’action, dont le coût serait pris en charge par l’entreprise. « Seules les personnes ayant exprimé leur volonté de faire partie de l’action seraient concernées ». Dans la phase d’indemnisation des victimes, une médiation serait possible, dont le résultat devra être validé par le juge. En cas d’échec de la médiation, le juge prononcera un jugement d’indemnisation.
Cette procédure – expérimentale pendant trois ans – s’appliquerait au droit de la consommation, au droit de la concurrence et au droit boursier.

TIRS CROISÉS
Même si le 24 juin une proposition de loi socialiste sur le recours collectif a été rejetée en séance, les partisans de l’action de groupe ne désarment pas d’une part, Laurent Béteille a annoncé pour fin 2010 le dépôt d’une nouvelle proposition de loi – sans doute cosignée par Richard Yung – reprenant les préconisations de la mission d’information et, d’autre part, à l’Assemblée, plusieurs députés UMP ont déposé une proposition de loi sur le sujet. De quoi relancer le débat.