Le fils d’un Algérien déclaré citoyen français avant 1962 avait déposé une QPC
(Le Monde, 1er juillet 2012)
Dans une décision rendue vendredi 29 juin, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître la nationalité française à un Algérien décédé en 1956, qui avait, avant l’indépendance de l’Algérie en 1962, joui du statut de citoyen français grâce à une ordonnance datant de 1944. La demande était faite par son fils, âgé de 71 ans, qui espérait ainsi, par filiation, être naturalisé.
Cette décision, qui fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée fin 2011, est rendue à quelques jours du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, jeudi 5juillet. Elle enterre, de facto, toutes les demandes similaires qui auraient pu être faites à l’avenir. Les affaires de nationalité ont en effet un délai de prescription de cinquante ans.
L’histoire de Mouloud Amer Yahia est celle d’un certain nombre d’Algériens de sa génération. Son père, né en 1910, a travaillé pour les Français à l’époque de la colonisation. De 1947 à 1956, il est devenu président du conseil municipal d’un village de Kabylie. Or, cette fonction lui a permis d’être reconnu citoyen français sur la base d’une ordonnance de 1944. Ce texte a défini toute une liste d’Algériens –considérés comme « méritants »– et qui se sont vu octroyer la citoyenneté.
Mais, en 1962, lors de l’indépendance de l’Algérie, quand la France décide de choisir ceux, parmi les habitants de son ancienne colonie, qui peuvent prétendre automatiquement à la nationalité française et ceux qui, ne le peuvent pas, elle exclut les A1gérien qui ont bénéficié de la citoyenneté par l’ordonnance de 1944.
Ces derniers, pour devenir français, doivent accomplir des démarches. Ils doivent notamment souscrire une « demande de reconnaissance de nationalité française ». Démarche que pour différentes raisons – dont une méconnaissance du dispositif – moins d’un tiers d’entre eux vont faire. Le père de M. Amer Yahia fait partie de ceux qui n’ont pas fait cette demande.
« Rupture d’égalité »
Ce qui va motiver Amer Yahia fils à se lancer dans le combat juridique pour obtenir la nationalité française est un refus de visa. Avant la QPC déposée fin 2011, il s’est confronté aux tribunaux. Mais, en 2009, il a perdu son procès en première instance. La justice lui a aussi donné tort en appel, en 2010.
Pour appuyer sa demande devant le Conseil constitutionnel, son avocat, Me Patrice Spinosi, a fait valoir que l’administration coloniale française avait, avant 1944, sur la base d’autres textes, permis à un certain nombre d’Algériens d’acquérir, eux, automatiquement la nationalité française lors de l’indépendance en 1962. Le premier texte date de 1865, le second de 1919. Pour Me Spinosi, il y a donc eu « une rupture d’égalité ».
En son temps, le texte de 1865, un sénatus-consulte, avait accordé le bénéfice de la citoyenneté française aux chefs de tribu et aux notables algériens qui la demandaient. Le texte de 1919, une loi, avait lui ouvert cette possibilité aux soldats mobilisés durant la première guerre mondiale. En accédant à cette citoyenneté, ces Algériens ne dépendaient plus du code de l’indigénat et du droit local musulman.
Selon les chiffres de l’historien Patrick Weil (Qu’est-ce qu’un Français?, éd. Grasset, 2002), le sénatus-consulte de 1865 a permis l’accès à la citoyenneté à 3572 Algériens, la loi de 1919 à 2395. Des chiffres très inférieurs aux 60 000 Algériens liés à l’ordonnance de 1944. Si le Conseil constitutionnel avait suivi la requête M. Amer Yahia, un grand nombre d’enfants et de petits-enfants de tous ces Algériens auraient pu devenir français. « C’est dommage que le Conseil constitutionnel n’ait pas saisi cette occasion du cinquantenaire de l’indépendance », estime Me Spinosi.
E.V.