Les candidats à l'élection présidentielle de 2012 devront se prononcer sur le "pacte consumériste" que l'UFC-Que Choisir, doyenne française des associations de consommateurs, entend leur soumettre. Ils devront notamment dire s'ils sont favorables à "l'action de groupe". Ce mode de règlement collectif des petits litiges permettrait à un grand nombre de consommateurs victimes du même préjudice - de la part d'un opérateur téléphonique ou d'une banque, par exemple - de s'unir pour réclamer en justice leur indemnisation.
Actuellement, les consommateurs lésés d'un faible montant hésitent à saisir le juge individuellement, compte tenu de la disproportion entre les frais à engager et la réparation attendue. La complexité du droit français incite à recourir aux services, coûteux, d'un avocat, même auprès du juge de proximité, compétent pour les litiges de moins de 4 000 euros. Un sondage réalisé par l'UFC auprès de 56 437 personnes, au début de l'année, montre que 80 % des consommateurs renoncent à introduire une action en justice.
Les associations de consommateurs n'ont pas le droit d'agir en leur nom, comme l'a constaté l'UFC à ses dépens. Après que le Conseil de la concurrence eut condamné Orange, SFR et Bouygues pour entente illicite en 2005, l'association a déposé au tribunal pas moins de 12 521 demandes d'indemnisation de clients lésés par l'un ou l'autre de ces trois opérateurs mobiles. La Cour d'appel de Paris a déclaré son action nulle, au motif qu'elle a été organisée "au mépris des interdictions de démarchage".
L'action de groupe est un véritable serpent de mer. En 2005, Jacques Chirac, président de la République, demande à son gouvernement un projet de loi. Le texte est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, mais pas examiné. Le candidat Sarkozy promet la réforme en mars 2007, mais son gouvernement s'y oppose aujourd'hui. Pourtant, le Conseil de la concurrence s'y est dit favorable en 2006 et Jacques Attali l'a préconisée dans son rapport de 2008 sur la libération de la croissance française. On ne compte plus les propositions de loi déposées depuis 2006.
Les consommateurs la réclament : 95 % des personnes sondées par l'UFC y sont favorables. Mais le patronat s'y oppose. Le Medef et la CGPME assurent qu'"elle se transformerait en un handicap pour les entreprises françaises qui vivraient sous cette menace, à la différence de leurs concurrentes", rappellent les sénateurs Laurent Béteille (UMP) et Richard Yung (PS), dans un rapport datant de mai 2010. Pourtant, les "class actions" existent déjà aux Etats-Unis, et dans douze pays de l'Union européenne. "Aucun des mécanismes européens étudiés ne semble avoir généré des coûts déraisonnables ou disproportionnés pour les entreprises et la vie des affaires", constatent les sénateurs, après avoir lu un rapport de la Commission sur le sujet. Bruxelles va d'ailleurs proposer une directive sur le "collective redress" en 2012.
Les détracteurs de l'action de groupe assurent qu'elle importerait en France les dérives des "class actions" des Etats-Unis, où des avocats démarchent des victimes à grand renfort de publicité, afin de se rémunérer ensuite grassement sur les dommages et intérêts obtenus.
Les propositions de loi identiques déposées par MM. Yung et Béteille en décembre 2010 écartent ces risques : seule une association de consommateurs agréée pourrait initier un recours. Elle soumettrait au juge quelques cas types du préjudice commun. Ce magistrat statuerait sur la responsabilité du professionnel. Il définirait le groupe des consommateurs concernés (ceux qui avaient un contrat entre telle et telle date, par exemple). Il fixerait les conditions dans lesquelles l'association pourrait faire de la publicité - aux frais du professionnel - pour les en avertir. A l'expiration du délai prévu, il établirait la liste des personnes recevables et le montant de leur indemnisation. "Cela nous convient tout à fait", indique l'UFC. Au Sénat, M. Yung pourrait réintroduire sa proposition, sous forme d'amendement au projet de loi Lefebvre renforçant les droits des consommateurs, qui devrait être examiné avant Noël.
Rafaële Rivais
Le Monde (06/12/11)