Exigée par le nouveau traité, la loi instaurant la règle d’or est présentée aujourd’hui en conseil des ministres. Un abandon de souveraineté selon ses détracteurs.
Libération, 19 septembre 2012, par Nathalie Dubois
La France se condamne-t-elle à l’austérité ad vitam æternam si elle ratifie le traité budgétaire européen ? Et surtout, consent-elle, avec ce texte, de nouveaux abandons de souveraineté à Bruxelles ? C’est le leitmotiv des adversaires du traité, que le gouvernement Ayrault soumettra début octobre au vote du Parlement. Avec son corollaire, une loi organique relative au pilotage des finances publiques, qui sera adoptée aujourd’hui en Conseil des ministres. C’est ce texte, innovation la plus visible du pacte signé en mars par 25 des 27 Etats membres de l’UE, qui doit transposer en droit interne la fameuse «règle d’or», à savoir l’obligation d’avoir des comptes publics «en équilibre ou en excédent». Tournant majeur ou simple codification des règles déjà en vigueur au sein de la zone euro ? Dans sa décision du 9 août, le Conseil constitutionnel a conclu que le traité «ne comporte pas de clause contraire» à la loi fondamentale. A son grand soulagement, François Hollande échappe ainsi à la nécessité d’une révision constitutionnelle, loin d’être acquise au vu de la division de ses troupes. Décryptage de ce que le traité va changer pour la France.
Pas de nouveau transfert de compétences
Du traité de Maastricht en 1992 à celui de Lisbonne en 2008, la Constitution française a été modifiée quatre fois pour intégrer les approfondissements de la construction européenne. En revanche, selon les Sages de la rue Montpensier, le nouveau Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (le TSCG) ne requiert pas de nouvelles modifications. Certes, le texte renforce la discipline budgétaire des pays, en supprimant les quelques échappatoires du dispositif actuel. Mais, sur le fond, il ne comprend rien de nouveau par rapport au corset en vigueur. Sans aucune vague dans l’Hexagone, le Conseil et le Parlement européens ont d’ailleurs déjà adopté, fin 2011, un paquet dit «six pack» (cinq règlements et une directive) qui renforce considérablement l’arsenal coercitif contre les pays déviant des critères de Maastricht (ne pas dépasser, notamment, 3% du PIB de déficit). «Sur le plan juridique, le TSCG ne comporte effectivement pas de nouveau transfert de compétences vers l’Europe. Il ne fait que préciser et améliorer les mécanismes de respect des règles de l’Union économique et monétaire», constate le constitutionnaliste Dominique Rousseau. L’économiste Jean Pisani-Ferry pointe toutefois un changement : «Le transfert de souveraineté existait déjà, mais le nouveau traité rééquilibre les pouvoirs au sein de lu machine communautaire, pour les donner à la Commission au détriment du Conseil.»
En effet, maintes fois violé, le précédent pacte de stabilité n’a jamais conduit à la moindre sanction, car il fallait qu’une majorité de gouvernements soit d’accord. Avec, au sein de la zone euro, 13 pays sur 17 actuellement sous le coup d’une «procédure de déficit excessif», la solidarité était de mise entre eux. L’une des innovations du TSCG est donc de renforcer fortement l’automaticité des sanctions pour les pays s’écartant des critères de déficit et de dette: Bruxelles pourra infliger aux contrevenants une amende (de 0,2% à 0,5% de leur PIB), sauf si au moins deux tiers des pays représentant 62% de la population s’y opposent.
Pas de règle d’or dans la constitution
La mesure phare du traité budgétaire est l’obligation de transcrire en droit interne le principe d’équilibre des comptes publics. Heureusement pour le Parti socialiste, qui était en 2011 vent debout contre le vœu de Nicolas Sarkozy de constitutionnaliser cette règle d’or, le TSCG laisse aux pays la liberté de choisir les modalités de la transcription : dans la loi fondamentale, ou autrement.
La nouvelle majorité s’est donc réjouie de la décision du Conseil en faveur d’une loi organique. Dans la hiérarchie du droit français, elle s’impose aux lois ordinaires (donc aux lois de finances), mais il suffit d’une majorité simple au Parlement pour l’adopter (ou l’abroger). A la tête de la commission des finances à l’Assemblée, l’UMP Gilles Carrez a d’ailleurs émis la crainte que «la règle d’or se transforme en règle molle». Une position démentie par le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois : «La puissance d’affichage est peut-être moins forte, mais la règle sera tout aussi contraignante que si on l’avait inscrite dans la Constitution.»
Dans ce texte figure un nouveau critère de «déficit structurel» (hors service de la dette et impact de la conjoncture économique) : celui-ci ne devra pas dépasser 0,5% du PIB. Petit bonus donné aux pays dont la dette est «nettement» inférieure au ratio de 60% de PIB, ils pourront aller jusqu’à 1% de déficit. Mais ce plafond n’est pas intangible. D’abord, il s’agit d’un «objectif à moyen terme» vers lequel les Etats doivent converger, grâce à une «trajectoire d’ajustement». C’est la Commission européenne qui établira le calendrier, pays par pays, selon la situation de chacun. Secundo, des «circonstances exceptionnelles», type «grave récession», autorisent à s’écarter «temporairement» de l’objectif. Pour l’économiste Pierre-Main Muet, député PS du Rhône, cette règle n’est pas plus douloureuse à respecter que celle des 3% de Maastricht : «le nouveau traité peut même être moins contraignant», car il «laisse jouer les stabilisateurs économiques» en cas de coup dur conjoncturel.
Une atteinte à la démocratie ?
L’adoption du budget étant une prérogative phare du Parlement, celui-ci s’interroge légitimement sur le nouveau rétrécissement de ses marges de manœuvre — déjà fort minces. «C’est une dépossession presque perpétuelle de notre droit à élaborer le budget», tonne le député socialiste Pascal Cherki. II fait partie de ceux à l’aile gauche du PS qui, comme les Verts, le Front de gauche, mais aussi le Front national et les souverainistes de droite, voteront non au TSCG. Mais la vraie bagarre au Parlement portera sur le contenu de la loi organique. En vertu des nouvelles règles européennes va être créé un Haut Conseil des finances publiques. Sous l’égide de la Cour des comptes, cet organisme indépendant contrôlera le respect de la règle d’or et tirera la sonnette d’alarme en cas de dérapage. II n’a certes qu’un rôle consultatif, mais les élus — tout comme le ministre des Finances d’ailleurs — se voient soumis à un nouveau chien de garde.
«Disons les choses comme elles sont : le cœur du pouvoir budgétaire était déjà à Bruxelles», admet le sénateur PS Richard Yung. Le combat du Parlement va donc être d’obtenir que le gouvernement l’associe davantage aux programmes que Paris soumettra dès avril à la Commission. Depuis 2011, les élus en sont informés un peu avant Bruxelles. Un droit de regard, mais pas d’amendement... qu’ils vont réclamer.