La Correspondance économique, 20/03/2013
Le Sénat débute aujourd'hui l'examen en séance publique du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Si la commission des Finances n'a amendé le texte qu'à la marge la semaine dernière (cf. CE du 14 mars), les sénateurs comptent durcir le texte sur quelques points. Le chef de fil de la majorité sur le texte, le sénateur de Paris M. Jean-Pierre CAFFET, a notamment soulevé hier lors d'un point presse la question des produits financiers sur les marchés agricoles. "Nous observons une hypertrophie des opérations financières par rapport aux matières agricoles réelles, ce qui poussent les prix à la hausse", a affirmé le sénateur, se référant à l'analyse de "plusieurs économistes indépendants".
La question de la spéculation financière sur le marché des produits agricoles est au coeur des préoccupations politiques depuis plusieurs années, notamment depuis l'éclatement des "émeutes de la faim" dans plusieurs pays d'Amérique du sud, d'Afrique et d'Asie en 2008, en raison de la forte hausse des produits agricoles de base comme le blé, le colza ou le maïs. L'ancien président de la République Nicolas SARKOZY avait déjà plaidé pour une régulation plus étroite des marchés des matières premières agricoles, notamment lors de sa présidence du G8 et du C20, en 201 1. M. SARKOZY avait notamment insisté à plusieurs reprises sur le lien entre les pratiques spéculatives et la volatilité constatée sur ces marchés, dénonçant la "financiarisation" des marchés qui fait que les spéculateurs peuvent échanger chaque année en produits dérivés jusqu'à "46 fois la production annuelle mondiale de blé", "24 fois celle du maïs" et "35 fois celle du pétrole". La Commission européenne a elle toujours été très prudente sur les liens entre produits financiers et hausse des matières premières agricoles, soulignant "un sujet hautement complexe et encore aujourd'hui vivement débattu".
Pour encadrer ce phénomène, les sénateurs vont proposer d'imposer une limite de positions aux établissements bancaires. "Il ne s'agit pas d'interdire aux banques françaises les opérations financières sur les marchés agricoles. Cela ouvrirait grand la porte aux banques d'affaires américaines. Ces activités peuvent d'ailleurs être utiles à l'économie réelle, dans une certaine mesure. Nous souhaitons simplement limiter le développement de ces opérations financières en donnant le pouvoir à l'Autorité des marchés financiers, à laquelle les banques devront transmettre un reporting de leur activité, de limiter leur volume", a déclaré M. CAFFET.
Des amendements vont également être déposés pour renforcer la transparence sur les activités bancaires dans les paradis fiscaux. Aux obligations de publication du produit net bancaire et des effectifs dans chaque pays déjà voté à l'Assemblée nationale, les sénateurs veulent ajouter la publication des bénéfices ou des pertes, ainsi que l'imposition et les subventions éventuellement reçues par Etat. "Une simple anticipation de CRD IV", a commenté le rapporteur du texte, M. Richard YUNG (PS, Français de l'Etranger).
Alors que la commission des Finances n'a pas tranché la question du plafonnement généralisé des frais bancaires, également voté à l'Assemblée nationale, les sénateurs devraient enfin proposer de différencier les populations les plus fragiles du reste de la clientèle. "Il faut réfléchir à un ciblage précis", a indiqué le rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques, le sénateur (PS) M. Yannick VAUGRENARD, qui estime entre 1,8 milliard d'euros et 3 milliards d'euros le coût pour les banques d'un plafonnement généralisé des frais pour incidents de paiements. Les sénateurs vont ainsi examiner la possibilité d'ajouter un deuxième plafond au texte : un premier pour les populations dites "fragiles" qui bénéficient de la gamme de paiements alternatifs-GPA (environ 100 000 personnes en France), et un second plafond pour les "classes moyennes qui peuvent être fragilisées à un moment donné", a indiqué M. VAUGRENARD. Ces plafonds mensuels seraient fixés par décret.
Le rapporteur pour avis de la commission des Lois, M. Thani MOHAMED SOILIHI, a quant à lui indiqué que les sénateurs souhaitaient renforcer la loi Lagarde sur l'assurance emprunteur en encadrant plus strictement les marges d'action des banques. Deux amendements seront par ailleurs déposés concernant les contrats d'assurance-vie non réclamés. Les sociétés auront notamment une obligation de recherche annuelle pour retrouver les ayants droit de ces contrats non réclamés.