Le Figaro, par Régis Arnaud, 25/11/2010
Un Français s'est suicidé parce que son ex-épouse japonaise lui refusait tout contact avec son fils. Les autorités diplomatiques se heurtent à l'inertie de Tokyo.
Arnaud Simon aurait pu être l'un de ces expatriés qui contribuent aux bonnes relations entre la France et le Japon. Samedi, ce jeune historien, qui travaillait à une thèse sur la pensée sous l'ère Edo, s'est pendu à Tokyo. Il n'a pas eu besoin de laisser de mot : ses proches savaient qu'il avait perdu le goût de vivre depuis que son ex-compagne japonaise lui refusait tout contact avec leur fils. «Au lieu de le défendre, ses avocats japonais lui faisaient la morale en lui reprochant d'avoir quitté sa femme», se lamente un de ses anciens collègues professeurs.
En juin dernier, un autre Français, Christophe Guillermin, lui aussi privé de son enfant dans les mêmes conditions qu'Arnaud Simon, avait déjà mis fin à ses jours. Ces deux morts tragiques rendent encore plus aigu le problème lancinant des séquestrations d'enfants mixtes par les mères japonaises. Au Japon, après une séparation, la garde est généralement accordée à la mère. Or, le droit de visite ne fait pas partie des mœurs du pays. Lorsqu'un père l'obtient à l'arraché, toujours de haute lutte devant les tribunaux de l'Archipel, ce droit demeure encadré très sévèrement et reste soumis au bon vouloir de la mère. La police refuse en effet d'exécuter ce type de décisions, au motif qu'elles relèvent de la vie privée.
Les pères français sont parmi les plus touchés par ce phénomène, après les Américains. Mais le drame d'Arnaud Simon a assez ému la communauté franco-japonaise pour que l'ambassadeur Philippe Faure publie mercredi un communiqué très vif : «M. Simon avait (…) fait part récemment à la section consulaire de notre ambassade à Tokyo des difficultés qu'il éprouvait pour rencontrer son fils, et il est très probable que la séparation d'avec son enfant a été un des facteurs déterminants (…) d'un geste aussi terrible. Ceci nous rappelle à tous s'il en était besoin la souffrance des 32 pères français et des 200 autres cas (étrangers) recensés par les autorités consulaires comme étant privés de fait de leurs droits parentaux.»
La situation semble aujourd'hui bloquée. «L'ambassadeur est irréprochable. Mais le consul à Tokyo, Philippe Martin, nous demande de refaire des procédures dont il connaît l'inutilité», s'insurge Jacques Colleau, responsable international de l'association française SOS Papa, qui lutte lui aussi pour entrer en contact avec sa fille franco-japonaise. «Le Japon n'a pas ratifié la Convention de La Haye de 1981 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. Aucune convention bilatérale sur le sujet ne lie les deux pays, et nos décisions judiciaires ne sont pas reconnues au Japon», expliquait il y a quelques mois le magistrat français Mahrez Abassi, spécialiste de ces questions, lors d'une visite au Japon consacrée à ce sujet.
L'Archipel est dans une position d'autant plus difficile à tenir qu'un des sujets majeurs de sa diplomatie est le cas de ses ressortissants kidnappés par la Corée du Nord, pour lequel il exige la sympathie et le soutien de ses partenaires. Le ministère des Affaires étrangères nippon a prêté une oreille sensible à la question des enfants de couples mixtes. Mais celui de la Justice, la police japonaise et plus généralement la société civile font la sourde oreille.
Amender le Code civil
Une psychologue qui suit le cas d'un père étranger séparé de son fils, explique : «On ne peut pas dire qu'un système soit meilleur qu'un autre pour l'enfant. Mais, pour un père français, il est insupportable de ne plus jamais voir son fils.» Jean-Denis Marx, avocat chez Baker et McKenzie à Tokyo, explique : «Le principe de la garde partagée n'existe pas ici. Cela veut dire qu'il faudrait amender le Code civil japonais, ce qui, en matière de droit de la famille, est particulièrement difficile au Japon.»
Jacques Colleau prédit d'autres drames. «Un père dont les enfants ont été kidnappés vient de m'écrire qu'il n'en pouvait plus, qu'il allait en finir… Quand les autorités japonaises vont-elles prendre la mesure du problème ?»