Le Point.fr - Publié le 02/02/2013 à 18:53 - Par Laurence NEUER
Le changement d'état civil des transsexuels repose sur la preuve anatomique du changement de sexe. Un sénateur propose de supprimer cette condition.
Avec Léa T., la nouvelle égérie de Benneton, et Mia, la tueuse à gages de la nouvelle série britannique Hit ans Miss, le transsexualisme s'impose désormais dans la mode et le cinéma. Si laFrance fut le premier pays à ne plus le considérer comme une affection psychiatrique, ce n'est pas pour autant que la justice simplifie les démarches des personnes qui souffrent de ce conflit irréconciliable entre la réalité objective de leur sexe et le sentiment profond d'appartenir au sexe opposé. Obtenir en justice la féminisation ou la masculinisation de son prénom et de son sexe relève bien souvent du parcours du combattant.
C'est pourquoi Arnault, 45 ans, peut se réjouir d'avoir pu s'appeler Marie sans avoir subi de chirurgie dite de "réassignation sexuelle". Cette femme née dans un corps d'homme a préféré conserver intacte son intégrité corporelle. C'est sur la base du seul traitement hormonal que le tribunal d'Agen a accepté de modifier son sexe sur son acte d'état civil. "Les juges n'ont pas ordonné d'expertise psychologique et se sont fiés aux conclusions d'un médecin généraliste dont la mission était de vérifier que le traitement hormonal avait bien été suivi par mon client, outre les témoignages versés au dossier", se satisfait son avocate Marie Dolorès Prud'hommes.
Droit de se marier avec une personne au sexe génétiquement identique
Le jugement, rendu le 20 décembre 2012, n'a pas été frappé d'appel. Le changement d'identité est donc acquis. Marie étant divorcée, la question de la transcription de son changement d'identité en marge de son acte de mariage ne se pose pas, comme ce fut le cas dans l'affaire de Chloé, ex-Wilfried. Marie vit désormais avec un homme et élève ses deux enfants mineurs qui lui ont été confiés en résidence alternée après son divorce.
"Tant que la loi sur le mariage pour tous n'est pas votée, il semble difficile de lui refuser le droit de se marier avec cet homme de sexe génétiquement identique au sien dès lors qu'il a obtenu son changement de sexe juridique, présume Georges Fauré, professeur de droit à l'université de Picardie. La Cour européenne des droits de l'homme a en effet jugé à propos d'une affaire concernant le Royaume-Uni que le fait de ne retenir que le sexe enregistré à la naissance restreignait de manière injustifiée le droit de se marier". Si le couple décide d'adopter un enfant, l'agrément ne pourra lui être refusé au motif du transsexualisme sous peine d'être taxé de discriminatoire.
Caractère irréversible du changement de sexe
Le changement d'identité sexuelle ne s'obtient pas toujours de manière aussi fluide. Car, faute de loi définissant "l'intérêt légitime" justifiant le changement de prénom (article 60 du code civil), "les décisions dépendent plus souvent de la bonne volonté du juge local et de sa sensibilité à cette question que du bien-fondé de la demande", déplore le sénateur Richard Yung. Le seul repère des juges se résumait jusqu'en 2012 aux conditions posées par la Cour de cassation en 1992 selon lesquelles il faut rapporter la preuve du "syndrome du transsexualisme" et d'un traitement médico-chirurgical attestés au moyen d'une expertise judiciaire. En posant ces conditions, la Cour de cassation n'a pas facilité la tâche des tribunaux.
Certains ont privilégié la médecine et subordonné leur accord à une chirurgie de réassignation sexuelle. D'autres ont estimé que la prise de traitements hormonaux suffisait à établir le processus de changement de sexe dès lors qu'il entraînait une modification irréversible du métabolisme. Pour mettre fin à cette cacophonie judiciaire, une circulaire ministérielle a, le 14 mai 2010, invité les magistrats à donner un avis favorable aux demandes de changement d'état civil sans exiger d'opération chirurgicale pourvu qu'il soit démontré l'irréversibilité du changement de sexe. Et, a ajouté la Cour de cassation en 2012, il est préférable que ces éléments soient attestés par une expertise judiciaire.
Pour les requérants, le parcours du combattant n'est pas terminé. Ainsi, Christophe a dû batailler pour devenir Virginie. Son apparence féminine était pourtant physiquement flagrante compte tenu de tous les traitements subis : féminisation faciale, implantation d'une prothèse mammaire, traitement d'hormonothérapie à visée féminisante, rééducation de la voix, traitement en vue de suppression de la pilosité masculine, suivi psychiatrique, etc. Virginie était par ailleurs perçue socialement et familialement comme une femme. La cour d'appel de Versailles lui a finalement donné gain de cause (décision du13 décembre 2012).
Vers un changement d'état civil simplifié pour les personnes transgenres
Le sénateur Richard Yung entend mettre un terme à ce flou juridique, "cause de souffrance d'autant plus forte que ces personnes vivent au jour le jour une identité que leur environnement social leur reconnait déjà". La proposition de loi qu'il a annoncée pour le printemps prochain envisage, "au nom du respect et de la reconnaissance de l'identité de genre, de rayer des critères de changement d'état civil l'obligation de subir une intervention chirurgicale de réassignation sexuelle". Mais ce n'est pas tout. Le sénateur propose, à l'instar de la Suisse, l'Allemagne ou la Suède, de renoncer aux "pratiques barbares d'hormonothérapie et de stérilisation forcée qui privent les personnes transgenres de la libre disposition de leur corps et de leur droit à la parentalité". Il suggère aussi de supprimer l'exigence d'un suivi psychiatrique préalable au changement d'état civil, soulignant que depuis 2010, "la transsexualité est sortie de la liste des affections psychiatriques de longue durée".
Pour lui, le seul critère d'un changement d'état civil devrait être l'autodiagnostic et le vécu identitaire et social des personnes transgenres. Une simple démarche en mairie, accompagnée le cas échéant de témoins, devrait ainsi suffire à modifier son identité. Faut-il demander au préalable l'avis du Comité national d'éthique ? "Cela permettrait aux pouvoirs publics de se prononcer en toute connaissance des problématiques médicales, sociologiques et psychologiques de la transsexualité", suggère Georges Fauré.
Particulièrement avant-gardiste en la matière, le Népal permet désormais aux personnes se réclamant du "troisième genre" de demander à ce que cette "identité" soit inscrite sur leur certificat de citoyenneté. Trace-t-il la voie à la reconnaissance d'une identité de genre ?
(voir aussi l'article de mon site Changement d’état civil pour les personnes transgenres : bientôt une loi plus humaine)