Les Échos, 15/03/11
Les expatriés pourraient être taxés sur les plus-values qu'ils constituent en France avant de les exercer à l'étranger. Le gouvernement avance prudemment, car Bruxelles a déjà censuré de tels dispositifs au nom de la liberté d'établissement en Europe.
A défaut de pouvoir aligner sa fiscalité sur celle de la Suisse ou de la Belgique, la France cherche à neutraliser l'avantage de ceux qui la quittent pour payer moins d'impôt. Le gouvernement a beau ne pas connaître l'ampleur de cet exil fiscal, il travaille sur le principe d'une « exit tax » qui frapperait les ménages ayant constitué leur richesse en France et qui s'expatrient dans un pays fiscalement plus avantageux pour vendre leurs titres ou leur entreprise. La mesure n'est pas encore arbitrée, mais elle est envisagée dans les deux scénarios de réforme de la fiscalité du patrimoine, l'allégement ou la suppression de l'impôt sur la fortune. Elle serait encore plus nécessaire si le gouvernement retenait le deuxième scénario. De fait, il implique une taxation des plus-values latentes qui risquerait d'accroître la tentation d'exil fiscal.
Cette nouvelle taxe, si elle était retenue, ne viserait évidemment pas les expatriés qui s'enrichissent à l'étranger : un entrepreneur qui crée son entreprise et la valorise de 200.000 euros en France, puis part en Belgique en la faisant fructifier d'encore 300.000 euros, ne serait taxé qu'au titre de son enrichissement en France, soit 200.000 euros (quand il vend ses titres). Ces plus-values seraient alors taxées au même régime que si elles avaient été exercées dans leur pays d'origine (soit 19 % aujourd'hui). Le gouvernement s'interroge sur la durée pendant laquelle appliquer cette « exit tax » : les expatriés allemands sont visés au cours des dix ans suivant leur départ, les britanniques pendant seulement cinq ans.
Au coeur de l'optimisation fiscale
La question est cependant secondaire, indique Bercy, qui cherche avant tout comment contourner les contraintes juridiques de Bruxelles. Une première « exit tax » avait été mise en oeuvre par Dominique Strauss-Kahn en 1998, et contestée par la Cour de justice européenne six ans après. Celle-ci estimait qu'en frappant les Français au moment même de leur expatriation (par le versement d'argent ou d'un dépôt de garantie), elle portait entrave au principe de liberté d'établissement en Europe. Plus récemment, c'est l'Allemagne qui a dû revoir son « exit tax » pour répondre aux critiques de Bruxelles. L'imposition à la sortie n'a pas été proprement abrogée, mais son taux a été ramené à zéro à l'intérieur de l'Union européenne ! Ainsi, seules les personnes s'installant en dehors de l'Europe sont-elles encore taxées, ce qui limite fortement la portée de la mesure.
Bercy cherche la parade pour éviter une telle censure. Le modèle britannique est regardé de près car il taxe les expatriés, non au moment de leur départ, mais à celui de leur retour, ce qui n'est pas prohibé par Bruxelles. La mesure aurait le mérite de cibler le coeur même de l'optimisation fiscale, à savoir les ménages qui s'expatrient le temps de réaliser leurs plus-values, et reviennent en France après. Mais elle risquerait de décourager certains retours.
Le gouvernement s'interroge aussi sur la taxation des non-résidents - Français ou étrangers -qui conservent un lien avec la France (résidence secondaire, revenus complémentaires...) et profitent des services publics sans en payer la charge. Ceux-ci sont taxés à la source, à hauteur de 20 % maximum, ce qui est souvent plus favorable que l'impôt sur le revenu. Ce barème pourrait être relevé.
LUCIE ROBEQUAIN, Les Echos