Contre le statu quo voulu par le gouvernement, la Chambre haute a largement amendé le projet de loi.
Libération, 09/04/2011 Par CHARLOTTE ROTMAN
«Ce débat, comme celui sur la fin de vie, touche à l’intime : il nous interpelle», a concédé le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, vendredi, dans l’hémicycle du Sénat. Chacun face à sa conscience et au-delà des clivages politiques, le débat sur la loi de bioéthique a rebondi à la Chambre haute. Les sénateurs ont imposé plusieurs modifications de taille, parfois en contradiction avec la position du gouvernement, très arc-bouté sur le statu quo et le respect des grands principes. Pour le socialiste Jean-Pierre Godefroy, sénateur de la Manche, le texte voté vendredi est «progressiste, profondément humain et républicain.» «Nous avons le devoir, au-delà des crispations, de marier raison et sagesse. J’ai le sentiment que nous y sommes parvenus», s’est félicité le rapporteur UMP Alain Milon, très influent lors de la discussion. Le texte n’est pas définitif : il doit retourner à l’Assemblée. Et Xavier Bertrand a déjà averti que le gouvernement ferait tout, lors de ces navettes parlementaires, pour revenir sur certains changements adoptés au Sénat. L’assistance médicale à la procréation élargie C’est une surprise. Les sénateurs ont voté l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) «à tous les couples». Ce qui revient à l’autoriser aux couples de femmes. Jusqu’à présent, l’aide de la médecine pour procréer était strictement limitée aux couples hétérosexuels. A l’origine de cette petite révolution : un amendement PS-Verts, adopté à quelques voix près. Le sénateur PS des Français de l’étranger, Richard Yung, a plaidé en ce sens : «L’orientation sexuelle des futurs parents, pourvu qu’ils soient liés par un projet familial, relève de leur vie privée et ne nous regarde pas.» Et, enfonçant le clou : «Les enfants élevés par des parents de même sexe ne sont ni plus heureux, ni plus malheureux que les autres et ne se différencient pas des enfants des couples hétérosexuels. C’est ce que démontrent de nombreuses études.» A l’heure actuelle, les lesbiennes qui désirent un enfant se rendent chez certains de nos voisins européens et notamment en Belgique. On parle de «bébé-Thalys», du nom du train. «Nous devons tenir compte de la situation d’infertilité sociale, qui est à l’origine de procréations organisées à l’étranger», a souligné Alima Boumediene-Thiery, sénatrice verte. Xavier Bertrand a donné un avis défavorable : pour le gouvernement,«c’est le constat d’une infertilité médicale qui reste la condition d’accès à l’AMP». Le rapporteur UMP Alain Milon, plus pragmatique et libéral, a voté l’amendement à titre personnel : «Cela me paraît conforme à la réalité de la société française.» Une fois l’amendement voté, une protestation ironique : «Bravo, on fera des couples avec trois pères !» La sénatrice Marie-Thérèse Hermange, UMP et grande gardienne des valeurs catholiques, dénonce un usage «de convenance» de l’AMP. La recherche plus libre A gauche, on salue«un message essentiel aux chercheurs». Les sénateurs ont décidé de passer du régime actuel d’interdiction de la recherche sur les embryons et cellules souches embryonnaires avec dérogation, à un régime d’autorisation encadrée. «C’est ce que souhaitent les scientifiques […] qui déplorent la frilosité du législateur français et qui indiquent combien le régime d’interdiction pénalise la recherche», a plaidé Alain Milon, avec succès. Le don d’ovocytes annulé Selon l’agence de biomédecine, 2 000 femmes infertiles auraient besoin d’un don d’ovocytes en France. Sans compter celles qui se rendent à l’étranger, notamment en Espagne. A l’Assemblée nationale, Jean Leonetti, rapporteur du texte, avait eu l’idée de permettre aux femmes qui n’ont pas encore eu d’enfants de donner leurs gamètes. La mesure permettait d’obtenir des dons en provenance d’un public plus jeune et, donc, plus fertile. En contrepartie, les donneuses pouvaient compter sur«une éventuelle réutilisation ultérieure» pour elles-mêmes, en cas de besoin. Les sénateurs ont supprimé cette disposition. Le transfert post mortem d’embryon écarté Faut-il autoriser une veuve à se faire implanter les embryons qui ont été congelés du vivant de son mari ? Les sénateurs sont revenus sur le transfert de l’embryon après le décès du père, autorisé par l’Assemblée nationale. Ils se sont déchirés sur le sujet : «Le désir d’une femme de donner un enfant à un homme mort est respectable», a estimé la socialiste Monique Cerisier-ben Guiga. «Je ne veux pas qu’on mette au monde des enfants du deuil», a rétorqué Jean-Pierre Michel, lui aussi PS. Xavier Bertrand a tranché à sa manière : «Ce n’est pas la même chose de naître orphelin et d’être conçu orphelin.» L’anonymat maintenu C’était l’un des points les plus attendus. Si Roselyne Bachelot souhaitait revenir sur l’anonymat des dons de gamètes, son successeur à la Santé y est défavorable. Contre l’avis de la commission et après un débat passionnant, les sénateurs ont finalement préconisé le statu quo. Certains socialistes ont refusé de «survaloriser la génétique».«Et le donneur, a demandé l’un d’eux, le voyez-vous ouvrir sa porte et trouver devant lui un enfant qui lui dise : "Bonjour, papa" ?» Raymonde Le Texier, PS elle aussi, a rectifié : les enfants nés grâce à un don de sperme ne cherchent pas un père mais veulent «avoir accès à une pièce du puzzle».«Comment priver ces enfants de leur histoire ?» s’est interrogée Marie-Hélène Des Esgaulx, sénatrice UMP de Gironde. Onze pays occidentaux ont levé l’anonymat, comme la Suède et le Royaume-Uni. Pour la France, il faudra encore attendre.