AFP, 18/02/2013
Cela fait partie de ces drames silencieux, presque inaperçus: trois Français se sont suicidés au Japon en l'espace de quelques mois ces dernières années parce que leurs ex-femmes japonaises les avaient totalement coupés de leurs enfants.
Seul pays membre du G8 à ne pas avoir ratifié la Convention de La Haye sur les enlèvements d'enfants, le Japon semble enfin en passe de le faire. Selon des diplomates, la ratification pourrait être votée avant la fin de l'actuelle session parlementaire.
Lorsqu'il arrivera vendredi à Washington pour rencontrer Barack Obama, le Premier ministre japonais Shinzo Abe aura vraisemblablement en poche la promesse de cette ratification attendue depuis des années par Washington et de nombreux pays, dont la France et le Canada.
Actuellement les Etats-Unis ont une centaine de dossiers d'enlèvements, le Canada 39 et la France 33. "Ce sont seulement les cas déclarés", précisait récemment à l'AFP le sénateur français Richard Yung, de passage à Tokyo pour mettre la pression.
Très impliqué, M. Yung a vu un vice-ministre des Affaires étrangères mais le ministre de la Justice a refusé de le rencontrer.
Actuellement, selon des spécialistes, les tribunaux japonais ordonnent au maximum au parent "kidnappeur" d'envoyer "trois photos par an" du ou des enfants, ou une rencontre très encadrée de deux heures par mois.
Une situation que vivent aussi au quotidien des dizaines de milliers de pères japonais de l'archipel où la garde alternée n'existe pas: même si cette ratification ne les concerne pas directement, ils espèrent qu'elle va faire bouger les choses dans ce pays où dans 90% des séparations les enfants vont à la mère, condamnant les pères à ne jamais les voir ou presque. Rien que de très logique selon les juges: au Japon c'est la mère qui élève les enfants, les pères se contentant de faire "bouillir la marmite".
Pour Richard Yung, le mariage est ici avant tout "une communauté de moyens".
Le droit de visite, même par voie de justice, n'est jamais respecté, pour les étrangers et les Japonais, car la police refuse d'intervenir en cas de refus de la mère, affirme un consul étranger.
"Quand j'ai voulu voir ma fille après le tsunami (mars 2011), ma femme a appelé la police", raconte à l'AFP Yasuyuki Watanabe, un fonctionnaire d'Etat et maire adjoint d'une ville de province. Coupé depuis deux ans de sa fille Mari, aujourd'hui âgée de 5 ans, il a décidé de médiatiser son cas et de se battre pour toutes les "victimes" japonaises, plus de 200.000 par an selon lui en additionnant pères et enfants.
Au Japon depuis 31 ans, Michael (un prénom d'emprunt) est grand-père mais n'a jamais vu ses deux petits-enfants. Un coup de foudre, trois fils, onze ans de mariage et tout s'est écroulé. Depuis il se bat au sein d'une association.
Si la ratification semble en vue, certains craignent désormais que la convention ne soit dénaturée une fois transposée dans le droit japonais. C'est le cas de Richard Delrieu, le président de SOS Parents Japan.
Il parle de "rouerie" concernant des amendements que Tokyo proposerait pour ratifier. "Ce n'est pas digne d'un grand pays comme le Japon".
Le sénateur Yung veut lui aussi espérer, mais craint également que la convention ne soit "vidée de sa substance". Alors il ne baisse pas la garde: "notre seule arme? L'opinion publique".