L’administration fiscale a déposé une plainte contre le marchand d’art, ami de M. Sarkozy
La séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le mercredi 5 octobre, a confirmé une dépêche publiée quelques heures plus tôt sur le site Internet de l’hebdomadaire Le Point : une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris à la suite d’une plainte pour fraude fiscale déposée par le ministère du Budget contre le marchand d’art Guy Wildenstein.
Le député (PS) d’Ille-et-Vilaine, Marcel Rogemont, a interrogé la ministre du Budget, Valérie Pécresse, sur l’inertie de l’administration fiscale qui, depuis 2009, a été alerté à plusieurs reprises par Claude Dumont Beghi, avocate de la veuve de Daniel Wildenstein, Sylvia Roth, seconde épouse du père de Guy Wildenstein auquel un litige successoral l’opposait (Le Monde du 3 juin2005).
Malade, Sylvia Roth avait déclaré, avant son décès en 2010, son désir que soit poursuivie son action. Son avocate a respecté cette dernière volonté, et, à l’Assemblée, le député Marcel Rogemont a salue sa ténacité, tout en s’étonnant de n’avoir appris que quelques minutes plus tôt le dépôt d’une plainte de Bercy : « Nous venons d’apprendre à l’instant que vos services diligentent une enquête. Pourquoi avoir tant attendu ? Est-ce parce que vous avez été informée de ma question ? Est-ce parce que M. Wildenstein est un ami de M. Sarkozy ? »
Guy Wildenstein est en effet membre du Premier Cercle, cette structure créée pour l’élection de M. Sarkozy, qui fut dirigée par Eric Woerth quand il était le trésorier de l’UMP, et qui rassemble grandes fortunes et généreux donateurs. Il est aussi membre fondateur de I’UMP, conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), pour les Etats-Unis, où il réside, et régulièrement consulté par Nicolas Sarkozy. Le président lui a ainsi publiquement rendu hommage, le 6 novembre 2007, en déclarant que c’était à la suite d’un coup de téléphone de son « ami Guy », qu’il avait décidé de la gratuité de la scolarité dans les lycées français à l’étranger.
Président de 1’American Society of the French Legion of Honor, GuyWildenstein a été élevé, en janvier 2009, après avoir régulièrement gravi les échelons de cette distinction, au grade de commandeur de la Légion d’honneur, sur la liste du ministère des affaires étrangères mais c’est Nicolas Sarkozy qui a accroché la médaille a son revers.
Il est surtout l’héritier d’une dynastie de marchands de tableaux fondée il y a plus d’un siècle, en 1875, par Nathan Wildenstein. L’ascension de l’aïeul, né en 1852, a été fulgurante. Au début des années 1890, il achète un hôtel particulier rue La Boétie à Paris ; en 1903, il ouvre une galerie à New York, puis une à Londres en 1925, et une dernière, quatre ans plus tard, à Buenos Aires. Quand il meurt, en 1934, son fils Georges (1892-1963) lui succède. Il donne les rênes de l’entreprise à son fils Daniel (1917-2001), le père de Guy, et l’époux de Sylvia Roth.
La fortune est incalculable. Et c’est précisément là le problème : du vivant de Daniel Wildenstein, son épouse Sylvia bénéficiait d’un îlot privé aux îles Vierges, d’une écurie de courses à Chantilly, d’un château, d’une résidence en Suisse, d’un ranch de 30 000 hectares au Kenya, où fut tourné Out of Africa. Elle jouissait également, outre sa résidence à Paris, d’une des plus belles maisons de New York. La galerie d’art était installée dans un hôtel particulier, à proximité. Les réserves en sont mythiques, et fruit du labeur de plusieurs générations.
Optimisation fiscale
Qui toutes ont cultivé le secret, et l’optimisation fiscale. Au point que saisie par l’avocate de Sylvia Roth, la cour d’appel, dans un jugement confirmé en cassation, avait rendu cet attendu surprenant : « L’évasion du patrimoine dans des sociétés étrangères et des trusts conforme à la tradition familiale de transmission des biens aux héritiers directs », n’est pas imputable à Guy Wildenstein, mais à ses ascendants.
Claude Dumont Beghi a patiemment décodé les arcanes de cette « tradition familiale ». Elle a mis à jour une série de trusts, qu’elle assimile à autant de sociétés-écrans destinées à cacher un patrimoine que revendiquait pour partie sa cliente, et qui sont pour la plupart domicilies en Irlande. Un autre est basé dans l’île anglo-normande de Guernesey. D’autres encore aux îles Caïmans.
Plainte a donc été enfin déposée par l’administration, le 22 juillet 2011. Soit deux semaines à peine après que l’héritière de Sylvia Roth, sa sœur Tamara Roth Cohn Eskenazi, ait renoncé à sa succession. Sur laquelle désormais, selon Claude Dumont Beghi, « l’Etat a lui aussi des droits, et doit les récupérer ».
HARRY BELLET, Le Monde 07/10/2011