La question est éminemment politique. La manière de la poser aussi. On peut se demander pourquoi les impôts des résidents français financeraient les frais de scolarité des 300 000 enfants d'expatriés qui, le plus souvent, paient leurs impôts hors de France. On peut aussi se demander pourquoi les petits Français du bout du monde n'auraient pas accès à une aide à la scolarité quand ceux qui grandissent en France ont une école gratuite. Ces questions prennent une résonance particulière avec le débat sur les exilés fiscaux et la raréfaction de l'argent public.
Au nom de la francophonie, la France dispose d'un réseau unique de 500 établissements dans 148 pays. Les financements publics ne permettent plus d'en couvrir tous les frais et les droits de scolarité demandés aux familles sont d'environ 4 000 euros annuels. Les familles françaises qui font le choix de ces établissements sont aidées par des bourses.
Ce dispositif, qui n'avait pas bougé depuis 1990, a été renforcé sous le mandat de Nicolas Sarkozy par le remboursement intégral des frais de scolarité des lycéens... Mesure prise à une époque où le fils du chef de l'Etat était scolarisé à New York, dans un établissement à 20 000 euros l'année.
A peine installée dans sa fonction, Hélène Conway-Mouret, la ministre déléguée aux Français de l'étranger, a supprimé la prise en charge des frais de scolarité pour les lycéens (PEC) de 2007, mesure critiquée même à droite comme onéreuse et injuste, avant de s'attaquer à la refonte des conditions d'accès aux bourses.
12 MILLIONS D'EUROS POUR 776 FAMILLES FRANÇAISES AUX ETATS-UNIS
Car à côté de la PEC, qui distribuait 33 millions d'euros sans prise en compte du revenu des familles, existent des bourses sociales. Au budget 2013, 110 millions d'euros seront distribués et Mme Conway-Mouret, jugeant que les critères d'octroi "privilégiaient trop les familles au train de vie le plus élevé", a changé les règles.
En ouvrant le livre des comptes 2011, la ministre est tombée sur quelques curiosités qui ont conforté ce qu'elle avait vu sur le terrain. Ainsi, en 2011, une famille de Français installée à Londres et gagnant 170 000 euros annuels s'est vue rembourser 41 % des 16 000 euros de frais de scolarité qu'elle déboursait pour ses deux enfants inscrits dans l'école bilingue.
Une autre, expatriée à Houston aux Etats-Unis, était aidée à hauteur de 76 % pour ses 26 000 euros annuels de facture scolaire. En dépit de ses 120 000 euros de revenus annuels...
Globalement d'ailleurs, 776 familles françaises installées aux Etats-Unis se sont partagées en 2011 une enveloppe de 12 millions d'euros au titre de l'aide à étudier dans un établissement français, alors que les 1 470 familles résidant à Madagascar, souvent binationales et percevant des salaires locaux, se partageaient la moitié de cette somme.
En fait, les règles qui prévalaient depuis 1990 à la répartition de cette manne étaient opaques, et s'intéressaient aux sommes restant à une famille une fois son loyer, ses emprunts et tous ses frais payés. On tenait compte aussi bien de sa facture de téléphone, que de ses emprunts ou de ses frais de baby-sitter. Tout se déduisait... La France prenant même en charge une partie des frais de cantine.
Dans la nouvelle formule, en vigueur partout depuis le 1er janvier, la commission (composée de représentants des affaires étrangères, de l'éducation, d'élus et de parents) ne se penche plus que sur les revenus, les charges sociales, les impôts et le coût de l'école. "L'ancien système créait un effet d'aubaine pour certaines familles", reconnaît François Denis, président de la Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français. Pourtant, cette fois on tombe dans un calcul dangereusement automatique. J'ai demandé à la ministre qu'on évalue le nouveau système au bout d'un an, afin d'observer s'il n'y a pas de laissés-pour-compte." A la demande du député socialiste Pouria Amirshahi, un rapport parlementaire devra être réalisé en 2014.
LES FRANÇAIS D'ESPAGNE OU D'AMÉRIQUE DU NORD SONT LES GRANDS PERDANTS
En fait, la répartition des bourses était deux fois inégale. Au sein d'un même pays puisqu'elle privilégiait les familles à hauts revenus dépensant beaucoup. Entre les pays aussi, parce que l'évaluation du coût de la vie n'était pas harmonisée. "Chaque pays utilisait son barème. Ainsi, on estimait que vivre à Madrid coûtait 15 % de plus qu'à Paris. Qu'être installé à Toronto nécessitait des revenus supérieurs de 97 % à ceux avec lesquels on pouvait vivre en France", rappelle l'entourage de la ministre. Cette dernière a décidé d'en finir et d'appliquer désormais une grille utilisée par les entreprises pour calculer le coût de la vie dans le monde.
Si à Caracas l'inflation de ces dernières années sera désormais prise en compte, les Français d'Espagne ou d'Amérique du Nord, hier favorisés, sont les grands perdants. "Je crains des déscolarisations", s'inquiète Soledad Margareto, conseillère auprès de l'assemblée des Français de l'étranger et membre de la commission nationale des bourses. "Il ne faut pas oublier que le pourcentage de familles dont les frais de scolarité sont totalement remboursés baisse de 32 % dans le nouveau dispositif", ajoute François Denis.
Donnée démentie par la ministre qui assure de son côté qu'"après la réforme, ce sont 400 familles supplémentaires qui sont aidées et les familles hier prises en charge à 100 % continueront de l'être, sauf si elles avaient des revenus élevés". Plus globalement, elle s'est engagée à ce qu'"aucune famille ne pâtisse d'un différentiel supérieur à 20 points entre 2011 et 2012". Ceux qui payaient 20 % de l'école ne devraient donc pas s'acquitter de plus de 40 % de leur facture cette année.
DIFFÉRENTIEL DE NIVEAUX DE VIE
Reste que le cas des pays en crise est inquiétant. "En Espagne, la moyenne des frais de scolarité à la charge des familles pour étudier dans un établissement français est de 4 000 euros annuels. En payer 10 % sera impossible pour certaines familles au chômage", ajoute Mme Margareto. Une inquiétude relayée par Jean-Yves Leconte, sénateur des Français de l'étranger qui craint aussi que 5 % à 10 % des enfants quittent les établissements français.
Globalement, 14 257 familles ont demandé une bourse pour 2012, lors de la première vague de commissions (la seconde est en cours). Au sein de ce groupe, 35 % vont bénéficier d'une prise en charge à 100 %, et 10,8 % entre 90 % et 100 %. Seuls 7,4 % de ceux qui l'ont demandée n'auront rien. L'argent économisé sur la PEC viendra abonder les bourses. L'enveloppe de 110 millions d'euros va croître à 118 millions en 2014 et à 125,5 millions en 2015 selon les engagements pris par Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères.
Le vrai problème, c'est qu'on ne sait plus très bien qui est le Français de l'étranger. De l'expatrié d'une grosse entreprise, cadre supérieur, aux couples binationaux ou aux "aventuriers" qui fuient l'Europe morose, il y a entre eux comme un différentiel de niveaux de vie... que les réformes ont du mal à prendre en compte.
115 000 élèves français scolarisés à l'étranger
1 594 303 Français étaient inscrits comme expatriés fin 2011.
48 % sont en Europe, 20 % en Amérique, 15 % en Afrique, 8,5 % en Asie-Océanie et 6,6 %
au Proche et au Moyen-Orient.
480 établissements français répartis dans 148 pays dépendent de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. 310 000 élèves y sont scolarisés, dont 115 000 Français. 180 000 autres jeunes Français utilisent les systèmes locaux.
26,2 % des personnes consultées par l'enquête 2010 sur
l'expatriation déclarent gagner entre 30 000 et 60 000 euros net par an, 19,7 % plus de 60 000 euros (enquête de la Maison des Français de l'étranger).
LE MONDE | 17.01.2013 | Par Maryline Baumard
Les frais de scolarité des lycées à l'étranger ont augmenté de plus de 23 % en quatre ans
La prise en charge (PEC) des frais de scolarité des lycéens scolarisés dans les lycées français de l'étranger n'aura duré que le temps du quinquennat Sarkozy, et n'aura financé que les seules inscriptions dans les classes de lycée. La loi de finances rectificative au budget 2012 a gelé cette PEC.
Entre 2008, date à laquelle elle ne concernait que les lycéens de terminale, et 2011, où tous étaient pris en charge, cette facture a été multipliée par neuf, en dépit du gel des remboursements au niveau des coûts de 2008.
En 2011, elle a coûté 33,7 millions pour aider 7 300 familles, alors que 115 000 enfants sont scolarisés dans le système français.
Etendue à tous, de la classe de CP à la terminale, elle aurait coûté près de 700 millions d'euros au contribuable.
4 000 EUROS EN MOYENNE
La mesure a déstabilisé le paysage : les établissements français de l'étranger ont augmenté leurs frais de scolarité de 23 % à 26 % depuis 2007, a relevé le sénateur (UMP) Adrien Gouteyron dans une enquête parlementaire en 2011. Et, depuis son rapport, les dépenses ont encore flambé.
En 2007, la moyenne des frais de scolarité dans les écoles françaises de l'étranger était de 2 700 euros. Elle dépasse les 4 000 euros aujourd'hui.
Le record est détenu par l'Ecole internationale des Nations unies et ses 20 847 euros annuels de frais de scolarité. La moins chère est le lycée Clairefontaine à Madagascar, à 474 euros l'année.
Les entreprises ont elles aussi largement profité de l'instauration de la PEC. Elles ont même été les grandes bénéficiaires de la mesure mise en place, puisqu'elles ont laissé à l'Etat la prise en charge des frais de scolarité qu'elles assuraient souvent elles-mêmes pour expatrier leurs salariés dans de bonnes conditions.
LE MONDE | 17.01.2013 | Par Maryline Baumard